LA FEMME-BISON

Qu’est-ce que la vie ?

C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit,

C’est le souffle d’un bison en hiver.

C’est la petite ombre qui court dans l’herbe

Et se perd au coucher du soleil.

Crowfoot, chef Blackfeet (1821-1891)

Pour les indiens Sioux, de même que Dieu envoya son fils aux hommes blancs chrétiens, c’est par la volonté de Wakan-Tanka, le Grand Esprit, qu’un animal, un bison, se changea en humain, la Femme-Bison-Blanc qui apporta aux indiens la Pipe Sacrée, le Calumet, et ses principaux rites.

Selon la légende sioux, au cours d’un hiver rigoureux, deux Lakota étaient partis chasser. Etant à l’affût, ils virent au loin quelque chose avancer qui, en s’approchant, se révéla être une très belle femme, vêtue de peau de daim blanc et portant un sac à franges sur le dos. L’un des deux chasseurs eut alors des pensées impures que ne partagea pas son compagnon.

Assurément cette femme était Wakan – sacrée.

S’étant approchée, elle demanda à celui qui avait eu des pensées impures de venir près d’elle. Alors que l’homme s’empressait d’obéir, un nuage les enveloppa. Lorsqu’il se dissipa, la femme était toujours debout et, à ses pieds, gisait un squelette que des serpents rongeaient. Elle donna alors pour instruction au survivant d’informer son chef, Corne-Creuse-Debout, de préparer sa venue et de rassembler son peuple.
Une grande tente ayant été préparée, la mystérieuse femme vint et y pénétra. S’adressant au chef, ôtant le sac de son dos, elle le lui remit en disant :

« C’est une chose très sacrée. Jamais un homme impur ne devra être autorisé à la voir, car dans ce paquet se trouve un calumet sacré. Avec lui, dans les hivers à venir, vous enverrez votre voix à Wakan-Tanka, votre Grand-Père et Père… Le fourneau de cette pipe est de pierre rouge, il est la Terre. Ce jeune bison gravé sur la pierre et qui regarde vers le centre, représente les quadrupèdes qui vivent sur notre Mère. Le tuyau de la pipe est en bois, et il représente tout ce qui croît sur cette Terre et ces douze plumes qui pendent là où le tuyau pénètre dans le fourneau, sont de Wambali Galeshka, l’Aigle Tacheté, et elles représentent l’Aigle et tout les êtres de l’Air.

Wakan-Tanka vous fait également don de ce caillou rond, fait de la même pierre rouge que le fourneau du calumet. C’est la Terre, votre Grand-Mère et Mère. Cette terre est rouge et les hommes qui vivent sur elle sont rouges et le Grand-Esprit vous donne aussi un jour rouge et un chemin rouge.

Le chemin « rouge » est l’axe qui relie le Nord au Sud, c’est la voie bonne et droite. Les sept cercles gravés sur la pierre représentent les sept rites selon lesquels la pipe sera utilisée. Les sept rites sont : la garde de l’âme d’un défunt, le rite de purification, l’imploration d’une vision, la danse du soleil, l’apparentage, la préparation de la jeune fille aux devoirs de la femme et le lancement de la balle. »

Enfin, après fait le tour de la tente suivant la marche du Soleil, la mystérieuse femme sortit puis, à une certaine distance, s’assit. Quand elle se leva, les hommes furent stupéfaits de voir qu’elle était changée en un jeune bison rouge et brun qui s’éloigna. S’étant couché un peu plus loin, il se redressa, c’était alors un bison blanc qui, après avoir roulé sur le sol, devint noir…

En ce qui concerne les aspirations de l’indien, elles découlent de sa persuasion d’être doté d’un « pouvoir personnel », d’un « esprit gardien » qui incite l’homme de connaissance à tenter de se l’approprier afin d’en user. C’est ainsi que Sitting Bull fut guidé par l’esprit du Bison et aussi de l’Aigle. Quant à Crazy Horse, il eut la vision du Cheval qui se cabre ainsi que de l’Eclair.

Pour l’indien Sioux, la pipe, le calumet, était le fondement de tous les rites.

L’indien a conscience des états multiples de l’être. Pour lui, l’être universel est semblable à une toile d’araignée, substance émanée de Wakan-Tanka, tous les états d’être étant reliés par un réseau d’énergie.
Donné par la Femme-Bison-Blanc, le calumet est l’élément primordial et indispensable à la connexion divine. Le calumet est utilisé selon un rite qui s’avère être une consécration car l’indien, après une purification préalable par le jeûne et la sudation dans un tepee où la vapeur est produite par de l’eau versée sur des pierres chauffées, dans la solitude, va invoquer le Grand-Esprit après avoir salué le Ciel, la Terre et les quatre points cardinaux en leur offrant la pipe soit en dirigeant la fumée vers les quatre directions, soit vers le feu central. (La fumée a ici un rôle purificateur identique à celui de l’encens.)

La « Quête de la Vision » est également un rite important des indiens Sioux. Elle était précédée d’une préparation rituelle dirigée par les Wicasa-Wakan, hommes de pouvoir, hommes de connaissance, préparation appelée Inikagapi, c’est-à-dire restauration du souffle vital (1), dans la hutte de sudation.

La « Quête de la Vision » est un acte de pouvoir (2), une relation au monde Wakan, qui offre l’avantage de conférer des pouvoirs particuliers et par là même, révèle la vocation de chacun au sein du groupe, mais aussi son rapport avec la Nature, les animaux, les végétaux, le vivant. La mise en œuvre d’une « vision-pouvoir » au bénéfice de la communauté prenait la forme d’un culte.

Les « Rêveurs » instauraient des cultes particuliers en fonction de la Nature de leurs visions et du pouvoir ainsi conféré. Ainsi les « Rêveurs d’Ours » étaient de grands guérisseurs. Il y avait les « Rêveurs de Bison », les « Rêveurs d’Aigle » et ceux de la « Femme à Double Tête ». Cependant le plus puissant était celui des « Rêveurs d’Orage » dont la vision était celle du Wakinyan Oyate, le Peuple des Oiseaux Tonnerre.

Autre rite important, celui de la Danse du Soleil, Wi Wanyang Wacipi, était la réunion des composantes de l’Oyate (3). Son mérite était de transférer un grand pouvoir au peuple. En contrepartie des souffrances qu’ils s’imposaient, les participants en retiraient de puissantes visions.

Enfin, le rite de la « Garde de l’Esprit », Wanagi, après la mort d’un être cher présentait un double avantage. D’une part le Wanagi du défunt (4) était nourri pendant un certain temps avant de rejoindre le monde des esprits, d’autre part l’officiant retirait pour lui-même, une partie du savoir ou de la sagesse du défunt.

Au travers de ces esquisses concernant la spiritualité des indiens, sioux en particulier, on comprend mieux que les chefs Sitting Bull et Crazy Horse furent essentiellement, avant d’être des guerriers, des chamans défendant leur Terre Sacrée, dont le mythe précise que cette terre est faite de la substance des ancêtres qui périrent par un déluge contre les intraitables envahisseurs blancs.

CB © la Lettre de Thot – DR, août 2004.

En illustration : Photo d’Edward S. Curtis

En exergue, citation extraite de Paroles Indiennes – Albin Michel – Carnets de Sagesse

(1) Encore appelé Prana, par d’autres Traditions.

(2) Sur la notion de pouvoir en chamanisme, il semble important de relire ce que nous en dit Don Juan, le maître de Carlos Castaneda qui a le mieux explicité ce terme.

(3) Voir plus haut dans les articles de 2004.

(4) Sorte de double éthérique, Ka des Egyptiens.