Paul Amoros est issu de la Terre du Soleil, un meunier-boulanger au cœur gros comme ça, qui transmute tous les jours en son moulin de Soleils l’or du blé en pain nourricier. Quand on lui demande qui il est, il ne sait que répondre. « Un rêveur », dit-il souvent, par conviction plus que par provocation… Le blé, la farine, le pain, la vie, le partage, voilà le credo de Paul Amoros. Rencontrer l’homme, c’est rencontrer avant tout un être de conviction profonde, sincère et volontaire, qui fait rimer Amour et Amitié, Soleil et Pain, Tradition et Vocation sous la lumière du Verdon. L’homme est discret, parfois timide ou ombrageux, alors il m’est difficile en vérité de vous en dire mieux. Mais si vous voulez en savoir plus, allez le rencontrer dans le Verdon, lui et son pain, au Moulin de Soleils, petit hameau sur la route de Castellane. Vous verrez, le détour vaut son pesant d’histoires vécues, d’anecdotes croustillantes, de contes pour enfants et de poèmes à rêver. En tout cas, peu autant que lui, sauront vous parler du Mystère du Verdon… qu’il connaît bien, puisqu’il en est lui aussi un acteur !

Arcadia

1- Entre Légendes et Vérités

C’est à une balade que je vous convie, une simple promenade dans un pays sauvage où s’entremêlent histoires et légendes. Sur cette terre alchimique où les forces telluriques et cosmiques ont façonné les êtres, les lieux et le temps…

De l’histoire je ne dirai pas grand-chose, tout a déjà été dit, écrit, réécrit et redit encore. Foultitude d’exégètes et de savants ont tant de fois remis le fer à l’ouvrage avec moult précisions. Permettez moi de reconnaître leurs connaissances et de remercier l’historien dans sa quête de précision et de vérité.

Sur les chemins du légendaire je vous inviterai par contre à traverser le temps et l’espace. Le légendaire c’est la rencontre avec l’imaginaire, le rêve, l’invisible et toutes ces autres perceptions qui vont au-delà des mots. Le légendaire c’est cette porte qui s’entrouvre et qui fait briller les yeux des enfants comme les yeux du savant si tant est que celui-ci ait conservé son âme d’enfant… Ne le dites à personne… l’imaginaire vient de me souffler de faire rimer enfant avec savant !

Cette balade n’empruntera donc pas longuement les chemins de l’histoire, je l’ai dit plus haut, d’autres œuvrent à cela. Un très rapide survol pour décliner trois grands faits des siècles passés

– 1118, neuf « pauvres » chevaliers fondent l’Ordre du Temple, assurent la sécurité sur la route des croisades et s’installent enfin sur les lieux saints en terre de Palestine. A Jérusalem on leur octroie de s’installer dans les écuries des restes du temple de Salomon. Hugues de Payens ou Hugo de Paganis en est le premier Grand Maître…

– 1307, le roi de France Philippe le Bel et le pape Clément V abolissent l’Ordre du Temple, le diabolisent, le jugent et condamnent à mort quelques années plus tard son Grand Maître et d’autres dignitaires…

– 1308, en janvier c’est l’arrestation des templiers de Provence. Quelques mois viennent de s’écouler depuis le coup de main de Paris et ce décalage a, depuis, ouvert les portes de toutes les spéculations… Riche et noble terre que cette Provence qui de tout temps aura été voie de passage, d’invasion et carrefour des peuples et des cultures. Ses côtes privilégiées de Collioure à Nice en feront par ses ports un axe essentiel de pénétration où commerce, hommes et connaissance circuleront d’abord sur les Terres de Provence…

Et l’histoire s’endort sur la Provence qui vit comme toutes les contrées de France sa propre histoire. Et à la vitesse de la lumière plus de six siècles s’écouleront avant que l’on reparle des templiers de Provence et de leur fabuleux héritage. Cet héritage que la légende transformera bien vite en trésor merveilleux… Terre alchimique vous dis-je où les plus grandes des transmutations s’opéreront quand, sur des signes invérifiables, des bribes d’histoire, des documents falsifiés ou inventés on fera apparaître la plus grande des « vérités ». Cette terre bienheureuse c’est une zone bien précise des pays du Verdon, là, tout autour d’un minuscule village dominé par un vieux château, Trigance. Un auteur belge délimitera ce périmètre en le nommant « l’Ile des Veilleurs ».

2 – Une île… et des Veilleurs…

Pénétrons cette « Île des Veilleurs », par où faut-il passer ? Sur quel port accoster ? Qui possède les clés ? Sont elles même forgées ces clés, où sont elles en pâte à modeler ? Laissons nous embarquer ; et tel l’alchimiste amalgamons Histoire et Légende, il en sortira bien quelque chose.

– 14 janvier 1308, le chevalier Borgandion est arrêté au château de Monfort dans le Var. Les hommes du roi ne trouveront rien autour de lui, la commanderie est vide, Borgandion est seul, habillé d’une noblesse silencieuse, un sourire au coin des lèvres. Il a revêtu son manteau à la croix pattée. Le chevalier est arrêté, on l’enferme dans les cachots de Meyrargues en pays d’Aix en Provence. Il réussit à s’échapper et vient se réfugier dans les Gorges du Verdon près du village de La Palud à Châteauneuf-les-Moustiers où il mourut en odeur de sainteté. Dans la grotte dite des Templiers on construira plus tard une chapelle dédiée à Notre Dame… Et si ce brave Borgandion connaissait déjà antérieurement cette région sauvage du Verdon ? Y était-il venu quelques temps avant son arrestation avec quelques informations à cacher en lieu sûr puisqu’on ne trouva rien dans sa commanderie ? Octobre 1307 arrestation à Paris, janvier 1308 arrestation en Provence ; trois mois se sont écoulés, trois mois propices à toutes les supputations. On ne s’en privera pas !

– 25 juin 1980, je quitte Avignon pour « changer de vie ». J’avais vécu quelques années auparavant dans la Chartreuse de Bonpas, résidence d’été des papes d’Avignon, site où l’on retrouvera un personnage bien connu des lecteurs de la Lettre de Thot, le dénommé Polycarpe de la Rivière… (Voir à ce sujet le très beau livre de Patrick Berlier, « La Société Angélique », Tomes 1 & 2). Situé sur les bords de la Durance le domaine de la Chartreuse aura été un moment templier, puis les chartreux y installeront une hostellerie…

Du maupas au bon pas tel est le chemin !

3 – Trigance ou les trois nœuds

Le 25 juin au soir en laissant le chemin s’ouvrir devant moi. Les signes et les intersignes se dessinent entre les mains du maître magicien « Hasard ». J’arrive à Trigance. Trigance c’est une planète inconnue, totalement inconnue, c’est Tombouctou ou la Papouasie, jamais entendu parler !

Oui, cette journée a été bien bizarre avec cette agence immobilière fermée exceptionnellement à Barjols alors que nous avions jeté notre dévolu sur cette commune et encore cette femme toute de rouge vêtue qui nous renseigne devant la mairie fermée de Lorgues. Et cette autre petite vieille, toute ridée dans sa robe noire et qui nous dit : « Trigance les enfants, il faut y aller ! » Et cet autre répugnant bonhomme tout rabougri, arquebouté sur ses deux cannes de bois qui nous accueille si méchamment pour nous dire en ricanant quand nous arrivons au pied du village : « Non, non, je ne veux personne à côté de chez moi, partez ! ». Et cet autre barbu nous disant encore : « Ne cherchez pas il n’y a rien à louer dans ce village ! » Et pourtant au soir d’une journée si peu ordinaire nous trouvions à Trigance la maison de nos rêves…

En septembre de cette même année, le barbu du mois de juin me jette dédaigneusement un livre entre les mains. Nous avions appris à nous connaître un peu, il était potier, moi rêveur. « Tiens prends ça, toutes les conneries dans ce livre vont t’intéresser ! ». Je feuillette le bouquin, il est très épais et des photos représentent le village où je viens de m’installer.

Quelle aubaine, je vais pouvoir pénétrer ce pays que je ne connais n’y d’Eve ni d’Adam. Ce livre porte le titre suivant : « l’Île des Veilleurs » d’Alfred Weysen.

Plus de 500 pages dans ce gros pavé, avouons que quelques dizaines à peine sont appréhendables, en tous les cas par moi. Peut être que je ne sais pas lire ! En tous les cas quand la vérité prend des chemins si abstrus ce n’est pas la Vérité…

Où se trouve-t-elle ?

4 – « Veritas »

Dans les méandres d’un tableau de Saint Célestin, toile indiquant dans le flambeau tendu à bout de bras par le mystique le mot « Veritas ». Document soi-disant crypté, codifié qui après vérification auprès du laboratoire qui l’aurait analysé ne révèle rien de tout cela…

Dans l’itinéraire des 9 chapelles dites templières du Verdon dont les initiales forment le mot T.E.M.P.L.A.R.I.I. ? Mais comment accréditer cette thèse quand on sait que la plupart des chapelles n’ont rien de templier. Que d’autres sont parfaitement ignorées et qu’avec les anagrammes tout devient possible ici et je peux même inventer celui-ci :
D.E.L.I.R.A.N.T. avec St Didier, St Etienne, St Laurent, St Jean (en assimilant le J au I comme le fait Weysen), St Roch, Ste Anne, St Nicolas, St Trophime… Ou cet autre : M.E.N.T.I.R.A, ou encore : T.E.R.M.I.N.A…

Véritablement tout cela n’a pas de sens !

Alors ? Où se trouve-t-elle cette Vérité ?

(à suivre…)

Paul Amoros © DR – Texte inédit pour la Lettre de THOT, Numéro spécial, Eté 2006.

En illustration : Paul Amoros au Moulin des Soleils – Trigance, Photo Arcadia ©.