Une découverte oblige à réécrire l’histoire de la vie ! Des formes de vie complexes seraient apparues voici 2,1 milliards d’années. 1,5 milliard d’années plus tôt que scientifiquement attesté jusque-là… – La découverte publiée en couverture de la revue scientifique britannique « Nature » le 1er juillet dernier a créé un vif émoi. Des formes de vie complexes, des organismes à plusieurs cellules dits « pluricellulaires » et macroscopiques, seraient apparues voici 2,1 milliards d’années ! Une découverte qui oblige à réécrire une partie de l’histoire de la vie sur terre, même si, selon des experts, « elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses ». Le chercheur Abderrazak El Albani de l’Université de Poitiers en France a mené cette étude avec une équipe de vingt scientifiques dont le professeur Emmanuelle Javaux de l’Université de Liège. Il a découvert plus de 250 fossiles biologiques de 7 à 12 centimètres de longueur, au Gabon. Ils sont interprétés comme des populations distinctes d’organismes coloniaux très organisés. Ces organismes multicellulaires fossilisés proviennent de roches (shale) datant de 2,1 milliards d’année. Ils constituent les plus anciens macrofossiles à organisation multicellulaire complexe connus à ce jour. L’origine de la vie complexe multicellulaire de taille visible à l’œil nu, ne serait alors plus fixée à 600 millions d’années, mais se serait ainsi déplacée à 2,1 milliards d’années. « Le curseur s’est déplacé de 1,5 milliard d’années », a déclaré Abderrazak El Albani.
L’aventure avait commencé en 2008, dans le bassin de Franceville, au sud-est du Gabon, une région étudiée de longue date pour sa richesse en manganèse et en uranium. Trois géologues font des prélèvements dont un jeune thésard, Abderrazak El Albani. Surprise, il découvre d’étranges fossiles, traces à première vue d’êtres maintenant minéralisés, mais à l’origine au corps mou et gélatineux, ne présentant aucune ressemblance avec quoi que ce soit de connu. Mais une longue étude usant des dernières techniques (dont des reconstructions en 3D pour ne pas endommager ces fossiles) lui permettrait d’affirmer que ce sont bien des formes de vie complexes et multicellulaires qui ont laissé ces traces dans les roches. Mais regardons d’abord en quoi cette découverte bouleverse nos connaissances sur l’histoire de la vie. On sait que la terre s’est formée il y a 4,5 milliards d’années et que la vie y est apparue et s’y est développée par une suite de hasards, parfois liés à un seul événement (nos ancêtres uniques). Les premières formes de vie apparues sur terre voici environ 3,5 milliards d’années étaient unicellulaires. Ces premiers unicellulaires et les bactéries et archées actuelles sont constitués d’une cellule sans noyau, c’est-à-dire sans membrane protégeant le matériel génétique : ce sont « des procaryotes ». Ces micro-organismes ont survécu jusqu’à aujourd’hui et contrôlent toujours les cycles géochimiques de notre planète dont notre vie dépend.

La vie a ensuite évolué vers des formes de vie plus complexes : « les eucaryotes », avec une architecture cellulaire sophistiquée, dont des chromosomes abrités, cette fois, dans un noyau. Ces êtres d’abord unicellulaires (les protistes) sont apparus il y a au moins 1,8 milliard d’années puis ont donné naissance à des organismes multicellulaires, comme les plantes, les champignons, et les animaux dont l’homme. Des fossiles témoignent d’une explosion de formes de vie multicellulaires macroscopiques, voici environ 600 millions d’années, bien que quelques algues fossiles attestent de leur apparition plus précoce depuis 1,6 milliard d’années. L’émergence des eucaryotes est probablement liée au taux d’oxygène dans l’atmosphère. Jusqu’à 2,45 milliards d’années, celui-ci était quasi nul et les formes de vie devaient être indépendantes de l’oxygène (elles étaient « anaérobies »). Petit à petit, entre 2,45 et 0,6 milliard d’années, le taux d’oxygène a crû dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse réalisée par des bactéries, les cyanobactéries (anciennement appelées « algues bleues-vertes »). « On pense que la montée du taux d’oxygène dans l’atmosphère autour de 2,3 milliards d’années a produit des perturbations catastrophiques dans les équilibres biologiques de l’époque » , écrit le prix Nobel Christian de Duve, dans son livre « A l’écoute du vivant ». Les organismes vivants qui existaient jusqu’alors, peut-être plus complexes qu’on ne le croit, n’ont souvent pas résisté à ce changement, l’oxygène agissant sur eux comme un poison. On parle parfois d’ »holocauste de l’oxygène » et de nouvelles formes de vie se sont alors développées dont nous sommes issus.

Mais de quand date le premier eucaryote, sans doute unique, un ancêtre commun, à l’origine du domaine de la vie (Eucarya) dont nous faisons partie ? Au plus tôt, vers 2,4 milliards d’années déjà, quand l’oxygène a commencé à croître, bien que des molécules fossiles (controversées) suggèrent leur apparition vers 2,7 milliards d’années. Les fossiles eucaryotes les plus anciens sont unicellulaires. Ils datent de 1,8 à 1,5 milliard d’années et se sont diversifiés depuis lors. Ensuite, les eucaryotes développent la multicellularité, mais gardent une taille microscopique, comme en attestent des algues rouges de 1,2 milliard d’années, puis d’autres types d’algues et microfossiles depuis 1 milliard d’années. Les fossiles eucaryotes macroscopiques (visibles à l’œil nu) sont plus rares et ne comprennent que quelques formes comme Grypania Spiralis, datant d’environ 1,6 milliard d’années qui marquait déjà l’émergence d’une vie plus complexe. Les premiers animaux apparaissent, il y a environ 600 millions d’années, d’abord sous formes d’œufs microscopiques, puis de larges empreintes macroscopiques de corps mous (la fameuse faune d’Ediacara), et de petits tubes minéralisés avant la diversification de grands prédateurs à carapaces, des éponges, des vers, et des algues de la fameuse faune du Burgess Shale, il y a 550 millions d’années. Les fossiles retrouvés au Gabon témoignent de l’existence de formes macroscopiques voici 2,1 milliards d’années, bien avant donc l’explosion de la diversité intervenue de 600 à 520 millions d’années et qui fut qualifiée de « big bang » de la vie. Cependant, leur biologie est inconnue. S’agit-il d’une combinaison inhabituelle de procaryotes (d’une collection de bactéries) ? Ou d’une colonie d’eucaryotes ? Voire même d’un organisme eucaryote plus complexe ? Ou est-ce une forme de vie inconnue jusqu’ici qui s’est développée avant de disparaître ? L’évolution de la vie n’est pas linéaire, mais buissonnante, faite d’essais, de catastrophes et d’avancées.

Les chercheurs ont soigneusement étudié ces fossiles gabonais. Des signatures chimiques particulières du soufre et du carbone ainsi que la morphologie et la texture des fossiles (préservés par un minéral appelé de la pyrite) attestent de leur origine biologique et permettent de les différencier de concrétions minérales. Des molécules de « stérane » ont été retrouvées dans les sédiments entourant les fossiles, mais ne permettent pas de prouver une origine eucaryote, car elles peuvent provenir d’autres organismes non conservés, selon les chercheurs. De taille trop grande pour être les résidus de simples unicellulaires primitifs, les contours des fossiles évoquent, selon M. El Albani, les formes d’organismes vivant en suspension dans l’eau ou tout près du fond océanique. « Interpréter réellement des anciens fossiles est une affaire particulièrement difficile » , nuancent Philip Donoghue (Université de Bristol, Grande-Bretagne) et Jonathan Antcliffe dans un commentaire publié dans Nature, promettant « de futures discussions entre paléontologues ». « Ces fossiles de quelques centimètres, que les auteurs interprètent comme représentant des organismes multicellulaires, seraient apparus alors que l’atmosphère restait un mélange toxique avec une teneur en oxygène correspondant à quelques centièmes des niveaux actuels », relèvent les deux experts.
Sans mettre en doute la datation de ces spécimens, ils notent que la définition d’une vie pluricellulaire « peut tout inclure, des colonies de bactéries aux blaireaux » . Au sein de colonies bactériennes, une forme de communication interne et de gestion organisée de la croissance du groupe a été constatée, comme en témoignent des stromatolites (structures) plus anciens que les fossiles trouvés au Gabon. Les spécimens découverts ne peuvent provenir de simples bactéries, assure M. El Albani qui invite à préserver le site gabonais appelé à faire partie « du patrimoine mondial de l’humanité ».

>[Guy Duplat]

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