À Valfleury, le sentier en lacets du rosaire, s’élevant à flanc de colline, conduit à une statue de la Vierge monumentale et à une tour néogothique servant de belvédère, d’où la vue porte jusqu’à Lyon. Il faut bien admettre une vague ressemblance entre cette tour de Valfleury, voulue par le Père de Bussy, et la Tour Magdala…

Certes l’on ne doit pas perdre de vue que la mode néogothique de l’époque est à l’origine d’un certain nombre de tours, présentant des analogies avec la Tour Magdala, qui elle-même obéit à cette mode. Mais ces reflets sont cependant quasiment tous situés en pays lyonnais, alors qu’aucune autre tour semblable n’a été recensée dans la région de l’Aude.

frefefeferef.jpg Le style néogothique prétendait magnifier l’art médiéval, tout en purifiant ses lignes et en les adaptant aux contraintes et aux matériaux d’un siècle nouveau. Pour les gens du XIXe siècle le Moyen-Âge se présentait comme une époque d’émancipation, où le laïque s’affirmait aux dépens du clérical, où la bourgeoisie s’affranchissait de la noblesse, mais aussi sur un plan religieux comme une époque d’unité ecclésiale autour du souverain pontife. Le néogothique avait pour ambition de sublimer ces valeurs. Gothique et néogothique ne sauraient être comparés, le préfixe néo revendiquant toute son importance pour qualifier un art véritablement neuf qui, quoiqu’on en pense, a constitué « le » style du XIXe siècle. Non pas une imitation du Moyen-Âge, mais une re-création. C’est un style qui s’est cependant beaucoup moins développé en France – où il fut souvent décrié – qu’en Angleterre par exemple où il est né, ou aux États-Unis, et cela malgré des architectes prestigieux comme Viollet-le-Duc.

Le néogothique se présentait aussi comme l’un des premiers essais de ce que l’on nomme aujourd’hui le design, mêlant esthétique et réalisations industrielles en série. Il suffit de feuilleter les revues et autres catalogues qui étaient alors édités, aussi bien dans le domaine de l’architecture que celui du mobilier, pour s’en convaincre.

« Le néogothique est-il chrétien ? », se demande Philippe Boutry dans une étude particulièrement intéressante (1). Il a marqué à la fois un retour vers Dieu, après l’époque révolutionnaire, qui s’est manifesté par une reconstruction massive d’églises, et un engouement pour l’art médiéval militaire, dans la lignée de la restauration – restitution plutôt – de la cité de Carcassonne par Viollet-le-Duc. Le domaine de l’abbé Saunière à Rennes-le-Château procède de cette ambivalence. Autant la Villa Bethania conserve une religiosité marquée, par la statue du Christ encastrée dans sa façade, autant la Tour Magdala se présente comme la concrétisation du rêve wagnérien d’un fortin moyenâgeux. Curieux tout de même de la part d’un prêtre, d’autant que même Magdala n’était pas le nom destiné à cette tour, qui aurait dû être nommée Tour du Midi, ou Tour de l’Horloge.

Sur un plan régional, dans ce pays lyonnais Pierre Bossan fut l’un des chefs de file du style néogothique, avant de se « convertir » au style néo-byzantin. Le mot n’est pas trop fort, on estime que Bossan fut séduit par l’art byzantin en même temps qu’il passa de l’état de libre-penseur à celui de mystique chrétien, suite à sa rencontre avec le saint curé d’Ars qui allait bouleverser sa vie. La basilique d’Ars, qu’il réalisa à la fin de son existence, marque d’ailleurs le summum de son art. Sainte-Marie Perrin, qui devint son disciple en 1872 sur le chantier de Fourvière, termina et poursuivit l’œuvre de son maître, après avoir réalisé dans sa jeunesse des œuvres purement néogothiques. Il avait construit en particulier en 1864 la chapelle du château de Dortan, près d’Oyonnax (Ain), qui est une haute et massive tour gothique carrée, flanquée de deux tourelles d’angle rondes. Preuve qu’il maîtrisait alors parfaitement l’imitation de l’art médiéval. Mais Sainte-Marie Perrin n’abandonna pas tout à fait ce style pour autant. Il construisit par exemple en 1902 l’église de Roche-la-Molière (Loire), grosse bourgade minière de la banlieue ouest de Saint-Étienne. Si son chevet est en pur style romano-byzantin, son clocher conserve une allure néo-médiévale : haute tour carrée couronnée d’un étage sommital reposant sur des mâchicoulis.

magdalas.jpg

Le XIXe siècle vit aussi refleurir beaucoup de ces petites constructions excentriques que l’on nommait au siècle précédent des « folies », ou des « fabriques de jardin. » La nuance entre les deux est qu’une folie pouvait servir d’habitation temporaire, contrairement à la fabrique qui ne servait que d’ornement, à la rigueur de belvédère. C’étaient des pièces d’architecture sans fonction essentielle, purement décoratives, où s’exprimaient la fantaisie et la richesse de leur propriétaire. La Tour Magdala, comme son homologue l’orangerie, répondent totalement à ces définitions. Parmi les plus célèbres de ces édifices on peut citer la Broadway Tower, en Angleterre dans le Worcestershire, élevée en 1799, avec qui la Tour Magdala offre d’ailleurs certains traits de ressemblance. Il y a aussi la Tour de Robinson, dite encore Tour Saint-Jacques, au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), construite fin XIXe dans le quartier des guinguettes. Ou encore la tour du domaine de Pinon (Aisne), finie d’édifier en 1895 pour abriter une collection d’armures.

Les régions à la fois industrielles et champêtres comme le pays lyonnais se prêtaient particulièrement à ces pavillons de plaisance. De riches entrepreneurs, ayant fait fortune dans les mines, la métallurgie, la soierie ou la rubanerie, se faisaient construire de somptueux châteaux dans des parcs arborés, sur les coteaux de vallées au fond desquelles s’entassaient leurs usines et les pauvres habitations de leurs ouvriers. Souvent ces parcs s’agrémentaient de fabriques de jardin qui rivalisaient d’extravagance avec celles de leurs voisins.

On peut évoquer par exemple la Tour Malakoff dans le parc du château du Mollard, sur les hauteurs de Rive-de-Gier (Loire). C’est la plus curieuse des fabriques élevées par le maître des lieux, qui avait donné à chacune d’elles le nom de l’une des victoires de Napoléon III. C’est aussi l’une des nombreuses Tour Malakoff de France, toutes édifiées fin XIXe pour commémorer la prise de la Tour Malakoff de Sébastopol, lors de la guerre de Crimée, en 1854.

Tours néogothiques, folies ou fabriques de jardin, un certain nombre d’entre elles, en ce pays lyonnais, semblent constituer les reflets de la Tour Magdala de Rennes-le-Château…

Patrick BerlierReflets de Rennes-le-Château en pays lyonnais, pour les Chroniques de Mars – Janvier 2011


Avec une préface de Franck Daffos.

* * *

(1) : Y a-t-il une spiritualité néogothique ? – Réflexions sur un « passage à l’acte », Sociétés & Représentations 2005/2, N§ 20, p. 41-58. Lire aussi : Le rêve pour tous : néogothique entre art et industrie par Jean-Michel Leniaud, Sociétés & Représentations 2005/2, N§ 20, p. 120-132.