Nous nous intéressons à des cultures qui véhiculent un savoir. Deux d’entre elles , en particulier la langue française et la tradition astrologique. Il ne faudrait pas croire, en effet, qu’une culture est autre chose qu’un mode de communication que l’on pourrait comparer à une «auberge espagnole », chacun y trouvant ce qu’il a lui-même apporté.

De nos jours, une langue n’est pas censée comporter un savoir, elle n’aurait pour objet que d’exprimer ce que tel locuteur veut dire. C’est ce que nous appelons le stade du miroir. Même un mot peut vouloir dire le contraire, dès lors qu’il est dans une phrase négative (il n’est pas grand) ou d’un préfixe négaif (c’est impossible) La langue par sa richesse lexicale même permet de rendre d’infinies nuances. Tout cela tendrait à relativiser l’usage de tel ou tel mot et à privilégier le contexte qui, lui-même, déterminerait le « signifié ». Mais le rôle du linguiste ne devrait-il pas se situer sur un autre plan, à savoir déterminer si les langues ont quelque chose à transmettre à l’Humanité par delà un mode d’expression au service de celle-ci…

On entend souvent que l’astrologie est un langage. Qu’est-ce à dire ? Qui parle à travers ce langage ? L’astrologie ou l’astrologue ? Si c’est l’astrologue, celui-ci ne ferait que refléter ce qu’il perçoit et ce qu’il comprend. Mais dans ce cas, dans quel sens s’opérerait la traduction ? Traduction des données astrologiques brutes en un langage accessible au client ou bien, au contraire, formulation astrologique du vécu du client ? Dans le premier cas, on aurait la consultation astrologique, dans l’autre, le cours d’astrologie, qui sont les deux principales sources – commerciales – de financement de la « communauté » astrologique. Or, la recherche astrologique ne correspond à aucun de ces cas de figure. Elle vise à déterminer si l’astrologie a réellement quelque chose à enseigner à l’Humanité ou si elle n’est qu’une façon de dire les choses autrement.

I – Le message de l’Astrologie

On nous objectera qu’il est évident que l’astrologie est supposée avoir des choses à nous dire, que c’est bien pour cela qu’on interroge l’astrologue ou qu’on apprend l’astrologie. Mais ne s’agit-il pas dans le cas de la consultation comme dans celui du cours, d’une apparence, d’un simulacre ? C’est un peu comme pour les Centuries de Nostradamus, cela marche surtout après coup, post « eventum », surtout quand certains quatrains sont interprétés, produits ou en tout cas retouchés a posteriori. La règle du jeu, en réalité, consiste, pour l’échange astrologique, à demander à la personne de se reconnaître dans ce qu’on lui annonce, astrologiquement ou à l’astrologue de vérifier que ce qu’il a annoncé selon son système, correspond à une quelconque réalité sur le terrain. Dans un cas, c’est au client d’apprécier, au regard de ce qu’il sait ou se souvient de lui-même, dans l’autre, à l’astrologue, en son âme et conscience, au regard du savoir astrologique dont il dispose.

Mais comme nous le disions, la recherche astrologique, c’est quand même autre chose, cela demande une certaine transparence qui fait cruellement défaut en pratique, ce dont on se rend compte à mesure que l’on prend connaissance de l’ampleur et de la complexité de « l’outil » astrologique.
La théorie des Grandes conjonctions qui représenta le fer de lance de l’astrologie, des siècles durant, avait le mérite d’une certaine simplicité. Tous les 20 ans, il y avait une nouvelle conjonction de Jupiter et de Saturne et entre deux conjonctions, rien. On résistait à la tentation des subdivisions, du découpage. Cette théorie conserva un certain crédit au moins jusqu’à la fin du XVIe siècle, puisque Jean Bodin l’intégra dans un chapitre de sa « République », ouvrage non astrologique qui connaîtra nombre de rééditions et traductions (en anglais, en allemand etc.). Est-ce que l’astrologie contemporaine trois cents ans plus tard dispose d’un modèle équivalent que chacun puisse comprendre, qu’il soit ou non astrologue de formation ? Quand les astrologues répondent à leurs critiques « sceptiques » qu’ils doivent d’abord aller apprendre l’astrologie, qu’est-ce que cela peut signifier ? N’est-ce pas l’aveu que l’astrologie est devenue une usine à gaz, un invraisemblable alambic, un labyrinthe dans lequel l’astrologue, lui-même, a du mal à se repérer, un indescriptible fourre-tout dans lequel l’astrologue va piocher ce qui lui semble le mieux convenir pour la circonstance ?

Il importe en effet que l’astrologie échappe à l’astrologue, qu’elle devienne un objet dont tout le monde a la garde, une « res publica ». (ce qui a donne la République, une chose publique, en latin), ce qu’elle fut très vraisemblablement à l’origine. Il est bon que les informations permettant de valider l’astrologie soient sur la place publique (le forum) et non dans le secret des mémoires individuelles, personnelles, que les dites informations liées à un modèle unique et d’une grande pureté de « design » soient débattues par toutes sortes de spécialistes, dans leurs domaines respectifs d’expertise. Bref, il importe que le « signifiant’ astrologique c’est-à-dire le modèle de référence mis en avant- soit stabilisé et cesse d’être insaisissable et protéiforme. Car le problème, pour rester dans le champ de la linguistique, c’est que la forme même de l’astrologie actuelle est … difforme, en constant état de mutation. On nous dira que le monde change. Certes, mais au regard de l’astrologie, ces changements sont réguliers et récurrents ou du moins ce sont ceux-là qui intéressent au premier chef l’astrologie, les autres relevant de perturbations non nécessaires et qui sont vouées à être corrigées, redressées.
C’est ainsi que l’on parviendra à dégager un propos astrologique qui sera autre chose qu’une façon de dire autrement les choses, ce qui peut, reconnaissons-le, peut avoir une certaine valeur thérapeutique, en ce que l’on contourne ainsi les défenses, les blocages, les préventions.

II – Le message de la Linguistique

Dans notre autre exemple, celui des langues – et l’on pourrait aussi parler des astrologies, au pluriel- dans bien des cas, le plan du signifiant, de la forme, est chaotique tandis que celui du fond, du signifié, ce que l’on fait dire aux mots, offre une certaine cohérence sémantique. Là encore, tout se passe comme si les langues n’existaient que par le truchement de leurs locuteurs.

Comment, nous demandera-t-on, une langue pourrait-elle avoir son propre contenu à moins d’inclure dans l’idée de langue tout ce qu’on va plaquer sur les mots, leur associer ? Est-ce qu’une langue aide aussi à penser et pas seulement à communiquer, les deux choses n’étant pas identiques, loin de là? Pour comprendre quel est l’enjeu, encore faut-il, comme on l’a déjà laissé entendre, que l’on sache distinguer entre signifiant et signifié, le signifié étant le plus souvent un placage qui est souvent un emprunt, tout comme l’astrologie a récupéré divers savoirs pour donner l’illusion d’un savoir intrinsèque et dont on croit qu’ils font partie intégrante de celle-ci.

Or, ce qui nous intéresse, ce n’est pas le signifié ainsi importé et plaqué mais un autre niveau de signifié qui découle directement des signifiants tout comme en astrologie nous intéresse un signifié qui est en quelque sorte secrété par le signifiant, une sorte de signifié essentiel, si l’on veut dont il semble que Saussure, l’inventeur, il y a un siècle (1913), de cette polarité n’ait pas pris la véritable mesure. Il y a en effet une interface entre signifiant et signifié et c’est du fait même de cette interface qu’a pu se greffer le signifié sur le signifiant. Il y aurait comme un « noyau dur du signifié intimement lié au signifiant et dont le signifiant serait en fait le corollaire et la contrepartie.
On ne peut suivre notre propos qu’à condition de travailler sur un corpus « sain », purifié et non sur un ensemble hybride, hétérogène, gâté par toutes sortes d’emprunts et de synonymes qui empêchent de faire apparaître un parallèle entre signifiants et signifiés, qui ne permettent pas de faire ressortir des récurrences. C’est ainsi qu’en astrologie (cf. supra), un même signifiant associé à des dates diverses impliquera une certaine similitude entre les dites dates au niveau de ce qui s’y produira. Mais encore faut-il s’entendre sur ce que peut être un tel signifiant, au prix d’une décantation draconienne. En linguistique, les mots qui se ressemblent sont censés avoir la même signification ou en tout cas constituer un même champ sémantique ou mieux encore morphosémantique. L’idée que des mots appartenant à un même « signifié » puissent correspondre à des signifiants dépareillés et n’appartenant pas à une seule et même dérivation fait problème.

Selon nous, tous les signifiés associés à un même série de signifiants constituent un seul et même champ morphosémantique. Selon nous, relier des signifiants différents- c’est-à-dire ne relevant pas d’une seule et même racine- n’est pas pertinent et ne correspond pas à l’organisation interne de la langue concernée.

On aura compris, que dans notre approche, la notion de différence est relative. Il est quand même bon de le préciser quitte à dire des évidences : tout le monde nous accordera que la conjugaison ou la déclinaison n’introduisent que des variations mineures : pour nous je mange et tu manges appartiennent à un même champ, leur différence est secondaire même si au sein du dit champ elle fasse tout à fait sens. Mais nous étendons la notion de morphologie au-delà des questions dites grammaticales et c’est pourquoi nous parlons de morphosémantique. La préfixation ou la suffixation font partie intégrante de notre idée de la morphologie en linguistique, à commencer par les marqueurs de négation, par préfixation ou par adjonction. De même qu’en astrologie, nous sommes invités à réfléchir sur ce qui est commun à des événements correspondant à un même signifiant (comme dans le cas de telle ou telle conjonction, cf. nos travaux sur ce sujet) – travail qui au demeurant est rarement poussé très loin chez les astrologues, de même en linguistique, nous sommes priés de rechercher ce qui unifie le dit champ morphosémantique.

Or, de même que nombre de langues se prêtent difficilement et malaisément à une telle requête, de même nombre d’astrologies ne passeront guère un tel test en raison même de leur caractère hybride et de leurs redondances et doubles emplois, qui correspondent en linguistique à la synonymie. Dans le domaine des langues (cf. notre projet Astrologia Gallica), le français et l’anglais sont deux langues qui se situent à l’opposé l’une de l’autre. Les champs morphosémantiques de l’anglais sont très perturbés et donc peu opérationnels du fait même de l’emprunt massif au français, sur près d’un millénaire. (depuis 1066 et Guillaume le Conquérant). Nous pourrions fournir des kyrielles d’exemples, dont nous avons traité ailleurs.

Selon nous, le XXIe siècle devra et devrait favoriser les langages savoirs sur les langages miroirs du simple fait que l’on ne tolérerait pas que des machines soient construites avec une telle incurie comme l’astrologie actuelle ou l’anglais actuels. Rappelons d’ailleurs la part de l’astrologie d’expression anglo-saxonne quant à la forme actuelle de l’astrologie. Ce n’est peut être pas une coïncidence.

En conclusion de ce petit « manifeste » d’inspiration quelque peu futuriste, nous dirons que nous ouvrons la voie à une nouvelle idée de l’archéologie du savoir ( Michel Foucault), impliquant un nettoyage (Ecuries d’Augias, un des travaux d’Hercule) de tout ce qui vient parasiter la structure centrale et parfois se faire passer pour la dite structure ou comme appartenant de plein droit à celle-ci, afin de retrouver la propreté/propriété originelle. Que l’on nous comprenne bien, cette structure originelle est elle-même issue d’un matériau auquel elle confère une forme, tout comme l’astrologie donne forme à l’astronomie. (Voir ce que nous avons écrit sur le trio matière-forme-sens) mais elle ne saurait pour autant être noyée par les emprunts. On doit en effet distinguer source et emprunt. Le latin est la source du français- et pas seulement du français- mais il est, pour l’anglais, un emprunt commis par une langue germanique et d’ailleurs pas seulement pour l’anglais. Il nous importe peu que l’anglais prononce les mots français à sa manière, qu’il leur accorde des significations particulières, qu’il les traite selon une grammaire qui lui est propre – encore faut-il le dire vite étant donné que la grammaire de l’anglais traite les mots français de façon différente ou encore qu’elle traite les mots anglais comme elle traite les mots français (1). L’anglais est une langue malade, bâtarde tout à fait indigne de son statut de langue de l’humanité, à moins de se faire une idée assez morbide de la dite Humanité. Une des grandes tâches du siècle qui commence consistera à évacuer cette langue ou à n’en conserver que les parties saines. En attendant, par son exemple, elle risque fort de contaminer toute l’épistémologie des sciences humaines, à commencer par l’Astrologie. Plaignons l’enfant qui s’initie au monde par le biais de l’apprentissage de l’anglais – la pire des initiations – et qui est condamné à renoncer d’entrée de jeu à se fier à la forme des mots pour ne plus accorder d’importance qu’à leur sens, lequel n’est sous tendu par aucun réseau cohérent de signes, ce qui est cause d’abrutissement (2).

On nous parle de synonyme mais qui est synonyme de qui, on n’en sait plus rien, qui se substitue à qui ? On finit par mélanger ce qui est au centre et ce qui est à la périphérie. Et c’est bien là le problème de l’Astrologie que de ne plus savoir ce qui a été ajouté, ce qui est supplétif et ce qui est fondamental. Le peuple, de nos jours, sait faire entendre sa voix (Vox Populi). C’est à lui qu’il faut s’adresser pour régénérer les langues et les savoirs. Retrouvons le goût de la simplicité, des langues qui ne découplent pas la forme et le sens, des savoirs qui sont francs et non tordus comme l’astrologie actuelle avec ces cas toujours différents, où l’on coupe les cheveux en quatre. Il ne s’agit évidemment pas de dire que les choses se répètent littéralement mais qu’il y a des similitudes profondes entre les choses qui ont lieu. Apprenons à rapprocher les choses qui s’inscrivent dans une même forme.


Jacques HALBRONN

[1] « Langue et Culture. Essai de description critique du systéme du français à la lumière des relations interlinguistiques » (1989) et « Linguistique de l’erreur et épistomologie populaire » (1987).

[2] Nous avons été formés par notre grand-mère maternelle, Claude Jonqiuière (1885-1957) auteur d’une méthode d’orthographe du français qui exploitait pleinement la logique exemplaire de la construction du français.