Pourquoi pas ? Dans son œuvre, comme dans son exégèse, la bête revient souvent. Marie la Louve, Le Conteur de Loup, « Entre Diable et Loup », Les Loups verts. Animal à la fois réel, magnifié, réinventé, issu tout autant des sombres et inquiétantes histoires que lui racontait sa grand-mère périgourdine au coin d’un feu chassant les humidités d’automne, que senti, perçu, imaginaire mais mythique, issu d’un inconscient pas si collectif que ça, d’un côté descendu du panthéon de légendes nordiques qui pétrissent aussi notre fond gaulois, et de l’autre jailli des entrailles peut-être diaboliques que la terre nourricière de l’imaginaire paysan laisse deviner tout au fond des sillons, seuil et lieu de passage vers un ailleurs sur lequel l’absence de dires certains laisse planer de funestes suppositions.

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Alors que Claude Seignolle, puisque c’est de lui dont il s’agit, est depuis pas mal d’années déjà enseigné dans les écoles, qu’un nombre assez considérable d’études universitaires lui sont consacrées, qu’il est l’objet de colloques, je suis sûr que beaucoup d’entre vous n’en ont jamais entendu parler. Pourtant, il vous regarde encore, du haut de ce qu’il aime appeler ses « quatre-vingt-douzièmes rugissants », tel une sorte de dieu païen, d’un air mi-narquois, mi-compatissant, mi-amusé (ça fait trois moitiés, mais c’est normal chez un homme multiple et facetté…).

De province en roman, de nouvelles en terroirs, Claude Seignolle a écumé la France et surpris la littérature. Il est notre écrivain fantastique. Et un peu plus : on ne rentre pas dans son écrit. On entre en lui comme on entre en religion. Ce ne sont qu’éloges et dithyrambes de la part de ceux qui l’étudient. Lui les possède, et eux deviennent drôles, se retrouvent, stylo ou clavier en mains ou en doigts, comme en état second. Peut-être, après tout, est-il un peu sorcier…

3-9.jpg Le rôle de l’écrivain et celui de l’ethnographe, archéologue des vieilles pierres, archéologue des dits perdus, compteur de contes, archiviste des superstitions, historien des idées et passeur de mémoire, peseur d’âmes aussi parfois, sont indissociables dans le temps et le plus souvent indissociés dans l’œuvre romanesque. C’est bien pourquoi il faut aller aux sources, piocher dans le riche corpus de ses études folkloriques, réservoirs d’un monde qui s’est déjà enfui, abandonnant les terrains potagers au bitume des zones commerciales, les cultivateurs aux OGM, les traditions locales aux rayons d’une brocante que les amateurs englués d’immédiateté ne fréquentent plus que de loin en loin.
Si notre auteur s’est arrêté d’écrire à 59 ans, soit près d’un tiers de siècle, il gère avec soin, et pour notre bonheur, son patrimoine littéraire. Au jour le jour. Et, d’année en année, les rééditions apparaissent, peu ou prou remaniées, réordonnées, sous des titres quelquefois nouveaux pour les recueils de nouvelles, nous donnant l’impression qu’on a toujours à lire. On n’aura, de fait, jamais tout lu avant longtemps.

Une « intégrale » des romans et nouvelles est sorti en 2001-2002 chez Phébus. Chez Omnibus, on pourra trouver les Contes, récits et légendes des pays de France. Les éditions Hesse, où on trouvera tant des écrits de Seignolle que des écrits sur lui, viennent juste de rééditer un monument de 430 pages, Le Folklore de la Provence, assorti, heureuse nouveauté qui bonifie l’instrument de travail, d’un index de 11 pages des communes citées.

Merci Claude.


Michel MOUTET

© Michel Moutet et Mara McLaren
pour les « Chroniques de Mars » No 6.

Note // C’est Claude Seignolle qui m’a suggéré d’intituler cet article « Le meilleur des loups ». Ecrit à l’origine, en 2008*, pour Dimanche Saône-et-Loire sous le titre « Le meneur de loups », il n’a pas été publié suite à la disparition de la chronique de Michel Granger dans laquelle il devait paraître.

* On est donc aujourd’hui dans les « quatre-vingt-quinzièmes rugissants » !