Créer une maison d’édition, c’est sans doute, un peu, comme bâtir une cathédrale. Il faut d’abord savoir creuser un trou pour bien faire. La fosse de Babel. Au début on voit seulement un trou. Un trou qui servira bientôt de fondation. Un trou sans bas-côté ni forme définie. Un trou qui tient tout seul sur le rebord envieux d’une conscience en forme d’oiseau lyre. Une clairière encore qui croit, absolument, en la métempsychose des mots. De ces mots magiques enluminés à la feuille d’or qui créent des fleurs, des sources, des signes oghamiques venus d’un autre temps, des paysages endormis sous le pinceau gorgé d’encre sombre du calligraphe du bout du monde. Un pacte aussi avec la littérature, pour laisser un signe de reconnaissance à Nerval et ses amis.
Créer une maison d’édition c’est encore creuser un trou béant comme une hémorragie pourpre, une cavité roque, sans fond, emplie au cœur des joies et des peines en devenir. De ces joies qui feront un jour des livres à lire avec des auteurs alliés et des lecteurs enthousiastes. Et de ces peines qui sont celles, ni plus ni moins, des trahisons des prétendants, des faux-disants, des vrais-semblants, des gnomes hurleurs avec les loups des steppes, des copie-colleurs sans vergogne et des amuseurs publics… Un trou, en forme de cercle abandonné parmi les ronces – ou de zéro – sans rebords, ni vide ni plein ni délié, une caverne à demi abandonnée. Une anfractuosité de circonstance écrite en majuscules au son des flûtes traversières. Sepher – le livre – Sephira, déesse de l’intelligence et de la créativité, émanation divine d’après la Kabbale, zéphir ou souffle de lumière émanant de la bouche d’ombre du Père… En qui croire si ce n’est en la vertu cardinale des mots qui ensorcellent.
Un regard qui voit au loin et qui sait que le sentier qui mène tout là-haut, à Montségur, n’a pas de repentir. Évidemment, expliquer aux uns et aux autres que ce « trou » sera un jour une « tour » n’est pas chose aisée. La tour, figure sémantique et symbolique du renversement des pôles, des choses rêvées qui ont pris corps dans l’obscurité, de l’ombre à la lumière, la tour a maintenant son équivalence dans l’éther et les oiseaux de passage qui, au loin, croyaient distinguer une forme sans forme aperçoivent maintenant un phare dans la nuit. « Il faut savoir creuser la terre pour monter au ciel. »
Créer une maison d’édition c’est beaucoup plus que de passer une seule saison en enfer. Mais aujourd’hui, à l’heure ou l’architecte se retourne, onze ans ont passé, et l’hypogée a finalement pris une apparence étonnante. La silhouette attendue d’une bibliothèque amie aux élans de pyramides anciennes et de cathédrales gothiques. Aux élans seulement, mais quelle joie alors de partager dans le regard de nos lecteurs la fraternité reconnaissante des compagnons du devoir accompli.
À tous ceux qui se reconnaîtront ici, aux frères d’armes comme aux frères d’âmes,
Le Grand salut de Lure.
ARQA // Thierry E. Garnier