Cher Monsieur,
Dans votre dernier courrier, vous insistez sur la transmutation des métaux comme aboutissement de notre art et sur les considérables avancées des sciences actuelles. Voici ce que je peux vous répondre.
Connaissant sans aucun doute parfaitement ces « procédés transmutatoires » – ils sont à la fois l’école primaire de l’art et les examens de passage – il est incontestable que les Adeptes s’en sont servis maintes fois durant le cours de l’histoire, afin de masquer le Grand Œuvre et de reconduire ainsi les inopportuns, les avides, les touristes et les bavards. Je vous signale aussi que certaines spectaculaires transmutations n’ont pu s’effectuer que par une subreptice introduction dans la « formule », généralement iatrochimique, d’un sel de nature, issue de précédents et fort différents travaux. Une de ses particularités est qu’il fige le mercure des thermomètres. Sans cela, les complexes et dangereux travaux, que sont sensés révéler une foule de textes et de recettes, n’aboutissent que rarement. J’ajoute que les Adeptes possédaient mille autres techniques, dont certaines d’une incroyable simplicité, afin de capter « les Forces » que dispensent la terre, le soleil et la lune. Sur l’intérêt des investigations chimiques et autres, on ne saurait pas cependant, par inculture où élitisme, tout rejeter en bloc des avancées de ces modernes, et partant de ce fait, je me sers parfois de ces théories et découvertes, par commodité de langage, en empruntant à quelques écrits exceptionnels.
Par exemple, je peux dire avec Charles Laville, « qu’il y a dans la nature des chocs et des énergies périodiquement rythmés, une mobilisation de tous les efforts à une allure parfois quantique », etc. On peut dire avec M. Pétrovitch, « que l’on peut établir une sorte de mécanique générale des phénomènes et que l’ont peut ainsi ramener à une unique base un grand nombre de théories et de constats, dénués selon toute apparence de rapport mutuel », etc. Mais qui de nos jours a lu C. Laville, Pétrovitch, F. Warrain, C. Henry, H. Wronski, ou bien l’incontournable ouvrage de l’auteur Russe, Ya. E. Gueguzin, « Le cristal vivant » et j’en passe bien d’autres ? Il est vrai qu’une vie n’y pourrait suffire. Bien qu’il ne s’agisse pas dans ce cas d’alchimistes, ces chercheurs peuvent cependant aider à comprendre, parfois bien mieux que bien des antiques traités – en sachant que la plupart n’ont pas été écrits par les Adeptes eux-mêmes, ou uniquement par des Adeptes pour d’autres Adeptes – pourquoi et comment la vie se développe à travers le temps, (la nature effectue la majorité de ses productions à force de temps), l’espace, la quantité, (poids minimum de la ou des matières mises en jeux ; disposition adéquate du tellurisme local), et en qualité, (pureté des corps, énergétique des saisons), etc. Ce sont là, le temps et l’espace, deux moyens d’action qu’exercent l’Esprit (du Saint-Esprit à l’universel et jusqu’à celui du sujet, sans négliger les relations, sans les confondre et confondre les qualités), pour établir l’ordre dans le chaos.
Transmuter en or, c’est transfuser et coaguler la lumière dispersée et enfouie au centre d’autres métaux, plus celle inépuisable qui provient de tous les coins de l’univers. Cette « lumière de la nature » ne peut s’extraire, au départ, que de deux corps privilégiés entres tous et en synchronicité avec cette « lumière intérieure », dont l’Artiste doit précédemment avoir fait provision tout autant, si non bien plus, que le sel de rosée, le fameux vitriol, les régules étoilés, etc. Une fois ces deux lumières unies, et seulement, le destin permet d’ouvrir les portes les plus secrètes de la nature et de la vie. J’entends, qu’il faut s’être longuement, très longuement et au préalable, penché sur l’Ergon, pour avoir quelque chance de voir progresser le Parergon, et ce n’est que bien plus tard que les deux se rejoignent ou progressent de concert. Progressent de concert, retenez bien ce principe. Sans cela, quels que soient les exploits et la quantité de « petits poissons », ces fameuses Rémores, péchés dans la « mer des philosophes », les connaissances et le labeur, on reste sur les marches du temple. Cette école, popularisée de nos jours, est une voie de grand soliste. Je le redis, de grand soliste. Réfléchissez à tout ce qui peut s’envisager comme don et travail préalable pour en arriver à ce point sans ennuyer ou faire rire.
En ce qui concerne la chimie, sa connaissance et sa pratique s’avèrent nécessaires, comme l’affirment Cyliani et Cambriel, sans aller cependant jusqu’à y inféoder le Grand Œuvre. Ne le perdez jamais de vue, la chimie et toutes les pyrotechnies se terminent où commence l’alchimie. Bien que la chimie que pratiquaient les anciens n’ait que peu de choses à voir avec la nôtre, cela évite biens des ennuis et de fausses joies, en réinventant tout simplement la poudre à canon, le cinabre ou une poudre rouge, juste bonne pour tuer les cafards. Je n’insisterai jamais suffisamment sur ces points. Notre chimie se révèle et entre dans le cadre d’une autre théorie que celles qui régissent les molécules tamponneuses.
Une des différences avec les investigations modernes de la nature et de l’univers, tient au fait que se trouvent inclus dans les écrits et les pratiques de nos prédécesseurs, non sans raison, du début à la fin, une grande inconnue, une énigme vivante et hors du commun, sans la résolution préalable et la prise de conscience de laquelle, l’univers et ses productions ne sont plus que des cadavres, que l’on autopsie ou que l’on torture, et d’absurdes machines. Ce fait hors du commun, lequel à la fois précède, collecte, emporte et élève vers une hauteur insoupçonnable, un devenir inédit toute la nature, ou bien l’affaisse irrémédiablement, a une désignation : Un homme, une conscience, un corps, un observateur respectueux et attentif, déjà situé lui-même au juste milieu entre le haut et le bas. Entre donc en jeu ici, non seulement une connaissance approfondie des sympathies et des antipathies symboliques et naturelles entre les corps de la nature mais aussi – il ne faut jamais avoir peur de le dire – une « qualité spirituelle », une lumière intérieure propre à l’artiste. La raison en est simple : c’est cette lumière intérieure qui constitue le tronçon manquant, sa verticalité, l’autre dimension de la croix du feu secret que l’on emploie du début à la fin de l’œuvre…
> Le Grand Œuvre dévoilé – (extrait)]
En Hors Collection // Présentation de l’ouvrage :
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Le GRAND ŒUVRE DÉVOILÉ
avec une préface de François Trojani
Vient de paraître aux éditions ARQA.