« Dimanche dernier, sur le Pic, des randonneurs ont eu la surprise de croiser un homme nu en prière… ». Jean-Pierre Delord, le maire de Bugarach, cite cette anecdote sans surprise, l’air blasé, d’un ton quasi zen. Ce genre d’incident, il a fini par s’y habituer.
Cela dit, invoquer dans le plus simple appareil les nuages, le soleil ou quelque autre entité climatique, astrale, éthérée, gazeuse et machin chose, pourquoi pas ? Le naturiste orant ne gêne personne, excepté les âmes au regard prude peu versées dans le mysticisme intersidéral.
L’irrationnel enfle avec Internet.
« En fait, depuis quelque temps, ce que je crains surtout, ce sont ces gens qui croient à la fin du monde. Selon des… Comment les appeler ? Prophètes ? Devins ? Je ne sais pas… Enfin bref, selon eux, notre village fait partie des sites terrestres qui seront épargnés par le cataclysme final du 12 décembre 2012 ! Résultat : des gens cherchent à réserver des maisons à Bugarach. Et avec Internet, le mouvement prend de l’ampleur. Un riverain qui veut vendre en a d’ailleurs profité pour faire monter le prix de sa maison ».
Les seuls à rester incrédules sont les Bugarachois, tel un village d’irréductibles réalistes face à une vague (pour l’instant une vaguelette ?) apportant, sur sa crête, des surfeurs venus du grand large de l’irrationnel.
Soucoupes volantes souterraines.
Gilbert Cros, l’adjoint au maire, hausse les sourcils d’étonnement : « Quand j’étais un enfant, j’entendais des histoires de sorcières, de loups, de marchands de peau de lapin, de vagabond qui enlevait les petits enfants pas sages, etc. Les peurs ancestrales, c’est classique. On connaît. Mais là, toutes ces histoires de soucoupes volantes basées sous le Pic et j’en passe, c’est nouveau ».
La genèse de l’histoire ? « Oh, ça doit dater d’une quarantaine d’années », estime Jean-Pierre Delord : « C’est un néorural passionné d’eau salée qui est à l’origine des légendes. Il disait percevoir le vrombissement des moteurs d’engins interstellaires provenant des profondeurs de Bugarach… Je me souviens même qu’il avait écrit un article dans une revue d’ufologie ».
Gilbert Cros confirme : « Il osait même affirmer que des hommes vivaient sous les sources des fontaines salées. Selon lui, ces hommes allaient générer une nouvelle société et ils attendaient leur heure avant de sortir au grand jour… »
Avant Internet, cet imaginaire mal contrôlé digne d’un roman de science-fiction restait confiné dans un cercle d’initiés. Mais avec la toile, il s’est élargi.
L’ombre du Temple solaire.
De temps en temps, des stages organisés par des associations mystérieuses proposent des thèmes aux intitulés complexes (du genre : comment ressourcer intégralement ses racines cosmo-énergétiques prénatales) : « Et les stagiaires viennent dans de grosses cylindrées. Ça sent la haute société friquée : des Français, des Espagnols, des Belges, des Anglais… »
Bien sûr, Bugarach n’a pas la capacité hôtelière d’accueillir les futurs survivants de l’effondrement général du 12/12/12. Ce jour-là (ou ce soir-là), il faudra prévoir une grillade avec animateurs socio-galactiques, histoire de distraire les rescapés venus s’exiler volontairement de leurs quartiers chics.
Jean-Pierre Delord aimerait sourire de tout ça. Mais face à un tel phénomène, quand on est maire d’un petit village, les moyens sont limités pour agir et contre-attaquer. « Ce fameux 12 décembre, quand ils verront qu’il ne se passe rien, beaucoup seront déçus. Qui sait ? Quelques-uns seraient même capables de se suicider. Ça s’est vu ailleurs. Souvenez-vous du Temple solaire… ».
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