L’humanité aura dépensé des trésors d’ingéniosité face à la pénurie. La pauvreté, le manque l’auront immensément inspirée, tout au long de son Histoire. Comment apporter un plus à quelque chose qui n’a qu’une faible valeur en soi ?. C’est la « valeur ajoutée » et cet ajout conduit à des produits hybrides, inclassables dont la restauration actuelle n’est que la continuation. On combine deux produits isolément immangeables et on en fait un « plat » apprécié. Généralement, c’est l’association entre un produit insipide (pomme de terre, pâte, chou) et un ingrédient que l’on ne peut consommer tel quel (sel, épices, sauce, crème, sucre etc).
Mais cela vaut aussi sur le plan intellectuel. Le langage est un bon exemple de telles combinaisons : il est le plus souvent insupportable d’entendre quelqu’un réciter un texte dans une langue que l’on ne comprend pas alors que l’on pourra prendre plaisir à écouter de la musique instrumentale. Ce qui manque à une langue qui nous est étrangère, c’est ce que les linguistes appellent le « signifié », ce que nous captons dans une langue que nous ignorons, c’est le « signifiant ». La qualité du signifiant en elle-même est pauvre, elle est du même ordre que les produits de base des diverses cuisines dans le monde quand ceux-ci ne sont pas agrémentés d’adjuvants.
Si l’on prend le cas de l’astrologie, nous avons des planètes qui en elles-mêmes sont un matériau, vu de la terre, assez quelconque, nous avons des subdivisions stellaires, zodiacales, qui ne veulent pas dire grand-chose par elles-mêmes, du moins tant qu’on ne leur a pas affecté de significations spécifiques, c’est-à-dire de « signifiés ». C’est toute la différence avec le soleil dont la présence n’exige aucun commentaire pour « signifier ». et qui est à la fois signifiant et signifié, tout comme un fruit bien mûr n’a besoin d’aucune adjonction d’aucune sorte, se suffisant à lui-même. Toute adjonction est en quelque sorte « salissante », en ce sens que l’on n’accède plus à l’objet propre tant qu’on ne l’a pas évacuée. En fait, de cette adjonction naît une chose nouvelle, composite qui, en quelque sorte, prend la place de la chose ancienne.
La comparaison entre la « réalité » solaire et celle des planètes et des étoiles est très parlante, surtout quand on cherche à différencier les astres entre eux, à les distinguer. L’on peut certes leur affecter des appellations, des étiquettes différentes mais il s’agit bien là d’un processus additif, ce qui nous fait passer sur le plan du signifié. Quel décalage entre l’objet ainsi désigné et le nom souvent mythologique, héroïque qui lui est affecté. Par la magie des mots, des objets parfaitement interchangeables se voient ainsi affecter des significations radicalement distinctes ! Il est vrai qu’à force, l’on ne voit plus les dits objets, les dits « mots » – car les mots qui désignent ces astres ne veulent rien dire par eux-mêmes en tant que signifiants- sans les associer immédiatement à quelque signifié.
Une chose est certaine, c’est que toute cette « cuisine » est artificielle, en quelque sorte contre nature, qu’elle modifie totalement l’objet originel, même si l’on peut dire que cela l’enrichit. Faire un pudding avec du pain perdu, c’est une promotion….Mais quand nos astrologues commencent à nous parler de la dimension universelle de l’astrologie, de l’astrologie comme code cosmique, il y a supercherie tout comme lorsqu’ils assimilent le cas de Pluton à celui du soleil ! Cela fait penser à ces rois qui prétendaient être de droit divin.
Il faut se faire une raison, l’astrologie est une construction humaine tout comme tout raisonnement par analogie. Quand les astrologues cesseront-ils de mettre sur le compte du cosmos l’imaginaire des hommes ? Mais l’astrologie elle-même n’est-elle pas constituée, sous sa forme actuelle, de couches successives de signifiés dont une des manifestations les plus extrême est celle des degrés monomères, à savoir une image par degré du zodiaque [1] ?. On peut ainsi complexifier le monde à l’infini par le biais du symbolisme.
Pour notre part, ce qui nous intéresse c’est de restituer/reconstituer une astrologie dont le signifié serait aussi limité que possible et qui surtout éviterait le piège de la diversification à outrance. Notre formule est la suivante : une seule planète, donc pas besoin de la distinguer des autres par un appareillage symbolique spécifique et deux cas de figure : présence et absence selon son parcours au travers du zodiaque des constellations. Ce zodiaque au lieu de conférer à chaque « signe » un signifié propre, nous le concevons comme constitué d’un processus alternatif, un peu sur le modèle des signes pairs et impairs. Selon nous les classifications des signes en triplicités et quadruplicités ne visent pas à valoriser les 12 signes du zodiaque mais au contraire à s’en démarquer. Les anciens astrologues ont ainsi divisé le zodiaque non pas en 12 mais en trois (feu, terre, air et eau et on recommence)) ou en quatre (cardinal, fixe, mutable et on recommence), évacuant ainsi le référentiel saisonnier. Ce qui est étonnant, c’est que les modernes astrologues en sont revenus à privilégier les planètes en signes, d’où ces exposés sur Pluton en Capricorne, Saturne en balance, alors que les planétes en signes cardinaux devraient ne constituer qu’un seul et même groupe, par delà les considérations équinoxiales ou solsticiales.- ce qu’avait bien compris la Kosmobiologie de l’allemand Reinhold Ebertin. On comprend dès lors que les aspects ne sauraient être dissonants dans le cas du carré et de l’opposition, puisqu’ils relient des signes appartenant à un même groupe, à l’instar des trigones. Carrés et trigones sont des intervalles reliant des astres en position analogue, isomorphe. C’est l’absence de ces aspects qui est dissonante. C’est le non-aspect qui fait problème. Il y a là un énorme contresens de l’astrologie par rapport à son projet initial. La reconstruction syncrétique du corpus astrologique, telle qu’envisagée dans la Tétrabible est totalement ratée et conduite en dépit du bon sens.
En conclusion, nous recommandons une astrologie aussi proche que possible du produit et qui ne va pas étaler des couches de symbolisme en noyant ainsi le dit produit. De même qu’il y a une malbouffe alimentaire, il y a une malbouffe mentale. Nous sommes pour une astrologie « légère » comme l’on dirait d’une cuisine qui respecte le produit. Évitons donc la sauce symboliste et mythologique ! C’est ce qu’avait prôné Jean-Pierre Nicola, il y a un demi-siècle mais il avait peut-être mal envisagé que la division en 12 devait être remplacée par une division en 4 ni que les aspects concernaient le rapport entre une planète et les étoiles balisant son parcours et non les planètes entre elles, et ce faisant il échoua dans sa tentative de réformer en profondeur l’astrologie, d’où deux générations d’astrologues de perdues.
[1] Rappelons que Dane Rudhyar céda à cette vogue avec ses Sabian Symbols.