Si l’on admet notre thèse selon laquelle Uranus représente ce qui est soudain, imprévisible, ce qui peut venir perturber un processus engagé, n’est-il pas surprenant que l’on puisse attribuer un tel caractère à une planète dont le mouvement est régulier et prévisible ?
Un principe, en effet, qui, selon nous, devrait être strictement respecté en Astrologie est celui de l’opposition entre le cours régulier des planètes et les manifestations sporadiques propres à d’autres signes célestes. Comment un astre, donc, pourrait-il incarner ce qui sort de l’ordinaire ? Cela pourrait à la rigueur être le cas des comètes. Notons qu’au départ on prit Uranus pour une comète.
Si les valeurs de Saturne sont celles de rétablir l’ordre normal des choses, ce qui n’exclut aucunement l’existence de cycles aux alternances régulières et en principe se succédant toujours au même rythme – ce que nous appelons changement structurel, non pas changement de structure mais changement inhérent à la structure, a contrario, celles d’Uranus nous semblent par essence ne pouvoir s’articuler sur une quelconque cyclicité. L’Uranus des astrologues ne saurait donc correspondre à celui des astronomes, l’un incarne tout ce qui se situe hors système, ce qui est extraordinaire, l’autre n’est jamais qu’une planète de plus. On peut certes comprendre qu’à l’époque qui suivit la découverte d’Uranus, en 1781, les esprits aient pu être troublés au point d’élaborer un Uranus, facteur de troubles. Tout se passe en fait comme si Uranus avait été traité comme une comète et non comme une planète. Car quand on lit la littérature cométologique, on note que la comète est perçue fort différemment de la planète. La comète est mieux acceptée par les théologiens car du fait même –du moins le croyait-on jusqu’à Halley – que son parcours est imprévisible, elle ne peut être que message divin. On lira à ce sujet les Pensées sur la Comète de Pierre Bayle, dans les années 80 du XVIIe siècle. [1]
En fait, tout phénomène cosmique jugé anormal ou exceptionnel – comme une « nouvelle étoile », telle celle qui défraya la chronique dans les années 1570- appartiendrait à une sorte de théologie cosmique bien différente de l’astrologie. Et Uranus est marqué par un tel caractère que l’on pourrait qualifier de providentiel, de deus ex machina.
Rappelons que la fin du xVIIIe siècle aura également développé la théorie des ères précessionnelles, avec Volney, Dupuis, Delaulnaye, dans le cadre d’une Histoire des Religions. Il s’agissait de la thèse selon laquelle du fait de la précession des équinoxes, le point vernal passait au bout d’un certain temps dans une nouvelle constellation et que les hommes auraient suivi le mouvement en intégrant dans leurs représentations le nouveau symbole zodiacal (taureau/bélier/poissson), le mot précession signifiant une progression à l’inverse de celui du zodiaque [2].
Or, selon un processus syncrétique, ces deux développements, l’uranien et le précessionnel qui se placèrent initialement en dehors de la tradition astrologique, finirent- par s’y trouver intégrer et marquent l’astrologie contemporaine de façon profonde. C’est au cours de la première moitié du XXe siècle que le processus parvint à son comble, avec dans les années trente, la découverte longtemps attendue de Pluton et la parution en France de l’ouvrage de Paul Le Cour, Ganyméde ou l’Ere du Verseau. [3]
Dans les deux cas, nous observons des perturbations du modèle saturnien avec l’émergence de chronologies surdimensionnées, Uranus est trois fois plus lent que Saturne, Neptune deux fois plus lent qu’Uranus, Pluton, trois fois plus lent qu’Uranus et quant aux ères, elles couvrent chacune plus de 2000 ans au sein d’un cycle de 25920 ans. Avec le nouvel âge du verseau, on est passé d’un constat propre à la sociologie des religions à un prophétisme annonçant des temps nouveaux. Étrangement, Uranus s’est trouvé assigné au signe du verseau. D’où l’émergence d’une astrologie urano-aquarienne qui vient en effet perturber l’ordre saturnien. Il est bon que l’astrologie du XXIe siècle se déleste d’un tel boulet. Non pas que les valeurs liées à cette nouvelle astrologie ne soient pas intéressantes en elles –mêmes mais elles relèvent d’autres enjeux, correspondant à une résurgence d’une certaine forme de religieux et de mystique.
[1] Voir notre travail dans la revue Politica Hermetica /
[2] En ce qui concerne la thèse d’Evelyne Latour « La théorie de l’ère du Verseau, depuis les origines jusqu’à Paul Le Cour et ses successeurs (1780 – XXIe siècle) », signalée sur le web comme datant de 1995, il ne nous semble pas qu’elle ait été soutenue.
[3] Voir La Vie astrologique, années trente-cinquante, Paris, Grande Conjonction-Trédaniel , 1995.