Tout chercheur dans le domaine de l’humain doit savoir « déshabiller » les fait bruts et aussi savoir comment les choses peuvent être « habillées » de diverses manières. Il importe de retrouver une certaine « nudité » pour accéder à la réalité basique du monde, faute de quoi l’on risque fort d’être victime des apparences et comme on dit, l’habit ne fait pas le moine. Dans le domaine de la recherche astrologique qui est le nôtre, la problématique de l’habillage est récurrente. Il y a une astrologie qui déshabille et une autre qui habille. Celle qui déshabille ramène la diversité à la dualité et à la cyclicité les plus simples tandis que celle qui habille pose sur le monde un manteau de symboles qui en dissimulent plus ou moins bien la nudité crue. Il arrive que sous prétexte de déshabiller, l’on rajoute des habits…

Ajoutons qu’il est parfois plus facile d’habiller que de déshabiller. Or, pour décrire astrologiquement le monde, il importe de le déshabiller de tout un attirail terminologique qui brouille les pistes. C’est ainsi que beaucoup d’astrologues croient sincèrement que la validation de l’astrologie passe par un croisement avec l’Histoire, la grande comme la petite. De fait, que ce soit au niveau du client privé ou à celui de l’astrologie mondiale, n’a-t-on pas affaire avec de l’Histoire, avec ce qui se raconte, à ce dont on se souvient. Le malheur, c’est que toute histoire est un fourre-tout, ce que d’aucuns appelleraient joliment et par euphémisme,, une « synthèse »
Qu’est-ce en effet que cette « science » que l’on appelle Histoire – et qui prend en compte un ensemble de données disparates tant conjoncturelles que structurelles ? D’ailleurs ce que l’on appelle la « Nouvelle Histoire » tente depuis les années Trente du XXe siècle, de se dégager de l’’événementiel anecdotique pour s’asseoir sur des sciences moins aléatoires comme la démographie, la climatologie, la géographie, les statistiques etc.Le langage courant trahit ce caractère hybride autour du mot Histoire. – les anglais distinguent entre History et Story (une short story est une « nouvelle » en français, on est dans la littérature). » Ne me racontes pas d’histoire :, dit-on. Ne fais pas d’histoires ! qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Histoire de…..Contez-moi votre histoire ! »

D’aucuns parmi les astrologues ont cru qu’une alliance pouvait être conclue entre Astrologie et Histoire, en témoigne l’ouvrage d’André Barbault « Les astres et l’Histoire » (Paris, J. J. Pauvert, 1967). Et puis il y a aussi le problème de l’Histoire de l’Astrologie qui généré également bien des erreurs de perspective, comme si tout ce que l’astrologie avait pu devenir ici ou là, à telle ou telle époque, faisait partie de son « essence » et comme si tout ce qui était inclus au sein d’un certain « canon » astrologique –donnant une fausse idée d’unité – était exhaustif et fiable/viable, notamment pour remonter à ses origines…

C’est au nom de cette relation entre Astrologie et Histoire que les astrologues d’après la défaite de 1940- et dès la période de l’Occupation – comme le belge Louis Horicks [1], comme Henri Joseph Gouchon- s’attelèrent à la tâche d’élaborer un modèle astrologique intégrant les deux « Guerres Mondiales » (World Wars, en anglais on a deux fois le W, ce qui sonne bien), puisque c’est ainsi que les historiens allaient les désigner et donc les associer. Des conflits qui devaient nécessairement être inscrits dans les astres, du fait même de leur dimension « historique ». A grands effets, grandes causes…..semble avoir été le postulat/ Or, les astrologues du XXe siècle avaient providentiellement à leur disposition les planétes transssaturniennes (découvertes successivement en 1781, 1846 et 1930, Pluton, la dernière, quelques années seulement avant la « deuxième guerre Mondiale « (World War Two). Comment auraient-ils procédé sans cette manne récente tombée littéralement du ciel ? On renverra à leurs prédécesseurs, qui se contentaient des conjonctions Jupiter-Saturne, se reproduisant tous les 20 ans. On sait ce que de telles entreprises consistant à considérer des « bouquets » de planètes lentes ont donné. Rien de très concluant en ce qui concerne les cinquante dernières années, avec le recul. En cela nous pouvons dire que l’Histoire s’est révèle un « faux ami » de l’astrologie, en dépit de son appareil chronologique qui semblait faire interface avec l’astrologie. Les deux sciences ne parlaient-elles pas le même langage mathématique ? Et cela vaut aussi pour les individus qui, eux aussi, ont une vie balisée par des dates, à commencer par celle de la naissance qui fait écho à celle de la fondation des villes.

L’idée sous-jacente était de fournir par avance des dates pour le futur qui seraient tout aussi marquantes que pour le passé, tant au niveau individuel que collectif. Sans avoir le plus souvent beaucoup de recul. Et c’est là que le bât blesse.

Un événement récent, nouvellement apparu, se prête en effet aux interprétations les plus diverses, à commencer par celle des astrologues, qui ne sont pas forcément d’accord entre eux dans leur lecture a posteriori sinon a priori. Ce n’est qu’au prix d’une certaine décantation que l’on y voit plus clair.
L’astrologie souffre d’un amalgame entre deux orientations « historiques » qu’elle a prises, l’une consistant à se concentrer sur le structurel, le systématique, le cyclique et l’autre sur le conjoncturel, ce qui vient interférer précisément avec la première orientation. C’est ce qui en fait un savoir hybride et assez inclassable épistémologiquement si on le prend comme un tout d’un seul tenant avec un article défini au singulier, l’Astrologie. Comme l’enseignement de l’astrologie ne distingue pas ces deux formes, les élèves comprennent que leur science leur permet d’accéder à une vision « globale » des choses et c’est en cela que l’astrologie flirte avec la « voyance ». sans en avoir nécessairement les moyens, au niveau parapsychologique.

L’illusion, de la part des astrologues, consiste à croire que l’Histoire est une science rigoureuse et consistante qui se présente sous une forme conceptuellement gérable, tout comme de penser que leurs clients sont parfaitement capables de structurer leur vécu, leur « histoire »…..C’est là un grand malentendu. On est là dans des données brutes et le fait qu’elles soient présentées chronologiquement, avec la plus extréme précision, n’y change strictement rien. Le grand fantasme de l’astrologie est de s’imaginer que cette précision chronologique serait un gage de scientificité et que l’astronomie, elle aussi, articulée sur une chronologie, se trouve ipso facto en phase avec tout ce qui est formulé en référence avec un certain calendrier. Il est d’ailleurs à noter que tant l’Histoire que l’Astrologie finirent par êtres rejetées des travaux de l’Académie Royale des Sciences, à la fin du XVIIe siècle, en dépit de cet appareil chronologique leur conférant une apparence de science, au même titre que la physique ou que l’astronomie.

En fait, Histoire et Astrologie semblaient même avoir une supériorité sur la physique et l’astronomie grâce à ce cadre chronologique que leur fournissait l’astronomie par le biais du calendrier. Il faut en effet pour parvenir à un chiffrage davantage de procédures de mesure, paradoxalement, dans le domaine des « sciences exactes ».

Nous dirons que le champ métrologique passe par trois voies de chiffrage: celle de la statistique, celle de la chronologie et celles des diverses unités de mesure dont disposent diverses sciences, portant souvent le nom de leurs « auteurs » (ampère, volt, joule, pascal etc). Le cas de l’astronomie est remarquable en ce qu’il recourt à la chronologie à l’instar de l’Histoire et de l’Astrologie mais aussi à d’autres modes de mesure, comme l’attestent les lois de Kepler, astronome et astrologue, tout comme Claude Ptolémée..

En vérité, tout ce qui nous arrive et arrive au monde peut être « chronologisé » et donc « astronomisé », la question étant : est-ce que l’on peut comparer des événements correspondant à des données astronomiques communes ? La notion de parenté astronomique est, pour le moins, assez flexible si l’on prend en compte les aspects, auxquels Kepler accordait la plus grande attention. Kepler, en revanche, ne souhaitait pas que l’on prenne en compte le signe zodiacal et aurait probablement été très réservé quant à l’idée d’augmenter le nombre de planétes, processus qui avait déjà été initié de son vivant.(il meurt en1630). D’ailleurs, la multiplication des facteurs rend d’autant plus improbable toute comparaison, toute superposition entre deux dates. Si l’astronomie peut se permettre d’accroitre la complexité du ciel, l’astrologie se doit, tout au contraire, de la simplifier, de la réduire. C’est ce qui les oppose, ce que tant d’astrologues n’ont pas compris. Il est vrai que dans le cas de l’astropsycbologie, plus les thèmes se différencient et mieux cela vaut. C’est aussi ce qui oppose astrologie mondiale et astropsychologie. On a là trois volets qui fondamentalement bien que se référant à un même corpus planétaire poursuivent des objectifs radicalement différents et ceux qui considérent que l’on n’ a affaire ici qu’ à un ensemble d’un seul tenant sont dans l’erreur.

Cela dit, comment l’astrologie pourrait-elle ne pas tenir compte des données historiques ? Telle n’est évidemment pas la question. La question est le traitement des dites données et la séparation entre le structurel et le conjoncturel. Comment y parvenir, nous demandera-t-on, faisant ainsi aveu d’impuissance. Nous répondrons que tant que l’Histoire ne produira pas une typologie pertinente de ce par quoi l’humanité passe et ne cesse de passer, elle n’atteindra pas le statut de science que d’ailleurs l’astrologie pourrait contribuer à lui conférer, tant il est vrai que ces deux disciplines ont leur destin lié. Ce sont les retards de l’Histoire qui hypothèquent le progrès astrologique et ce sont les errements de l’astrologie qui empêchent l’Histoire de trouver son assise. Mais pour que l’Histoire parvienne à sortir de l’ornière, il importe qu’elle parvienne à un certain degré d’abstraction. Au fond de quoi nous parle l’Histoire ? De la guerre et de la paix comme dirait André Barbault ? Une telle représentation est irrecevable. On touche là au problème du langage qui est aussi piégeant que celui de la chronologie. Des événements désignés par les mêmes mots sont-ils pour autant du même ordre. Est-ce que l’abstraction langagière propre au peuple est du même ordre que l’abstraction philosophique ? Nenni, point !

*On aura compris que l’apprenti chercheur en astrologie qui s’appuierait sur les pseudo-évidences du fait chronologique et du fait linguistique ne sera pas à la hauteur de la tâche. On peut d’ailleurs se demander si Michel Gauquelin n’a pas été victime d’un tel travers, en considérant les terminologies sous lesquelles les gens étaient classés, selon leur profession sans parler des étiquettes couramment utilisées pour décrire les traits de caractère de telle ou telle personne. [2]…On est là en face d’un savoir populaire qui sert de bagage scientifique à l’homme de la rue : les mots et les chiffres. Les mots qui font office de concept philosophique et cela comprend aussi le symbolisme – et les chiffres qui font office de rigueur et de précision et cela comprend les dates de l’état civil (naissance, mariage, divorce, mort) et on rajoutera quelques vagues souvenirs scolaires pour faire bonne mesure.(du type Marignan, 1515)/.
Le problème de beaucoup de gens qui se lancent de nos jours en astrologie est celui d’un certain manque d’envergure intellectuelle et disons d’une certaine timidité d’expression qui leur fait préférer les « faits » bruts à toute forme de reformulation personnelle qui pourrait être taxée de subjective. Nous pensons qu’il s’agit là d’une carence de l’animus que l’on retrouve également dans la difficulté à parvenir au tronc et dans la tendance à se contenter du feuillage. Autrement dit, il y aurait quelque chose de phallique dans la mise en évidence du cycle, du concept et, dès lors, l’on se satisferait d’une sorte de consensus langagier se substituant à la réflexion conceptuelle. Rappelons qu’André Barbault est un autodidacte qui n’est pas passé par le moule universitaire et qui a donc, selon nous, gardé une sorte de méfiance envers toute élaboration intellectuelle des données socio-historiques, leur préférant les typologies astrologiques telles que dictées par la chronologie astronomique et les représentations populaires de l’Histoire..
Notre grand intérêt pour l’anima nous a permis d’assez bien comprendre le psychisme féminin dont on peut dire qu’il est factuel à la différence du psychisme masculin qui tend, quant à lui, à repenser les choses et à ne pas les « servir » telles quelles. Cette différence est d’ailleurs une constante source de conflit entre les deux sexes. Les gens ayant un manque d’animus n’hésiteront guère à traiter de menteurs, de tricheurs ceux qui se permettent de reformuler, de retraiter les informations brutes tandis que les personnes à fort animus critiqueront celles fortement marquées par un anima, de se contenter de rapporter et de répéter plus ou moins mécaniquement ce qu’elles ont entendu, ce qu’on leur a dit, comme si ce que les autres ont dit ou fait pesait plus lourd que leur propre approche des choses. L’anima puissant tend à produire des moi peu développés à la différence de l’animus puissant. Un moi peu développé, précisons-le, est celui de quelqu’un qui parle par ouï-dire, de ce qu’il a entendu, de ce qu’il a vu, de ce qu’il a lu mais qui n’est pas capable de parler en son propre nom sauf à un niveau très primaire comme celui de ses envies, de ses besoins, c’est-à-dire là encore d’une instance qui en quelque sorte s’impose à lui dans le style « c’était plus fort que moi » « je n’ai pas pu m’en empêcher », « je ne sais pas ce qui m’a pris ». Il est d’ailleurs possible que c’est ce manque phallique qui crée une fascination pour le thème natal, sorte de phallus de substitution. Que signifie donc cette prétention à avoir de l’animus et de l’anima en soi ? On emploie généralement ces termes sans les définir ou plutôt sans prendre la peine de les redéfinir comme si les mots étaient chargés de significations vouées à rester inchangées et dispensées de tout approfondissement.

Le grand reproche qui était fait à l’Histoire, au XVIIIe siècle, tenait à ce qu’elle était envahie par les fables, les légendes, les mythes, qu’elle introduisait ce faisant de l’irrationnel, du merveilleux en prenant trop au sérieux ce qui avait une patine ancienne. Le « vrai » n’est pas toujours vraisemblable. Trop souvent, nous rencontrons des personnes qui s’attachent à des versions des faits des plus improbables, sous prétexte que c’est « attesté » par quelque document. On est dans l’enchantement du monde !

A l’évidence, il y a une humanité à deux vitesses. L’une qui s’économise en prenant les choses pour argent comptant et l’autre qui cherche à aller toujours plus loin en recourant au doute cartésien et à ce que nous avons appelé le déshabillage, car l’astrologie ne peut œuvrer que sur des faits « mis à nu ». . Et de fait, l’humanité passe par un temps duel. En Eté, il y a une débauche d’énergie, l’on se déshabille sur les plages, l’on se découvre tandis qu’en Hiver, l’on vit au ralenti, l’on s’habille chaudement, le sol est recouvert de neige… Comme dit l’adage : à midi, on mange comme un prince, le soir, comme un pauvre. Notre gastronomie s’est ingéniée à gérer la pénurie, les steaks bien saignants sont remplacés par les spaghetti bolognaise ou par les pizzas, les fruits frais par des tartes et des confitures. Dans cette dialectique de l’habillage et du déshabillage, se situe la double dynamique « écartelante » de l’astrologie actuelle, d’une part dénuder le monde (cyclicité unitaire), de l’autre le recouvrir par des habits bariolés (multiplicité infinie autour du thème natal individuel).

>[Jacques Halbronn]

[1] Voir notre enregistrement de son exposé, lors du Colloque de Strasbourg, 1980, sur teleprovidence.

[2] Voir notre étude en postface de ses Personnalités planétaires, Paris, Ed. Grande Conjonction-Trédaniel, 1992