On ne comprend pas bien les enjeux et les débats autour de l’astrologie, si l’on ne situe pas celle-ci, si on ne l’inscrit pas dans une problématique liée à la Technique et à ses rapports avec la Science. [1]. C’est un contresens de placer l’astrologie du côté de la « Nature » alors qu’elle en est comme le contre-pied, le substitut, l’artifice. C’est en ce sens que l’on pourrait qualifier l’astrologie de pseudo-science, en tant qu’alternative à la Science. Mais on n’avance pas si l’on ne prend pas la peine d’approfondir les termes ainsi utilisés, le langage étant lui-même de l’ordre de la Technique qui est une forme de maquillage, de béquille. Etant donné que lorsque l’on parle d’astrologie, on est presque inévitablement confronté à un questionnement quant à son statut [2], il convient de fournir les « outils » conceptuels appropriés et ne pas s’en remettre à une vague sémantique fonctionnant par association d’idée, qui sert généralement de seul bagage conceptuel et philosophique à tant de gens.

Nous conseillons d’ associer technique à des mots comme intégration, rattrapage, raccourci, retard, manque. Précisons que le champ du Technique ne se réduit pas à des objets, à des machines, mais inclut des savoirs, des méthodes, des langages. L’enfant qui apprend à parler (pour sortir de l’enfance, étymologiquement de l’état de non-parler) acquiert une technique qui lui permet de s’intégrer à la société dans laquelle il naît. En s’initiant à une certaine langue, il devient ipso facto « membre » d’un groupe, d’un « village » et ce faisant il n’est plus livré à lui-même. Très vite, d’ailleurs, quand il aura appris à lire, il pourra accomplir un certain nombre de tâches qui feront illusion, notamment en disant des choses dont il n’est pas l’auteur mais qui sortent néanmoins de sa bouche. Il y a là une « perversion », une permutation qui tend vers la mystification, qui en est, en tout cas, l’apprentissage. Ajoutons du langage à un enfant et le voilà sur un pied d’égalité avec des gens bien plus âgés et expérimentés que lui et auxquels il peut croire pouvoir se substituer.

On perçoit déjà tous ceux pouvant être victimes de la tentation techniciste, ceux qui se sentent handicapés, décalés, déphasés, dépassés de quelque façon que ce soit. En l’occurrence, l’astrologie est un complément au langage, en ce qu’elle fournit un supplément, une garantie, une assurance de contenu, elle confère un savoir, une sagesse, une sapience, ce qui évite de dire n’importe quoi, ce qui permet d’avoir quelque chose à dire, de ne pas rester muet. On a quelque chose à communiquer, à transmettre mais qui ne vient pas de nous, même si cela sort de nous, de notre bouche, c’est bien là le hic, l’ambiguïté radicale de tout langage partagé. Cette bouche [3] qui est ainsi aliénée par quelque chose qui nous est étranger, cette bouche qui en principe garantirait l’authenticité de ce qui émane de nous comme un enfant sortant du ventre de sa mère. Comme si en fait tout cela n’était que mirage, illusion d’optique, trucage, effets spéciaux, prothèse, ersatz, support…

Quand on demande pourquoi il y a tant de femmes dans certains domaines comme l’astrologie, on nous répond que cela tient à leur « sensibilité ». Nous pensons bien plutôt que cela vient d’un sentiment de manque à combler, de la conscience d’un retard à rattraper par le biais de cette technique qu’est l’astrologie. Et ça marche, au sens où grâce à l’astrologie, l’astrologue a des choses à dire à son client et le client, en répétant ce qu’on lui a dit, se voit ainsi doté d’une certaine identité, d’une certaine personnalité d’emprunt, d’un masque (sens du mot grec persona). Comme quelqu’un qui grâce à une béquille ou à une prothèse « marcherait ». Dans le domaine de la Technique, c’est le résultat qui compte et qui consiste à ne pas se faire remarquer en raison d’un manque, d’une impuissance. L’idéal techniciste consisterait à ne pas se faire remarquer comme un unijambiste dont on ne remarquerait pas l’infirmité, qui se comporterait comme tout le monde. Ce qui est évident par exemple pour un étranger qui apprend à parler une langue étrangère au point qu’on ne s’aperçoive plus qu’il vient d’ailleurs. La technique est un cache-misère, étant entendu qu’elle emprunte forcément à la Science, puisqu’elle en est l’imitation, la réplique. Une sculpture a besoin d’un matériau pour que l’on ait quelque chose à ciseler.

Il est des métiers où les choses sont claires : quand quelqu’un va chez le dentiste pour se faire poser de fausses dents, qui ressemblent à des vraies, par exemple. Mais dans bien des cas, c’ est comme si ces fausses dents étaient présentées comme vraies. C’est alors qu’il y a dérive. Certes, tout le monde n’est pas censé savoir la vérité et il y a des situations où il importe peu d’avoir affaire à une contrefaçon. Quand dans le métro, il y a un message qui est repris indéfiniment, on sait à quoi s’en tenir. On n’imagine pas que c’est quelqu’un qui chaque fois s’exprime et il importe peu que celui qui parle ainsi soit ou non l’auteur du discours. Ce sont des impostures tolérables et qui permettent à un message de se démultiplier dans le temps (répétition) comme dans l’espace (locuteurs).

Si l’on prend le cas des langues, force est de constater qu’elles permettent non pas tant de communiquer que de se situer dans une communauté, par delà ce qui pourrait nous en différencier : critères de race, d’âge, d’éducation. La langue masque les différences par delà la pertinence des contenus, des signifiés. Peu importe ce qui est dit du moment que cela est dit d’une certaine façon. Se dire astrologue, c’est être capable de parler comme un astrologue et non pas avoir raison et celui qui a raison mais qui ne parle pas comme un astrologue s’exclut ipso facto de la communauté des astrologues. Le signifiant ici prime sur le signifié, les mots comptent plus que leur sens, du moment qu’ils sont prononcés correctement et dans le respect d’une certaine grammaire…

Cela dit, on aura compris les limites des solutions techniques et ce sont ces limites, ces bornes, qu’il ne faut pas dépasser. La technique a pour seule légitimité de mettre fin à une certaine souffrance due à un décalage d’avec la norme et il est d’autant plus paradoxal que lorsque l’on évoque la norme chez nombre d’astrologues ou d’astrophiles, on tombe sur une sorte de tabou comme de parler d’une corde dans la maison d’un pendu. C’est logique puisque le propre d’une technique qui marche, c’est d’être imperceptible. Par exemple, un aveugle qui grâce à quelque technique, ferait oublier qu’il est non voyant. C’est là le miracle de la Technique. Un faible qui devient fort parce qu’il s’est acheté un pistolet : la société américaine est très attachée à ce droit de posséder une arme à feu, gage d’égalité entre hommes et femmes. Car la Technique nivelle, égalise, masque les différences au point de pouvoir les nier. C’est dire qu’un certain dévoiement n’est nullement propre à l’astrologie, l’astrologie n’étant, du moins telle qu’elle est vécue et présentée également, que le symptôme, le révélateur d’une mystification techniciste globale. Le paroxysme, le comble, c’est quand la Technique se veut Science, c’est-à-dire se nie en tant que telle.

En conclusion et déontologiquement, il nous semble impératif que l’astrologue explique à son client qu’il ne fait que lui fournir une personnalité d’emprunt qui fera l’affaire, qui lui évitera de se singulariser, précisément en lui conférant….une pseudo singularité, qui donnera le change. On comprend mieux pourquoi certaines personnes prennent un singulier plaisir à raconter leurs petites manies et envies. C’est pour démontrer qu’on a un petit quelque chose de différent comme tout un chacun. Il y a là une forme d’hypocrisie à jouer à être différent pour passer comme quelqu’un de très banal, de très ordinaire tant que cette différence est de l’ordre du tolérable. Or, tout ce que l’astrologie propose a cet avantage insigne d’être à la fois particulier et dans les limites de ce qui se conçoit, comme c’est le cas des horoscopes où l’on n’annonce rien que de très probable, envisageable, même si cela ne se produit pas. Les gens vont attendre des choses qui sont acceptables, qui ne vont pas les faire remarquer au-delà de ce qui peut passer, des choses qui même quand elles ne se réalisent pas auraient parfaitement pu se réaliser, ce qui évite d’avoir des attentes ne correspondant pas aux attentes habituelles. Ce qui compte, c’est la conformité du discours et non pas sa véracité.

Que l’on nous comprenne bien, le monde de la technique est doté d’une certaine réalité au niveau collectif. Grâce à la technique, les sociétés peuvent s’organiser, un orchestre fonctionner. La fonction sociale de la Technique est incontestable mais elle ne nous permet pas d’appréhender la « vérité » de l’individu, laquelle relève de la Science. Le problème, c’est que le fonctionnement des sociétés, en général, ne relèverait pas de la Science, à commencer par la sociologie laquelle, en fin de compte, ne serait en mesure épistémologiquement que de décrire des processus techniques de socialisation, parfois très anciennement mis en place. La tentation consisterait, comme le font tant d’astrologues, à placer l’astrologie dans le domaine de l’universel, de ce qui serait commun aux hommes et à l’univers, ce qui est évidemment l’expression outrée, mythique du fantasme techniciste.

Au niveau d’une archéologie de l’humain, on peut dégager des strates, des couches successives. Les races correspondent à des niveaux de réalité plus profonds que les « cultures »,, les « langues », qui ne sont que des techniques d’intégration superficielle et dont on a pu tester l’efficacité. D’où l’importance pour un groupe de se doter d’une langue voire d’un alphabet, d’une religion, d’une culture, d’une histoire, plus ou moins mythique mais partagée et qui lui permette de s’intégrer, par sa différence même, dans le concert des nations.

Que serait l’Humanité sans le recours à tout cet attirail technico-culturel ?

Il est clair que d’autres différences, plus réelles, plus vraies, apparaîtraient,. On peut se demander si cela ne serait pas préférable car si d’un côté, certaines inégalités criantes ne seraient plus masquées, en revanche, des clivages, des conflits artificiels ne menaceraient plus la survie de l’Humanité. Tel est probablement le principal enjeu du présent siècle et de ceux qui suivront que d’évacuer, de se délester, de se déprogrammer de toutes sortes d’échafaudages et de nous protéger par rapport à l’emprise des machines de tous ordres, au sens où l’entendait Jean-Charles Pichon.

Jacques Halbronn

[1] Voir notre texte sur Trois Sept et Onze, début 2011.

[2] Voir le récent entretien de Michel Cazenave et de Gilles Verrier sur Baglis TV.

[3] Voir nos études en « stomatique ».