« Il ne s’agit pas de dénigrer Dieu. Il s’agit simplement de glorifier les molécules. »


Howard Gardner – Art, Mind and Brain.

Caricature d’humanité, s’avance l’armée des ombres, en tapinois, s’avancent les clones tristes… Le 27 décembre 2002, au cours d’une conférence de presse tenue à Hollywood en Floride, Brigitte Boisselier, chimiste française, présidente de Clonaid, société de biotechnologie spécialisée dans le clonage humain et émanation de la secte des Raéliens, annonce la naissance par césarienne le 26 décembre 2002 du premier bébé cloné, copie carbone de sa mère et prénommée Eve. (1)

Masques épouvantés de nos contractions démiurgiques, expérimentations de l’impossible, incontrôlables analgésiques qui nous permettent de croire en un progrès scientifique de la manipulation génétique. Le contrôle à terme de la révolution eugéniste conduira inéluctablement à la création, pour le coup – par l’introduction de nouvelles cellules germinales (2) aptes à modifier le génie génétique – d’une nouvelle définition de la race, en tant qu’entité biologique, puisque nous serons capables d’ajouter ou retrancher des gènes selon des intérêts préférentiels, acclimatations à des températures extrêmes, mutation en vue d’explorations galactiques, capacités exceptionnelles de mémorisation ou d’intelligence, transformations physiques musculaires et corporelles, et pourquoi pas, toujours au nom de la sacro-sainte science, hybridation de races entre-elles, humaine et animales, sphinges, chimères et griffons, dont on nous expliquera, toujours le même argument avancé, que c’est grâce à la thérapie génique, que la Médecine progressera. (3) Sheridan Le Fanu spécialiste britannique de la littérature fantastique à la lecture du Frankenstein de Mary Shelley déclara à l’époque : « C’est un récit où s’ouvrent des portes qui auraient dû rester fermées et où le mortel et l’immortel font prématurément connaissance. »

Pour Bertrand Jordan, ancien directeur de recherche au CNRS, spécialiste en biologie moléculaire, auteur aux éditions du Seuil des Imposteurs de la Génétique , le clonage n’est pas de la science de très haut niveau. Il se pratique dans des cliniques de procréation médicalement assistée et ne demande finalement pas un équipement ou des compétences particulières. Déjà réussi sur plusieurs espèces animales, chats, brebis… reproduits à l’identique par des scientifiques de nations différentes, le clone n’est jamais totalement normal – et donc par définition, non identique à l’empreinte mère – et les déficiences constatées ne sont pour l’heure pas explicables. « Comment peut-on prendre le risque de créer un bébé cloné, quand on sait à quel point le résultat est imprévisible ? » Cette phrase prononcée par Ian Wilmut, le père de « Dolly », la célèbre brebis, premier clone de mammifère réalisé à partir d’un embryon de cellule adulte, dénote bien toute la disparité d’approche de la communauté scientifique. Il faut bien souligner, également, que le « taux de réussite » des expérimentations de clonages sur les animaux, souris, bovins…, est de l’ordre de 1 à 2 %, sans compter les possibles anormalités indétectables chez les animaux, au plan des anomalies comportementales. (4) D’autant que dans la chaîne des espèces, le primate reste le plus proche, génétiquement parlant, de l’homme, dans l’arborescence de l’évolution, et qu’aucun clonage n’a à ce jour été réussi à partir d’un singe. On voit bien à quel point, aujourd’hui, se brûlent les étapes dans une frénésie de recherches incontrôlées, où seuls comptent le pouvoir, l’argent, la publicité et la corruption.

– Qu’en sera-t-il pour l’humain, à quoi joue l’homme-dieu ?

Selon le prix Nobel américain de Biologie, James Watson, co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN, « bientôt différentes espèces émergeront. » « Il faudra que certains aient le courage d’intervenir sur la lignée germinale sans être sûrs du résultat, a-t-il déclaré. De plus, et personne n’ose le dire, si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs grâce à l’addition de gènes (provenant de plantes ou d’animaux), pourquoi s’en priver ? Quel est le problème ? » (5)

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Dessin de fœtus par Leonard de Vinci (1452-1519)

Ci-gît, faut-il le croire, un article en forme de dédicace à l’enfant que fut autrefois l’humanité.

Toute humanité a d’abord été un enfant -mais bien peu s’en souviennent- nous murmure le petit prince, citant Saint-Exupéry, le saint-poète-aviateur.


Thierry E Garnier
Arcadia © Février 2003.

(1) Nous retiendrons ici le fait marquant en tant que tel, et en tant que fait de société, et n’entrerons pas dans la polémique de la supercherie avérée ou non. Les mois prochains, n’en doutons pas, apporteront leurs lots d’informations pour confirmer ou infirmer cette nouvelle. Mais dans tous les cas, nous devons bien appréhender cette information comme un élément tangible et concret faisant –déjà- partie de notre réalité. Et n’oublions pas, somme toute, que c’est un professeur italien, le gynécologue Severino Antinori qui le premier, en août 2001, à Washington, avait annoncé avec grand fracas son projet de clonage humain.
Par ailleurs, malgré notre envie profonde, nous n’aborderons pas dans le cadre de ce présent article toute considération d’ordre éthique, ontologique, morale ou théologique, cependant des passages entiers du phénomène humain de Pierre Teilhard de Chardin (1881 – 1955), notamment les concepts de monogénisme et de monophylétisme exprimés par le père jésuite seraient à relire avec grand bonheur .

(2) La manipulation des cellules germinales concerne nos cellules reproductrices, c’est-à-dire que la seule inclusion au sein de ces cellules, en déstabilisant leur teneur, modifie non seulement le code génétique de l’être humain sélectionné mais aussi celui de sa descendance, qui s’en retrouvera porteuse.

(3) Les expériences de manipulations génétiques, sont prohibées aux Etats-Unis dans les laboratoires contrôlés par l’état, mais autorisées dans les laboratoires privés. A souligner, par ailleurs, qu’il existe un second type de clonage, dit « thérapeutique », où l’embryon « humain » n’est pas implanté dans un utérus, mais traité en culture, dans le but de servir de « pièces détachées » aux futurs malades. C’est ce scénario même que décrit Aldous Huxley dans « Le meilleur des mondes ». En Europe, des pays comme la Grande-Bretagne ou la Suède ont déjà donné leur aval en faveur du « clonage thérapeutique ». La France elle, n’a encore à ce jour pris aucune décision à ce sujet.

(4) En l’état actuel de la recherche les meilleures études statistiques sur les états défaillants des reproductions par clonage sont menées à bien par l’équipe du professeur Rudolf Jaenisch, du Massachusetts Institute of Technology.

(5) Voir l’article de Ralph Brave, « L’Homme-Dieu, enquête sur la fabrique du surhumain », Courrier International, Numéro Spécial, décembre 2000. En ce qui concerne les partisans du clonage humain, on pourra se faire une idée de la progression des mentalités aux USA, qui reste le pays le plus en avance sur le plan des bio-technologies, sur les sites www.humancloning.org et www.geneticengineering.org.