2004 : LA PROMESSE ENFIN TENUE
28 ans avaient passé… Les extraterrestres étaient bien oubliés, mais pas la Vallée des Merveilles, et voici que le hasard allait me permettre de réaliser ma promesse. Avec le groupe de randonneurs dont je fais partie, nous avions pris l’habitude, chaque année, de faire un petit séjour à thème. En 2004 quelqu’un propose, pour le mois de septembre, une expédition dans la Vallée des Merveilles. La plupart ne connaissent pas, moi si… Je serai l’artisan pour achever de les convaincre ! Je n’ai pas oublié mes erreurs de jeunesse, cette fois je serai au top, tant au niveau préparation qu’au niveau équipement. Le printemps et l’été sont consacrés à des randonnées d’un niveau identique à ce que nous aurons à affronter là-bas. J’ai concocté des itinéraires avec des dénivelés croissants, jusqu’à atteindre presque les mille mètres. Chaque jour je m’efforce de marcher, je sens enfler ma musculature, mon souffle s’adapte… Pas de doute, je suis prêt pour l’aventure.
Mardi 7 septembre. Après un voyage en autocar sans histoire, nous voici au bord du Lac des Mesches, à 1390 m d’altitude. Le déjeuner a été léger, mais énergétique, à base de pâtes qui m’apporteront du sucre lent. Il est 16 h, le ciel est bleu, il fait un soleil magnifique. Je m’attendais à partir sous l’orage, il n’en est rien. On nous explique que le climat a changé récemment, réchauffement planétaire oblige. Maintenant, dès que l’été commence à décliner, c’est le beau temps qui s’installe sur la Vallée des Merveilles. Du coup j’allège mon sac à dos, je renonce aux vêtements de rechange que j’avais prévus pour la soirée au refuge. Et pas de soucis à craindre de ce côté-là, il est réservé depuis des mois ! Le sac bouclé et bien arrimé sur le dos, je déploie mes deux cannes de marche, et nous voilà partis…
C’est avec un pincement au cœur que je passe devant le refuge de la Minière de Valaure où nous avions trouvé asile en 1976. Le temps d’une photo et nous continuons. Les lacets reprennent, et nous voici au bord du lac de la Minière, à 1500 m d’altitude. Nous progressons à pas mesurés mais sûrs sur la piste tracée pendant la seconde guerre mondiale par l’armée italienne. La montée est régulière, l’euphorie ambiante la rend agréable. Je m’installe dans le « grupetto », comme disent les cyclistes, à l’arrière du peloton, avec pour seul souci d’arriver avant l’heure de la soupe. Le temps passe et nous voici à l’entrée du Val d’Enfer… où nous n’entrerons pas ! Nous continuerons sagement sur le sentier classique : l’Enfer est pavé de bonnes intentions, selon la formule consacrée ! C’est un « raccourci » qui réduit certes la distance mais augmente considérablement le dénivelé. Nous sommes à 1770 m d’altitude, nous avons déjà grimpé 380 m de dénivelé, il n’en reste plus « que » 345 pour atteindre le Refuge des Merveilles où nous passerons la nuit.
L’entrée du Val d’Enfer
De nouveaux lacets, les plus raides, que nous avalons dans la bonne humeur. Le soir tombe doucement. Le soleil est déjà couché lorsque nous sortons de la forêt, à plus de 2000 m, mais il va faire jour encore un bon moment. Un dernier effort, nous longeons le Lac Saorgine, puis le Lac Long Inférieur, bien encombré de végétation et qui lentement se transforme en tourbière. Et puis nous voyons se détacher de l’horizon le toit du Refuge des Merveilles. Quelques centaines de mètres à parcourir et voici le Lac Long Supérieur, et enfin le refuge. Tant d’images et de souvenirs me reviennent soudain en mémoire… Mais je n’ai pas le temps de m’attarder, il commence à faire frisquet et le refuge nous attend. En vitesse je choisis un lit dans le dortoir, et c’est l’heure de s’attabler. La faim me tenaille, et j’avale non sans plaisir deux assiettes de daube de bœuf accompagnée de semoule : on peut planter la fourchette dedans, ça va tenir au ventre !
On nous pousse gentiment vers le dortoir. 21 h 30 : extinction des feux, tout le monde au lit ! Ce n’est pas mon heure habituelle, mais une longue nuit de sommeil sera bien nécessaire pour récupérer les 725 m de dénivelé qui commencent à alourdir les jambes. Demain, nous devrons en faire bien autant, et surtout parcourir une plus longue distance. Le sommeil ne tarde pas à venir. Mais voilà… 80 personnes entassées dans le même dortoir, statistiquement toutes les 10 minutes il y en a une qui se lève pour aller aux toilettes ! Moi qui ai choisi une place près de la porte, je suis gâté… Je vais dormir « en pointillés », et à 6 h je suis déjà debout, et le premier à prendre le petit-déjeuner. Soudain un rayon de soleil orangé pénètre par la fenêtre : le paysage s’illumine et la splendeur s’installe. J’ai un peu de temps pour flâner, je prends mon appareil photo et je descends au bord du lac. Le spectacle des cimes qui s’illuminent est féerique, le refuge se mire dans les eaux sombres du lac, c’est la promesse d’une belle journée.
Le Refuge des Merveilles, au bord du Lac Long Supérieur, au petit matin
Deux hommes arrivent en trombe, ce sont nos guides, qui sont montés en courant depuis les Mesches, histoire de se dégourdir les jambes. Quelle santé ! Au-delà du refuge, nous entrons dans une zone protégée. Sans guide agréé, impossible de s’écarter du GR pour aller voir les gravures. Il nous faut donc des cicérones pour tout ce secteur, en plus ils sauront nous conduire infailliblement vers les gravures les plus remarquables. Nous rassemblons nos troupes, nous nous séparons en deux groupes, chacun avec un guide, qui vont prendre des sentiers différents, et c’est parti pour cette deuxième journée prometteuse. Je vais enfin voir les gravures tant espérées !
Le sentier s’élève doucement au-dessus du lac. Nous apercevons sur l’autre rive le Refuge des Savants, construit dans les années 20 par les Italiens. Nous longeons le minuscule Lac Mouton bien nommé, sur ses rives paissent quelques troupeaux, gardés par des bergers qui vivent dans les seules cabanes autorisées sur ce site naturel. Nous montons toujours. Le Lac Long Supérieur paraît n’être qu’une flaque d’eau, le refuge est minuscule. Quelques marmottes qui se chauffaient au soleil décampent en sifflant, pour prévenir leurs congénères de notre présence. À peine effarouchées, elles s’installent un peu plus haut et nous observent. Elles ont l’habitude de voir des randonneurs. Le sentier oblique plein nord, quelques bancs de rochers polis émergent des prairies, les premières gravures ne vont pas tarder à apparaître.
Et les voici enfin…
Patrick BERLIER – Les Chroniques de Mars # 2, mai 2011 – (à suivre…).
PHOTOS Patrick BERLIER ©