Le cas de l’interprétation des Centuries est très révélateur d’un certain état d’esprit [1]. Alors que Michel de Nostredame était un personnage rigoureux dont chaque prédiction s’inscrivait dans le cadre d’un calendrier, d’une chronologie, d’une succession – à l’instar de la prophétie de Saint Malachie- même les quatrains de ses almanachs étaient associés à un mois bien précis d’une certaine année- on sait ce qu’il en est advenu, les quatrains qui lui sont attribués sont utilisés à la guise, selon le bon vouloir de l’interprète. Or, on peut se demander si l’astrologie n’a pas suivi une évolution du même ordre ou désordre, sous la forme d’une certaine « centurisation » de ses pratiques, le thème astral avec tous ses développements et prolongements ressemblant assez au corpus des quatrains nostradamiques. Entendons par là, comme nous allons tenter de le montrer, que l’astrologue, pour avoir les mains libres, va placer toutes les planètes à la même enseigne.

Or, il nous semble que les personnes qui éprouvent des réticences par rapport à l’astrologie, voire expriment un certain rejet ne savent pas très bien pourquoi. Et de même, il est probable que ceux qui sont attirés par l’astrologie ne connaissent pas forcément les vraies raisons d’une certaine fascination. On sait qu’Elizabeth Teissier a intitulé sa thèse de 2001 en se référant à cette dialectique rejet-/fascination. C’est ce non dit, cette carence de l’accountability des deux côtés qui rend le débat assez opaque. Nous nous proposons dans ce texte de fournir de nouveaux éclairages en vue d’avancer en développant l’idée de contorsionnisme, en tant que concept psychologique…

Instinctivement, il y a des ambiances que nous fuyons en ce que nous la percevons comme pathogènes. Nous ne nous justifions pas forcément de notre volonté d’éviter la fréquentation de certaines personnes. Quelque chose en nous nous invite à nous en éloigner. Et en même temps, nous avons tous quelque maillon faible dans l’ensemble de notre comportement, qui correspond à un certain manque d’assurance, à un besoin de protéger nos arrières, à un excès de prudence qui peut déconcerter nos interlocuteurs et qui se manifeste par des attitudes pas toujours très claires, très nettes, très franches du collier. Il y a toutes sortes d’escrocs ou/et de charlatans, dans toutes sortes de domaines et il est rare que quelqu’un soit totalement « clean » en toute occasion de la vie. Il est possible aussi que les personnes ayant les mêmes syndromes tendent à se rassembler en ce qu’elles se « comprennent ».

C’est ainsi qu’il y a ceux qui sont très « droits » dans le domaine des affaires et beaucoup moins dans d’autres domaines. Il y a ceux qui intellectuellement font preuve de la plus grande honnêteté mais qui se permettent certaines licences dans les questions d’argent et ainsi de suite. Cette incertitude comportementale peut se comprendre, peut être se contrôler, mais elle est une marque forte de notre personnalité. Nous ne sommes pas là pour nous demander si cela se voit dans le thème natal avec la position de la Lune Noire, par exemple. Mais c’est là quelque chose de trouble dans notre rapport à autrui que parfois nous regrettons mais dont nous ne pouvons pas nous en empêcher ou dont nous n’avons pas les moyens d’y renoncer car notre équilibre est à ce prix, aux dépens d’autrui. A chacun de faire son examen de conscience. Cela dit, quand une zone de notre personnalité est ainsi atteinte, cela risque de contaminer d’autres zones. On pourrait appeler ce que nous décrivons « syndrome de contorsion ». Mais quel rapport, demandera-t-on, dans tout ça, avec les astrologues ? Les astrologues seraient-ils des « contorsionnistes » ?

On peut ainsi se demander si une certaine façon de pratiquer sinon de penser l’astrologie ne relèverait pas du syndrome de contorsion, en serait une manifestation. La contorsion se résume assez bien par des expressions populaires : avoir plusieurs fers au feu, ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, se ménager une porte de sortie, un plan B etc. Le contorsionnisme est marqué par une prudence parfois maladive. Cela peut correspondre à une certaine envie d’ubiquité, une certaine avidité mais aussi, plus fondamentalement, à une crainte de ne pas être aimé par l’autre en faisant preuve de trop de rigueur ou d’exigence, ce qui peut rendre assez sournois, à refuser de faire front trop directement, d’où toutes sortes de biais, donc de contorsions.
Dans la vie professionnelle, la peur de perdre, de décevoir des clients peut conduire à quelque forme de contorsionnisme qui conduit à toutes sortes de compromis, de concsessions… On avance masqué, on est dans l’ambiguïté, on la cultive, de sorte que chacun comprenne ce qu’il veut bien comprendre. C’est le double-entendre, le double jeu. : une chose et son contraire. D’où une moralité qui peut parfois être qualifiée de douteuse, à géométrie variable. L’opposé du contorsionniste, c’est l’homme « droit » qui tient des propos clairs, univoques, qui ne court pas plusieurs chevaux à la fois, qui n’est pas un caméléon.

Or, si l’on regarde la façon dont se présente habituellement l’astrologie, on ne peut s’empêcher d’y voir la marque d’un certain contorsionnisme qui est probablement lié à une attitude défensive de quelqu’un qui ne sait pas trop sur quel pied danser et qui à l’occasion peut dire une chose et son contraire. Quand on est attaqué, sur la sellette, cela développe de tels comportements mais l’inverse est aussi probablement vrai à savoir que des personnes un peu « tordues » se trouvent à l’aise dans le champ de l’astrologie.

Pour dire les choses carrément, nous dirons que dans l’état actuel de l’astrologie, on comprend que certaines personnes la fuient car le peu qu’elles en savent, qu’elles en sentent, leur aura suffi à s’en faire une idée. Comprenons-nous bien : il n’est pas nécessaire de connaître l’astrologie à fond pour juger de certaines choses qui déplaisent et dérangent tout comme on n’a pas besoin de fréquenter longtemps certaines personnes pour juger préférable de ne pas poursuivre la relation. A quoi voulons-nous en venir, demanderont ceux qui n’avaient pas encore pris conscience du problème ? Au fait qu’il y a trop de facteurs qui entrent en jeu tant en astrologie individuelle qu’en astrologie mondiale. En fait, l’on peut sérieusement se demander s’il y a bien un pilote dans l’avion. Et il en est de même pour les quatrains nostradamiques que l’on choisit à son gré.

L’astrologue maîtrise-t-il son sujet, n’est-il pas lui-même assez imprévisible, ce qui serait un comble ? Au premier abord, on pourrait certes être rassuré. Il y a des garde-fous, une certaine hiérarchie entre les planètes rapides et les lentes, entre les configurations fréquentes et les rares. Mais, en pratique, tout cela ne tient guère. C’est ainsi qu’un transit d’une planète lente laissera la place un peu plus tard à celui d’une planète rapide. Rappelons que la technique des directions (chères à Rudhyar), du moins pour la plupart, affecte toutes les planètes d’un même « pas », qu’il s’agisse de la Lune ou de Pluton et que cela rejaillit inévitablement sur l’utilisation des transits. En fait, la tendance est quelque part à l’interchangeabilité des planètes, ce qu’a entériné l’indice de concentration planétaire d’André Barbault, avec son approche quantitative.(« Les astres et l’Histoire », Paris, Pauvert, 1967). Il nous est parfois arrivé, bien à tort, de reprocher aux astrologues d’accorder trop d’importance à certains événements du fait que cela correspondait à des planètes lentes mais c’était faire encore preuve de naïveté de notre part car l’astrologue ne tient pas réellement compte de la vitesse des planètes, d’autant que par le jeu des aspects et du nombre de planètes, toute planète multiplie ses points d’impact.

Résultat des courses, l’astrologue- comme l’avait bien compris Roger Héquet avec son ACB n’a qu’à se baisser – pour trouver quelques astres faisant l’affaire, les astres n’étant plus que des marqueurs de temps à peu près interchangeables. En fait, la seule certitude qu’ait l’astrologue, c’est qu’il y aura bien quelque planète, en direction ou en transit, pour expliquer ou qualifier ceci ou cela. Et comme le mélange de planètes donne des résultats assez imprévisibles, surtout combiné avec des signes et des maisons, des maîtrises ; on peut à peu près en tirer ce qu’on veut. Mais le revers de la médaille, c’est la quasi impuissance à prévoir, à anticiper l’événement, étant donné la multiplication même des facteurs disponibles. Ce qui compte, ce sont les configurations du moment dont on cherchera à tirer le meilleur usage et qui correspondent donc à des dates puisque c’est cela même qui leur accorde de l’importance. La notion de phase semble faire de plus en plus problème. Dire que l’on est entré dans une phase qui va durer tant de mois ou tant d’années ne semble plus très excitant. On préfère de loin travailler sur un rapport immédiat entre une date et une configuration, comme on le fait pour le thème natal et peu importe dans ce cas que ce soit Pluton en capricorne ou Mars en lion, Neptune en verseau ou Jupiter en cancer ! Comme disait l’autre jour une conférencière, Vénus peut très bien avoir provoqué une catastrophe si c’est cette planète qui composait un aspect intéressant au jour J. La nature même de la planète devient, dès lors, quasiment secondaire, c’est un curseur parmi d’autres. Rappelons qu’une pratique assez courante consiste à compter le nombre de planètes pour chacun des Quatre Eléments ou le nombre de planètes au dessus ou au dessous sous l’horizon. Approche foncièrement quantitative et « globale » (Santagostini) qui tend à prévaloir. On ne s’étonnera donc pas de voir certains astrologues irrésistiblement attirés par l’interprétation des quatrains. La « centurisation » de l’astrologie consiste à ce qu’à la limite on puisse interpréter tout quatrain en rapport avec n’importe quelle situation et de même toute pour configuration astrale.

Jacques Halbronn

[1] Voir notre ouvrage. « Papes et prophéties », Boulogne (92), Axime, 2005