Le décès de Steve Jobs a remis à l’honneur le fameux discours qu’il avait prononcé à Stanford lors de la remise des diplômes de 2005.
Cette conférence est édifiante. D’abord par le parcours difficile de l’homme, bien loin d’une certaine jeunesse dorée des « fils de… », mais aussi par un parcours totalement atypique qui n’est possible, à mon avis, que dans un pays comme les États Unis. Tout d’abord quitter l’université alors que ses parents se saignent aux quatre veines pour vous payer des études est un choix qui mène chez nous bien plus souvent au chômage et à la rue qu’à la présidence d’une multinationale. Ensuite par une formation qui en apparence n’a rien de structuré, passant des arts à l’informatique, touchant à tout les domaines poussé bien plus par la curiosité et l’effet de rencontre que par un plan de carrière bien défini, ce qui chez nous vous rejette immédiatement dans la catégorie dilettante et donc dans les poubelles à CV. Enfin par le fait absolument inconcevable chez nous de commencer à faire des ordinateurs dans un garage et de finir en tant que directeur d’un des plus gros vendeurs d’électronique, d’informatique et de musique mondiaux. Chez nous, la recherche passe par des circuits bien structurés, agences nationales de valorisation n’aidant que les grosses sociétés qui pourront passer des mois à monter et défendre leur dossier devant des myriades de commissions, sous-commissions et prétendus experts du domaine, programmes de subvention étatiques attribués exclusivement à ceux qui pourront prouver un cursus universitaire irréprochable, bref, à part le concours Lépine, rien n’est laissé à l’étincelle de génie créateur qui sera issue d’un autodidacte isolé ou d’une très petite entreprise innovante. Donc, avis à nos lecteurs étudiants : chez nous, ce genre de comportement ne vous mènera à rien, si vous voulez faire ça allez aux États Unis ! Et c’est d’ailleurs ce que font un certain nombre de nos cerveaux les plus brillants à voir la composition de la direction de pas mal d’entreprises étazuniennes les plus innovantes, et Apple n’est pas en reste sur ce point.
Mais cessons de radoter et de nous apitoyer sur l’impossibilité de la vieille Europe à évoluer un tant soit peu, ce qui m’amène à parler de cette conférence c’est un passage absolument passionnant (vers la quatrième minute de la vidéo) au cours duquel Steve Jobs explique qu’il a passé quelques temps en tant qu’auditeur libre à apprendre la calligraphie et la typographie « cet art de l’invisible, rétif à toute approche scientifique » et toute l’influence que cela a eu sur sa façon de concevoir les produits d’Apple. Remarquable également de remarquer que de tels cours existent dans les plus prestigieuses universités américaines; le MIT, une école à vocation scientifique, je le rappelle, propose des cours de typographie approfondis et pas vraiment dans le cadre de loisirs créatifs. Je pense qu’on peut retrouver toute la philosophie de Jobs et donc d’Apple dans ces quelques phrases, depuis l’art de l’invisible et les multiples détails hors de perception de l’utilisateur qui le libèrent de l’aspect bassement technique du fonctionnement de la technologie, jusqu’à la recherche fanatique de la perfection, « il n’y a qu’un seul degré de bien en typographie, la perfection » disait Vox, le tout permettant une transposition assez immédiate et totale de ce tout qui fait la belle typographie dans le domaine de la conception de produits informatiques.
Quel bon typographe aurait sans doute été Steve Jobs s’il ne s’était entiché de faire de l’informatique !
Vous pouvez voir une vidéo de cette conférence sous-titrée en français ici et là une version de meilleure qualité mais sans les sous-titres. À voir, revoir et méditer.
>[Madmacs]
En illustration, une affiche de la campagne de publicité d’Apple sur le thème « pensez-différemment ». À l’époque, ça voulait tout dire. De nos jours, et grâce à Jobs, les choses ont bien changé et choisir Apple c’est le plus souvent faire comme tout le monde !