Le Mirabilis Liber et quatre régences françaises
(1525, 1561, 1611, 1643)
Nous voudrions revenir sur la question du quatrain cryptogramme désignant l’an1660. Cela nous a conduits à dater le dit quatrain postérieurement à la naissance du futur Louis XIV. Ce texte est à rapprocher du Recueil des Prophéties et Révélations, ouvrage que l’on retrouve joint aux Centuries, dans un certain nombre d’éditions du XVIIe siècle, associées au nom du libraire troyen Pierre Chevillot.’(cf RCN, pp. 172). Ce Recueil reprend une traduction du Mirabilis Liber, que l’on connait notamment dans l’édition de 1561 (cf RCN, p.55).La comparaison entre les deux éditions est édifiante (cf pour l’édition 1561, la reproduction, sur le site propheties.it). Une autre édition, présentée par Nostradamus le Jeune (cf reproduction sur le site propheties.it) et datée de 1575, utilise pour la première fois le titre de « Recueil de révélations et prophéties merveilleuses » alors que l’édition de 1561 s’intitulait « Première Partie du Recueil ». C’est probablement du fait de cette édition que le diptyque Centuries- Recueil sera mis en place au siècle suivant, chez les libraires troyens
Le Recueil de Révélations et Prophéties associé aux Centuries est daté de 1611 alors que l’édition des Centuries qui leur est associée n’est pas datée, ce qui a conduit certains bibliographes à situer la dite édition à cette même date.
Si l’on compare les éditions de 1561 et de 1611, on note une variante, une addition, qui ne sont pas dénuées d’importance, au chapitre IX du Livre II :
« La dissension de l’Eglise sera depuis l’an Mil quatre cens nonante deux & seront de diverses rebellions jusques en l’an 1642 ». On a ajouté dans l’édition 1611 « iusques en l’an 1642 », ce qui recoupe notre thèse selon laquelle le quatrain cryptogramme ne saurait être antérieur à 1638. En l’occurrence, 1642 correspond à l’année de la mort de Richelieu qui précède de peu celle de Louis XIII, ouvrant ainsi une nouvelle période de régence.
Or, dans notre « Texte Prophétique en France », nous avions insisté (pp. 615-616) sur le fait que le Mirabilis Liber, sous sa forme latine puis française, du moins pour le premier volet, était un ouvrage dont la parution accompagnait les régences.
Nous y citions le chapitre VI du second livre, donc précédant de peu le chapitre IX évoqué (cf. p. 264, ed. Delarue 1866, parue pour le tricentenaire de la mort de Nostradamus, reproduisant l’édition Chevillot) :
« Alors le Roy Françoys (..) à la fin succombera. Et iceluy à la face pudique régnera par tout (…) sa mère tiendra la monarchie depuis Orient iusques en Occident » (p. 259 de l’édition Paris, Ibidem, 1866).
Or, en 1561 et 1611, nous avons le début de deux régences, l’une due à la mort de François II, auquel succède son jeune frère Charles IX, l’autre à l’assassinat d’Henri IV, avec le jeune Louis XIII. Mais nous montrions qu’en 1525 (1524 en style de Pâques), au lendemain de la défaite de Pavie et de la capture de François Ier, l’on se trouvait déjà dans une situation de régence avec Louis de Savoie et le fils ainé de François Ier le futur Henri II n’étant que le puiné. Le jeune François, fils de Catherine de Médicis, de 1525 à 1526, date à laquelle il est échangé contre son père, a sa grand-mère pour régente, il décéde en 1536.. Ce qui nous amenait à penser que le Mirabilis Liber était indissociable de ce contexte de régence et qu’éventuellement, ce n’est qu’en 1524/1525 qu’il aurait pris sa forme définitive, en dehors évidemment de quelques variantes comme celle signalée plus haut et qui vise l’année 1642.
Nous aurions ainsi un ouvrage qui serait parue à quatre reprises dans une situation de régence : 1524 (lire 1525), 1561, 1611 et 1643. Cela tient à des morts ou des absences inopinées : la régence (de Catherine de Médicis) de 1561, rappelons-le, est certes liée à la maladie de François II mais aussi est la conséquence de la mort en tournoi, en 1559, d’Henri II.
Nous n’avons pu vérifier s’il existait des éditions datées de 1611 qui ne comportaient pas l’addition 1642… Signalons aussi une édition, sans date, associée au nom de Pierre du Ruau, autre libraire troyen (cf. Benazra, RCN, pp. 192-193), et située dans les années 1630. Mais il convient bel et bien de situer ces éditions en 1643, au lendemain de la mort de Louis XIII et de la régence d’Anne d’Autriche ainsi que les éditions comportant le quatrain cryptogramme pour 1660. En effet, qui aurait pu prévoir qu’une régence se constituerait avant d’apprendre le décès de Louis XIII, dans sa quarantaine ?
Y eut-il d’ailleurs des éditions parues en 1611 (sous la régence de Marie de Médicis) ? Il n’est pas impossible que la référence à 1611 soit liée à cette tradition d’un prophétisme associé à une régence du Royaume de France mais ne corresponde à aucune édition de ce type. On aura choisi cette date qui aurait pu convenir en effet pour une telle édition afin de laisser croire que l’année 1642 aurait été annoncée trente ans à l’avance. Cela témoigne, en tout cas, d’une tradition prophétique bien particulière et qui s’est maintenue de1524 à 1643, soit durant 120 ans environ.
Robert Benazra note à propos de 1644 (RCN, pp . 198 et seq) et des éditions lyonnaises :
« Nous avons rappelé la mort de Louis XIII en 1643. L’année suivante, sous le règne du jeune Louis XIV (..) commence à circuler la première édition des Prophéties d’une longue série qui se poursuivra jusqu’en 1665. Toutes ces éditions reproduisent (…) le quatrain supplémentaire (X, 101) », celui comportant le cryptogramme.
Il nous apparait que les éditions troyennes parurent également à une date de peu postérieure à la mort prématurée du roi. Editions qui auraient donc réactivé la tradition du prophétisme des régentes et qui auraient ajouté la mention de 1642 au sein du Recueil associé aux Centuries, particularité troyenne. Comme nous l’indiquions en 2006 dans une étude consacrée à Pierre Chevillot ( « Le libraire Pierre Chevillot, de Paris à Troyes », cf. le site grande-conjonction.org), on peut raisonnablement supposer qu’Antoine Chevillot, son héritier, ait utilisé le nom de Pierre Chevillot pour des éditions antidatées à 1611, procédé que nous avions envisagé pour Benoist Rigaud et les éditions antidatées 1568 (avec la bévue de Pierre Rigaud pour les éditions datées de 1566).
On observera l’économie de moyens permettant de conférer une édition de prophéties une emprise sur l’actualité à savoir une simple addition de date au détour d’un chapitre –en l’occurrence dans le chapeau du chapitre IX de la IIe Partie, la présence de l’an 1611 sur la page de titre, le changement d’une lettre dans un quatrain (IX, 86, Chastres devenant Chartres). Il suffit de quelques retouches de ce style pour conférer une nouvelle perspective à un texte, sans autre forme de procès et sans que l’ensemble du texte n’offre en lui-même un intérêt, le public se satisfaisant de quelques bribes, de brefs extraits, sans qu’il soit même nécessaire que tout le quatrain ou tout le chapitre visé fasse sens : une date, un nom propre suffisent.
Jacques Halbronn