Iconographie de l’église de Rennes-le-Château
De quelques considérations autour d’un oubli remarquable.
La décoration de l’église de Rennes-le-Château a fait couler beaucoup d’encre. Pièce centrale de l’affaire, elle passe pour être le testament de l’abbé Saunière. On a voulu voir dans le petit édifice, et plus particulièrement dans sa très abondante ornementation, une sorte de gigantesque cryptogramme, conduisant pour les uns en un site bien particulier des environs de Rennes-le-Château, pour les autres à la compréhension d’un inavouable secret d’Eglise… On a beaucoup écrit à ce sujet, trop diront certains. Les interprétations fantaisistes, de bonne ou de mauvaise foi, ne manquent pas, et éclipsent, sans doute, les quelques rares éléments qui, dans l’ornementation voulue par l’abbé Saunière, méritent effectivement notre attention.
Parmi ceux-ci il est en un de particulièrement troublant. L’église de Rennes-le-Château est dédiée à Marie-Madeleine ce qui explique l’omniprésence de la sainte au sein de l’édifice : toutes les scènes de sa vie évangélique sont figurées, et même certains épisodes post-évangéliques (son apostolat et son retrait à la Sainte-Baume). Une scène, essentielle pourtant, a été omise : à aucun moment, l’abbé Saunière n’a fait représenter l’apparition de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine. Or, c’est pourtant la scène la plus importante de la vie de la sainte, le moment où Jésus l’élit entre tous ses disciples pour faire d’elle «l’Apôtre des apôtres», celle, qui, la première, va annoncer au monde la nouvelle de sa résurrection. A partir de là, une question se pose : pourquoi l’abbé Saunière, en dépit de l’extrême dévotion qu’il voue à la sainte, a-t-il omis de faire figurer dans son église le moment le plus important de sa vie évangélique ?
Il nous faut ici, tout de suite, éliminer trois raisons possibles. Premièrement, l’église compte un certain nombre de vitraux non historiés, et outre ceux ayant trait à la vie de Madeleine, il existe un autre vitrail historié, qui représente la mission des apôtres : on peut, à partir de là, affirmer avec certitude que ce n’est pas le manque de place qui a entraîné l’omission de l’abbé. Deuxièmement, la restauration de l’église achevée, Bérenger Saunière manie d’importantes sommes d’argent : il faut en déduire que l’oubli du prêtre ne peut non plus s’expliquer par une quelconque restriction budgétaire. Troisièmement : si deux des épisodes représentés (l’onction de Béthanie, et la vie érémitique à la Sainte-Baume), tournent autour du thème de la pénitence de Madeleine, ce n’est pas le cas des autres épisodes représentés : l’exclusion de l’apparition de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine ne peut donc être attribuée à une quelconque volonté de l’abbé Saunière d’inscrire les représentations de la sainte dans une thématique donnée et close, par exemple celle du pêché.
Faut-il, à partir de là, penser que l’exclusion de cette scène toucherait à la nature même de ce qu’elle représente, à savoir la résurrection de Jésus ? On sait que celle-ci était niée par un certain nombre de sectes chrétiennes primitives. La plupart des gnostiques chrétiens, chez qui Marie-Madeleine apparaît comme la véritable héritière de Jésus, exactement en lieux et places de Pierre, rejetait la compréhension physique de la résurrection de Jésus, conséquence toute logique de leur déni de la matière. Pour les gnostiques, et cela est notamment perceptible à la lecture de l’Evangile de Philippe la résurrection est un processus de transformation spirituelle assimilable, en quelque sorte, à l’«Eveil» bouddhique. «Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord et qu’il est ressuscité se trompent, car il est ressuscité d’abord et il est mort.», déclare la sentence 21. Le Traité de la Résurrection, un des écrits gnostiques retrouvés à Nag Hammadi, fait également de la résurrection l’instant de la révélation, où l’individu comprend que l’existence humaine est une mort spirituelle. Selon le même texte, dans la mesure où Jésus était le «Fils de l’Homme», donc humain, il souffrit et mourut comme le reste de l’humanité. Chez les gnostiques, l’apparition à Marie-Madeleine ne se conçoit donc que sur le plan de l’esprit : la rencontre avec Jésus se situe sur un niveau matériel et non spirituel. La résurrection charnelle telle qu’enseignée par l’orthodoxie romaine est rejetée. Les cathares reprirent, au cours du moyen âge, la plupart des concepts en vigueur chez les premiers gnostiques, et notamment concernant la négation de la résurrection de la chair, comme nous l’apprend, parmi d’autres, Pierre des Vaux de Cernay. (1)
Contemporaine de Saunière, l’Eglise Gnostique de Doisnel, dont un évêché se situait à Aleth, tout prés de Rennes-le-Château donc, niait également la Résurrection. Et allait plus loin encore : dans un article paru en 1894 dans la revue L’Initiation, le docteur Fugairon affirme que Marie-Madeleine a très certainement rapporté la dépouille charnelle de Jésus dans le Sud de la France, pour l’y cacher. (2) Cela ne veut pas dire que ce fut effectivement le cas. Mais cela nous prouve, d’une manière certaine, qu’à la fin du XIXe siècle, plusieurs membres de cénacles plus ou moins occultes, pensaient que le corps de Jésus se trouvait en France. Papus, paraît-il, s’était un jour vanté, dans un salon qu’il fréquentait, de savoir où… (3)
Peut-on soupçonner l’abbé Saunière de s’être inscrit dans la lignée des hérétiques ? De manière formelle, et en dehors de son affiliation au catholicisme romain, on ne sait malheureusement rien de ses appartenances «philosophico-religieuses». (4) Il faut toutefois constater une chose : comme l’a magistralement montré Alain Féral, à côté de l’église de Rennes-le-Château, Saunière, à travers le jardin du calvaire, a dessiné une seconde église, une église invisible à côté de l’église visible. Est-ce la marque de son appartenance à une église d’une tradition occulte, et dont les fondements auraient été posés dans le Sud de la France par Marie-Madeleine elle-même vers le milieu du premier siècle de notre ère ? Faut-il attribuer à la même hypothèse l’étrange omission qu’il fit dans son église ? Ou n’est-ce là qu’une coïncidence ? Seule, la découverte de nouveaux éléments pourra peut-être, un jour, nous éclairer à ce sujet… Mais il faut d’ores et déjà noter que plusieurs semblent aller dans ce sens, et accréditer, dans la région de Rennes-le-Château, la survivance d’une église occulte à côté, et parfois dans, l’église officielle. L’étrange domaine de l’abbé Saunière n’en est pas l’unique témoin. En l’abbaye de Saint-Polycarpe, prés de Limoux, un tableau d’Annet Auriac (1659) représentant, de part et d’autre du Christ en croix, saint Polycarpe et saint Benoît, semble nous dire la même chose. Saint Polycarpe, richement paré, évoque le faste qui entoure le pontife romain. Saint Benoît, est lui vêtu de manière austère : tout habillé de noir il nous rappelle la silhouette des Parfaits cathares. Cette première opposition est au cœur d’un réseau symbolique subtilement tissé : dans les volutes de la crosse de saint Benoît, le peintre a figuré une rose, symbole marial par excellence ; tandis que saint Polycarpe montre de son index le sol (on se rappellera que les hérétiques désignaient l’Eglise de Rome comme l’église terrestre, par opposition à l’église céleste qu’ils incarnaient…), saint Benoît tient en ses mains un livre rouge, couleur fréquemment associée à Marie-Madeleine dans l’iconographie médiévale… Tout fonctionne comme si le peintre avait voulu opposer, de part et d’autre de la croix, les deux églises auxquelles Jésus donna naissance — celle de Pierre, la fastueuse et la visible, et celle de Marie, l’austère et l’invisible. Un détail dans l’architecture de la ville que l’on devine dans le fond du tableau semble aller dans le sens de cette lecture. Le peintre a figuré côte à côte une église et une mosquée. La présence de celle-ci peut paraître surprenante. C’est le seul élément oriental de la ville représentée, qui comme dans de nombreuses Crucifixions, est typiquement européenne. Plus étonnant encore : cette mosquée est bien plus imposante en taille que l’église. Le clocher de celle-ci disparaît littéralement à côté d’elle. Ces anomalies m’amènent à penser que cette mosquée est un nouveau moyen pour l’auteur de représenter, de manière symbolique, l’Eglise de Marie : le croissant qui la surmonte est un des attributs les plus importants de la Vierge. En juxtaposant le croissant de lune et la croix, Annet Auriac opposerait à nouveau les deux églises, et, une dernière fois, affirmerait la légitimité de celle de Marie…
Christian Doumergue – article inédit / Arcadia © juillet 2003
(1) En 1212, jeune moine cistercien, Pierre accompagne son oncle Guy (abbé des Vaux-de-Cernay, et bientôt évêque de Carcassonne et prédicateur de la croisade) en Albigeois. Au cœur des événements, il entreprend ce que l’on pourrait appeler une chronique officielle de la Croisade. Son œuvre est une apologie des croisés, armée de Dieu, contre les hérétiques, troupe de Satan. Son récit s’interrompt brusquement en 1218.
(2) L’Initiation, juin 1897. (Je donne l’intégralité de l’article dans mon ouvrage L’Evangile Interdit (Marie-Madeleine et le secret des cathares), pp. 183-187.) Le docteur Fugairon est né en Algérie le 21 décembre 1846. Professeur universitaire, il s’occupa de médecine et de biologie jusqu’en 1893. C’est à ce moment qu’il se tourne vers l’occultisme.
(3) Cette information me vient d’Alain Sipra. M. Sipra a plusieurs publications sur le passé wisigothique de Rennes-le-Château à son actif. C’est l’inventeur du mausolée wisigoth décelé par photographie aérienne non loin de Rennes…
(4) En écrivant que l’on ne sait rien des appartenances «philosophico-religieuse» de Saunière, j’exclus bien sûr tout ce qui relève du politique, même s’il y a effectivement un lien entre les deux, d’autant plus fort à l’époque qui nous intéresse. L’orientation politique du prêtre est en effet quant à elle parfaitement connue.
Crédit Photographique : Photographies Christian Doumergue ©