Bérenger Saunière et les « Puissances supérieures » :
la « pensée magique », solution du mystérieux incident du 14 juillet 1895 ?
1. De quelques observations préliminaires
C’est en 1885, à l’âge de 33 ans, que Bérenger Saunière arrive à Rennes-le-Château. C’est à 33 ans qu’est mort le Christ. La coïncidence — et chacun donnera au mot coïncidence le sens qu’il voudra bien — n’a pas manqué d’arrêter quelques auteurs, de Gérard de Séde à Elizabeth van Buren. Très certainement, fut-elle aussi relevée par Bérenger Saunière lui- même et peut-être explique-t-elle, du moins en partie, l’enthousiasme qu’il mit à restaurer l’église, puis à bâtir son domaine, lequel participe de l’élan religieux qui anime le prêtre, et ne saurait en être dissocié, du moins totalement. Il est en effet tentant de penser que Saunière ait vu dans cette coïncidence comme un signe, témoignant de la «mission» qu’il avait à remplir à Rennes-le-Château.
A l’aube du XXe siècle, le catholicisme est très fortement marqué par le mysticisme ambiant. Je donne dans mon livre Bérenger Saunière, prêtre libre à Rennes-le-Château, l’exemple d’un article tiré de L’Eclair du 3 décembre 1911, et qui sous le titre « L’influence des nombres » note certaines coïncidences d’ordre numérologique entre le nom et la date de naissance de Mgr de Cabrières d’un côté, et son parcours d’homme d’église de l’autre. Bérenger Saunière évolue dans cette ambiance là, et sans doute y céda-t-il. Le grand bas- relief nous montrant Jésus prêchant sur la montagne, témoigne très certainement de cette identification, consciente ou inconsciente, de Bérenger Saunière avec la figure de Jésus qu’induisait la coïncidence précédemment notée, et qu’entretint probablement la substitution de la montagne de Jésus par la colline de Rennes-le-Château, dont la position dominante sur tous les alentours est propice aux élans mystiques.
On sait très peu de choses sur l’enfance de Bérenger. Le témoignage précieux de M. Bary nous apprend toutefois qu’il amenait souvent ses camarades, dont il était l’incontesté leader, sur le plateau de Rennes. On ignore ce que le petit groupe d’enfants faisait là-haut, mais il importe de noter que, dès son plus jeune âge, l’image de Bérenger se confond à celle de Jésus emmenant ses disciples sur la montagne (voir Matthieu, XVII, 1). Plus tard, ses camarades furent remplacés par ses paroissiens, et surtout ses paroissiennes, bien plus nombreuses.
Bérenger était l’aîné d’une famille de sept enfants, ce qui dut, dès sa petite enfance, le prédisposer à lire dans les signes. Il est inutile de préciser ici la connotation « magique » très forte du chiffre sept, que l’on retrouve aussi bien dans la plupart des écrits mystiques que dans de nombreuses traditions populaires.
Que les chiffres aient joué un certain rôle dans la compréhension qu’avait Bérenger Saunière de l’univers, cela semble attesté par certaines tentations manifestement symbolistes du prêtre. On ne peut accorder à une simple coïncidence le fait qu’il ait précisément fait éditer 33 cartes postales de Rennes-le-Château, détail que nous apprend l’actif de situation qu’il fournit à son évêque en 1910 et où les dites cartes figurent parmi ses sources de revenu. De même, faut-il remarquer la récurrence du chiffre 11 dans son Domaine : l’escalier accédant, depuis l’actuel parking du village, au jardin de la villa Béthanie compte 11 marches ; l’escalier extérieur de la tour de verre également ; et c’est encore le cas des deux escaliers accédant au belvédère. Bérenger Saunière étant lui-même né un 11 avril, tisse ainsi autour de lui un réseau de signes, qu’après avoir observé, il conditionne à son tour. L’escalier ascendant de l’échauguette de la Tour Magdala comportera pour sa part 22 marches (11X2), de même que celui, descendant de la tour de verre. Le chiffre 11 se trouve ainsi lié au chiffre 22, vague évocation du 22 juillet, jour de la sainte Marie-Madeleine, véritable inspiratrice de l’œuvre de l’abbé Saunière.
2. L’incident du 14 juillet 1895
Les quelques considérations jetées là, et qu’il conviendra peut-être d’approfondir, si elles nous servent à préciser le portrait d’un homme sur l’œuvre duquel on a beaucoup glosé, mais sur la vie de qui planent encore de très nombreuses zones d’ombres, nous servent aussi à expliquer certaines réactions, à priori bien mystérieuses, de l’abbé Saunière.
On lit, dans le procès verbal du conseil municipal de Rennes-le-Château du 25 juillet 1895, que le 14 juillet de cette même année, le feu s’étant déclaré dans une maison et menaçant de se communiquer à tout un quartier presque exclusivement composé de granges, l’abbé Saunière refusa que les villageois accèdent à la citerne qu’il avait faite bâtir dans le jardin du calvaire, et sur laquelle il avait élevé un appartement lui servant de bureau… Pour expliquer le refus de l’abbé, les auteurs évoquant cet épisode assez curieux, il faut en convenir, de la vie du prêtre, supposent qu’il avait caché quelque chose dans la citerne. Cette explication prend apparemment racine dans une rumeur qui avait circulé, du temps de l’abbé, autour de son refus. Or, elle ne tient pas. Le procès verbal signale en effet que suite à l’intervention du maire, et surtout aux menaces d’un certain M. Olive d’enfoncer les portes de la construction, l’abbé céda finalement, et autorisa les villageois à accéder à la citerne. Sans doute, faut-il dès lors chercher une autre explication. Or, l’incident en question se déroule un 14 juillet. J’incline à penser, que c’est cette coïncidence, et elle seule, qui détermina l’abbé, dont l’engagement politique du côté des royalistes et contre les républicains nous est bien connu, à refuser l’accès à la citerne. En ce jour de fête républicaine, il vit sans doute dans l’incendie déclaré, comme une manifestation de la colère divine dirigée contre ceux qui avaient abandonné la foi de leurs pères. Dans l’imaginaire judéo-chrétien, le feu est en effet une des manifestations les plus fréquentes de la colère divine. Les prônes de l’abbé qui nous viennent de son passage à Antugnac, nous signifient très clairement que le prêtre attribuait les catastrophes de son temps aux foudres de Dieu se vengeant sur les hommes de l’évolution de la pensée laïque. Le 10 mai 1890, il écrit notamment : «Pourquoi tant de maladie, tant de misère ? C’est parce que l’homme a oublié son Dieu, parce qu’il veut se passer de lui ; c’est parce que l’homme ne prie plus, qu’il ne respecte plus son Nom trois fois Saint, c’est parce qu’il pèche, qu’il travaille le Dimanche et qu’il n’obéit plus à la loi sainte.» Le thème du dimanche sacrifié sur l’autel de la République est un des leitmotiv de ces prônes, et, on le retrouve, toujours, systématiquement, associé aux catastrophes de cette fin de siècle.
Le 14 juillet 1895, Bérenger Saunière n’avait certainement rien à cacher. Simplement, il vit dans cette irruption soudaine du feu à Rennes-le-Château, le jour de la fête républicaine par excellence, comme un signe divin, une manifestation de la volonté du Dieu qu’il servit toute sa vie, auquel il se soumit entièrement, et dont il ne voulait certes pas contrarier les desseins.
Sans doute perçut-il cette coïncidence comme un signe lui disant qu’il était sur la bonne voie… Celle tracée par les «puissances supérieures».
Christian Doumergue – article inédit / Arcadia © août 2003
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