Une ligne admirable partage la France en deux parties égales selon la verticale du méridien. Trois bâtiments religieux l’ont jalonnée, l’église Saint-Germain des Prés à Paris, le couvent des religieuses du Bon Pasteur à Bourges, l’église Saint-Vincent à Carcassonne.
L’église Saint-Germain des Prés fut jadis Saint-Vincent et Sainte Croix. Là fut inhumé Childebert avec la chape de Saint-Vincent qu’il avait rapportée d’Espagne.
Le couvent des religieuses du Bon Pasteur eut son heure de gloire quand une multiplication des pains s’y produisit. Ce miracle détermina le procès en canonisation de Sainte Germaine, petite bergère pyrénéenne que l’on avait invoquée.
Au XVIIIème siècle, la ligne rouge connut une gloire secrète quand l’abbé Ollier, curé de Pibrac vint recevoir à Paris une petite église entourée d’un grand cimetière et qui dépendait de Saint-Germain des Prés. Ce modeste bâtiment dédié à Saint-Pierre fut placé sous l’invocation de Saint-Sulpice et devait un jour évoquer pour toute l’Europe un aspect de la vie religieuse française. Le nouveau curé, voyant que son église se trouvait sur le passage de l’axe naturel fit dessiner sur le sol une ligne rouge qui le signalait.
Le rôle de l’abbé Ollier semble d’autant plus énigmatique qu’en 1644, comme il avait quitté Pibrac depuis trois ans, l’on y retrouva le corps de Germaine, celle que le miracle de Bourges devait sanctifier. Bien qu’elle fut inhumée depuis une quarantaine d’années, la décomposition l’avait épargnée. On la reconnut à sa main desséchée. Entre Germaine et Germain, la liaison est établie par l’image de la main desséchée. La tradition est alors largement répandue dans Paris qu’en 845, un normand descendu dans la crypte de Saint-Germain des Prés avait eu la main desséchée pour avoir prétendu à trois reprises, basculer une colonne à droite de l’entrée. Afin que l’allusion ne soit pas perdue, l’abbé Ollier fit placer un « Christ à la colonne » au bout de sa ligne rouge vers Saint-Germain des Prés.
Dans la même année où l’on découvrait Germaine, on disposait les reliques de Sainte Roseline que le temps avait, elle aussi, miraculeusement préservé de la pourriture. Les deux femmes avaient également réalisé le prodige de changer le pain en fleurs. Le nom de Rose-line désigne clairement la rose et le lys, l’objet suggéré étant la boussole où une fleur de lys évoluant sur la rose des vents désigne la verticale polaire. Il suffisait de s’aviser que Sainte Roseline était fêtée le 17 janvier conjointement à Saint-Sulpice pour savoir en quel endroit de France il fallait placer la boussole pour diviniser simultanément la fleur de lys et la géographie. La main de Germaine apparaissait alors desséchée par son exposition soit aux frimas du pôle soit aux ardeurs de l’équateur.
Cette consécration du territoire ne pouvait pas satisfaire le souverain. L’on sentit fort bien dans l’entourage du jeune Louis XIV que sous ses apparences de divertissement, l’église poursuivait une tentative de chantage. Entrant dans le divertissement à son tour, la royauté répondit par la violation du corps de Sainte-Roseline.
En 1659, le jeune Louis accompagné de sa mère et d’Antoine Vallot, médecin, vint à la Celle aux Arcs où était Sainte Roseline. Sous prétexte de s’assurer contre une supercherie, Antoine Vallot fut prié de crever l’œil gauche du cadavre avec une épingle. Le geste prit sa valeur symbolique quand il s’agit de fonder l’observatoire de Paris au bout des jardins du Luxembourg et d’y faire passer le méridien 0 de la France. Le méridien de l’observatoire étant tout proche du méridien désigné par la ligne rouge de Saint-Sulpice, l’on doit considérer les yeux comme les observatoires de notre corps et comprendre ainsi comment l’acte de crever l’œil gauche de Roseline contestait le méridien de Saint-Sulpice.
Le rapport entre la main desséchée de Germaine et l’œil crevé de Roseline est fort joliment signalé par Molière dans « Le malade imaginaire ». Antoine Vallot devenu Toinette, suggère à son malade de se faire crever un œil et couper un bras parce qu’ils empêchent l’autre œil et l’autre bras d’avoir pleine jouissance de leurs facultés. Sachant que le dramaturge, Poquelin de son vrai nom, prit son pseudonyme de Molière en 1644, l’année même où l’on découvrait Germaine et où on exposait Roseline, on en déduit aisément la signification du changement de nom. Molière vient de M.olier, fondateur de Saint-Sulpice.
Gino SANDRI
Crédits Photographiques :
– Saint Sulpice, photo Arcadia ©.
– Plan de Saint-Sulpice à Paris, avec la fameuse ligne rouge. Archives Prieuré de Sion ©.