« Il est trop triste de savoir que la vie ressemble à un jeu d’échecs, où une seule fausse démarche peut nous obliger à renoncer à la partie, avec cette aggravation que dans la vie nous ne pouvons même pas compter sur une partie de revanche. » Freud
Les secrets du jeu des Rois ?
Ceux de sa symbolique, certainement. Une symbolique, riche de sens cachés et d’aventures de l’esprit, tournée en entier vers la compréhension de l’action par le nombre, et du nombre par l’image. Elle est axée, formellement parlant, d’un côté sur la géométrie du jeu (1), de l’autre sur le ballet des valeurs symboliques des nombres, que des correspondances occultes vieilles comme le monde, mettent en jeu avec la générosité qui fut toujours celle d’une mystique en puissance.
Une mystique en puissance ?
Oui, celle du jeu d’Échecs. Une mystique trinitaire par l’Échiquier, les Pièces et la Partie en soi, et duale par le Jeu et les Joueurs. Une mystique enfin, qui recèle des vérités premières et qui ne saurait se passer d’une certaine initiation.
Et, cachée derrière le jeu et sa pratique, tout un monde de symboles, chiffrés dans la forme et dans le nombre, on ne saurait oublier l’initiation. Certes, les millions de joueurs d’Échecs, dispersés sur toute la Planète, sont bien loin de constituer une confrérie d’initiés ou un ordre, sinon une société initiatique quelconque, mais à chaque partie ils abordent le monde des Initiés. Initier, dans le sens ésotérique du mot, correspond à faire mourir (pour garder la signification du terme grec Telentai). Le jeu d’Échecs ne débute pas par le franchissement figuré d’une porte ou autre épreuve comparable à une mort à l’égard du monde profane, mais il y a dans la pratique des Échecs cet autre grand aspect de l’Initiation qui est « le passage ». Un continuel passage vers le meilleur…
L’initiation par le jeu d’Échecs, n’est point exempte ni du chemin d’un monde à l’autre, ni de la continuelle métamorphose du néophyte d’hier à l’apprenti d’aujourd’hui, et du compagnon déjà bien exercé du présent vers le maître -éventuel- de demain…
Le passage est celui du non-exercice du simulacre de la vie à la pratique courante d’un jeu qui la symbolise et l’exprime. C’est un chemin qui mène d’un monde où tout geste est hasard vers un autre monde où toute action sort du nombre pour s’inscrire dans la logique des mouvements. La métamorphose qui attend le néophyte est comparable à la transmutation alchimique prise au sens symbolique du mot, où vil métal et excellence de l’or représentent le premier contact et la maîtrise du jeu.
A la régénération spirituelle mise en route par l’initiation rituelle, le jeu d’Échecs répond par une régénération des facteurs clefs de l’intelligence, où force de pénétration, esprit de décision et entreprise de l’action se confondent pour exprimer son progrès. D’un côté initiation sur la voie de la perfection, de l’autre initiation qui conduit vers l’efficacité de la pensée.
Parlant du symbolisme des Échecs, tous ceux qui s’en sont occupés, ont distingué, comme nous l’avons fait nous-mêmes, la symbolique de l’Échiquier de celle du jeu proprement dit -Pièces et Combat. Monde manifesté, l’Échiquier fut comparé -comme on l’a montré – au Vastu Pourousha Mandala, ce mandala a soixante-quatre cases, symbole de l’accomplissement de l’unité cosmique, plan du temple, expression des rythmes cosmiques et image fixée de leurs cycles. Le jeu, quant à lui, fut toujours interprété à travers le symbolisme conjoint des actes d’intelligence et des professions de rigueur.
Deux visions distinctes de deux réalités différentes qui se rencontrent dans l’ésotérisme du jeu d’Échecs.
Une première fois dans le visible de la partie qui engage et entraîne, sous la houlette des joueurs, pièces, action et Échiquier, une deuxième fois dans l’invisible, par l’appartenance de l’art de jouer aux Échecs à l’Intelligence cosmique.
Pierre Carnac – La Symbolique des échecs – Henri Veyrier ed. 1985.
(1) Une géométrie, comme on le sait, purement formelle.