Arcadia : Le « parchemin » en question avait quel aspect ?
Michel Moutet : Pour autant que je sache, A*** avait fait des prises de vue photographiques en noir et blanc. Mais que savais-je de précis ? Ce qu’il m’en avait dit et ce que j’avais vu. Il aurait écrit sur une peau de chèvre toute récente avec du jus de cerise (quelle belle recherche d’authenticité…! Mais pourquoi pas, après tout) et aurait ensuite fait les prises de vue. Pour faire ancien, il aurait ensuite fait cuire la peau à la poêle.
Lorsque je l’ai enfin vue, peut-être près d’un an plus tard (l’avait-il confiée elle aussi entre-temps à la personne de ses rêves…), c’était quelque chose de noirâtre, apparemment graissé, qu’il déroula précautionneusement. Je ne revois pas précisément l’instant, mais il me semble bien qu’il y avait deux peaux (une pour le recto, une pour le verso ? Ce n’est pas illogique). Le format était à peine plus grand que celui des photos.
Oui, on pouvait distinguer les tracés par rapport au fond, mais à peine. Et aucun traitement d’image, même aujourd’hui, n’aurait pu permettre les photos qu’on en a. Ce qui démontre bien que, n’y aurait-il eu qu’une personne dupée dans cette affaire et qui aurait vu et l’original et les photos, elle avait mis beaucoup de grâce à l’être. Ou une certaine dose de bêtise. Ou, à l’inverse, elle y a vu l’opportunité de berner des tiers à l’insu même de l’auteur du document. Il y a peut-être des trois.
En tout état de cause, ce qu’il faut bien retenir, c’est qu’une fois cuite, aucune photo semblable à celles qui ont été publiées n’a pu être faite. Donc, toutes les photos connues sont d’A***. Deuxième chose à retenir, c’est que ce n’est pas lui qui a fait circuler les photos (et, même beaucoup plus tard, il n’est pas dit que Weysen les ait eues par lui, ni peut-être même ait su qu’il était l’inventeur de la peau) – c’est la femme de ses espoirs déçus…
Arcadia : A votre connaissance, d’autres chercheurs étaient-ils au courant de la fabrication de ce « faux » à l’époque ? On parle de Guy Tarade (1), l’écrivain ésotériste ou encore de Alain Lefeuvre, l’éditeur ?
Michel Moutet : Je pense que nous n’avons pas la même notion de ce qu’est un chercheur. Et je n’ai rien à dire de ces deux faux naïfs. Encore que cette définition réaliste réponde en partie à la question. Peut-être…
Je ne sais pas non plus si Robert Charroux a été au courant. Je croirais plus volontiers qu’il en soit resté à ce qu’il avait écrit sur Valcros dans Trésors du monde (y est-il même allé ? Beaucoup d’informations qu’il avait sur les trésors venaient de correspondants). A part ça, beaucoup de monde était au courant… Les proches d’A***, et les miens. Je pourrais citer des noms, mais de gens qui sont totalement inconnus (si : j’en ai probablement parlé à Louis Charpentier. Mais c’est le genre de choses qui ne pouvaient que le faire rire ! Il me semble en avoir discuté avec Maurice Guinguand aussi. Daniel Réju le sut également, mais beaucoup plus tard je crois). J’ai pensé que la plaisanterie allait prendre fin après cet article surréaliste (pour rester, disons neutre, puisque je n’ai pas spécialement l’intention d’être poli) sur les « Frères de la Rose » dans L’Espoir-Hebdo en octobre 1973. D’autant plus qu’elle n’avait certainement plus, vu le temps passé, de raison d’être. Et on voyait bien, là, avec la publication en grand format des photos de la peau, que l’historicité du document ne pouvait leurrer que quelques incultes.
Est-ce avant cette publication ? Est-ce après ? Il y eut au moins trois personnes, à l’entregent entretenu, qui furent grâce à moi au courant de la supercherie. Jacques Moreau (qui sous le pseudonyme de Jacques de Saint-André publiera chez De Vecchi, en 1977, Francs-Maçons et Templiers – La Fin d’une malédiction ?) et sa complice d’alors Ginette Taffin. Tous deux animaient sur FR3 Nice l’émission radio Un Autre Soleil, qui faisait pendant à celle de Jimmy Guieu, Les Carrefours de l’Etrange sur FR3 Marseille. Ainsi que Pierre Grimaud, ingénieur Arts et Métiers à la retraite, membre de plusieurs sociétés savantes du département du Var (dont, surtout en ce qui concerne ses publications, de la Société des Sciences Naturelles et d’Archéologie de Toulon et du Var, de même que Gérard Couette), grand spécialiste de la chartreuse de la Verne, représentant du Groupement International d’Etudes Templières pour la région. Il donna une petite brochure intitulée Les Possessions des Templiers dans le Var – Essai d’inventaire archéologique où, suivant l’étude de Durbec, Les Templiers dans les diocèses de Fréjus, Toulon et Riez – Maisons de Ruou, Hyères, Saint-Maurice, Bras, Peirasson et autres (il est semble-t-il plus connu par son article paru dans Provence Historique de 1959, « Les Templiers en Provence – Formation des commanderies et répartition géographique de leurs biens »), il met en lumière les vestiges architecturaux subsistants, qu’il est allé traquer sur le terrain. C’est par lui que j’avais appris avec effarement qu’un des responsables de la Société Varoise d’Etude des Phénomènes Spatiaux (!) proposait à la vente les photos de la peau (c’était donc bien avant 73) pour (si mon souvenir est bon) 6.000 francs. Il est difficile d’imaginer que ce dernier puisse les avoir eues autrement que par la seule personne qui était censée les détenir.
J’ose aussi penser, et bien que nous ayons lui et moi bien des divergences de vues, que Laurent Dailliez, d’autant plus qu’à l’époque il gérait une imprimerie à Nice, n’était pas tombé dans le panneau : c’eut été un comble ! Il a probablement estimé que c’était trop gros pour pouvoir faire illusion, que souligner ce qui ne pouvait être qu’une évidence aurait été une inutile perte de temps. Et puis L’Espoir-Hebdo était à la hauteur de son fondateur…
Dernière chose, beaucoup plus récente puisque en juillet 2000, l’information apparaissait en notice dans le numéro 4 du Catalogue Martien où deux exemplaires de ce n° 42 de l’hebdomadaire niçois étaient à la vente.
Arcadia : Indépendamment du fait que ce parchemin présenté et souvent cité soit indubitablement un faux, il n’en demeure pas moins que le Verdon conserve intégralement sa part de mystère, et n’enlève rien finalement aux recherches d’Alfred Weysen ou celles de Jangast. Quel est votre sentiment sur ce sujet ? Quel est votre intérêt personnel pour le Verdon ?
Michel Moutet : L’affaire de Valcros est quand même assez extraordinaire et, sauf si Marcolla avait tout inventé à partir du tableau (mais dans quel but, et pour quel profit ? Ça reste peu probable), difficilement réductible.
Il y a toutefois un élément important qui m’a fait très longtemps douter, malgré tout, de l’affaire. C’est que, et tournez-le dans tous les sens que vous voudrez, Valcros ne voudra jamais dire « Val de la Croix ». Cros nous désigne sans artifice et sans doute possible ce qui est creux, en creux, encaissé, voire creusé, troglodyte. Même chez les célèbres, et pourtant peu rigoureux (par paresse, je pense) duettistes, mandarins et comiques, Dauzat et Rostaing. Je passe bien sûr sur les aberrations étymologiques dont Weysen gratifie la toponymie des lieux (à croire qu’il est l’abbé Boudet réincarné…).
Mais, et c’est en discutant avec vous, Cher Thot, que j’ai eu un éclair de lucidité. Il est vrai aussi que je n’avais pas songé à cette affaire depuis plus de trente ans. L’erreur de lecture faite à l’arrivée pouvait très bien avoir été faite aussi au départ : l’auteur du message transforme en toute bonne foi Valcros en Val-de-Croix ; deux cents ans après, Marcolla fait la même faute « culturelle », lisant Val-de-Croix dans Valcros. Certains pourraient même dire que cette « synchronicité » confirme une prédestination ! Pourquoi pas, après tout ? (Ça sera ma seule concession à un raisonnement magique. A moins que ce ne soit qu’une boutade.)
Il est peut-être dommage que Weysen ait embrouillé toutes les cartes.
Je voudrais en profiter pour dire à tous ceux qui n’ont pas réussi à aller jusqu’au bout de la lecture de L’Ile des veilleurs qu’ils ne doivent pas culpabiliser ; ce n’est pas leurs facultés de compréhension qui sont en cause. Ce livre est d’évidence une folie littéraire. Et il faut là aussi préciser, pour ceux qui auraient des doutes sur cette expression consacrée, qu’un fou littéraire n’est pas un fou qui fait de la littérature, c’est seulement un fou qui écrit !
Qu’y aurait-il d’autre en faveur du Verdon mystérieux, et templier ? Et bien, quand même, pas mal de choses. Je commencerai par répondre à votre question sur mon intérêt personnel, pour vous dire que je n’en ai pas. Outre la curiosité gratuite ; celle aussi pour les recherches de mes amis, mais le dernier qui s’y intéressait est mort voici deux ans (je vais y revenir). Et puis, le Verdon, c’est profond… et je suis sujet au vertige.
Venons-en à ces choses.
Historiquement, on est en terre templière (parce qu’ils sont un peu partout) et, que ce soit rive droite ou rive gauche, les possessions dépendent de la grosse commanderie de Ruou-Salgues (dont dépend aussi Montfort-sur-Argens). Il ne faut toutefois pas faire, comme c’est souvent le cas, un abus de sens (parce que ça arrange… parce que ça va donner de l’importance au texte qu’on rédige…) : ce n’est pas parce qu’un seigneur possède en tel endroit une terre et, assez souvent, le paysan qui l’exploite, qu’il dispose de la seigneurie, ne serait-elle que partielle du lieu. Ce n’est pas pour autant non plus qu’il y a une commanderie, terme flatteur et galvaudé par suremploi tant par les générations ultérieures que par les historiens du XIXème siècle ; aujourd’hui par les offices du tourisme.
On a ici deux établissements (c’est-à-dire des endroits où on peut trouver un frère de façon plus ou moins permanente) avérés : Comps (où, toutefois, les Templiers sont en concurrence avec les Hospitaliers, installés avant eux) et Saint-Maxime de Rougon. Après, il s’agit de chapelles, parfois avec les droits y afférant, ou de terres et/ou portions infimes de seigneuries. Le tout pouvant de fait donner l’impression d’entourer notre lieu : ainsi à Lagnes, sur le Grand Plan de Canjuers ; à Saint-Maymes, rive gauche face à Rougon ; en direction du nord-est, on a Le Bourguet, Robion, La Roque-Esclapon et, plus secondairement, Peyroules et Soleilhas (sans entrer dans le détail des biens) ; et, peut-être aussi, Valcros même, pourquoi pas ?
Il faut toutefois éviter là aussi d’extrapoler : de l’installation première à Richerenches, en 1136, jusqu’à 1308, il y a 170 ans (170 ans en arrière de notre présente époque, nous étions sous la Monarchie de Juillet) et, en près de deux siècles, il s’en passe des choses, même si le « marché de l’immobilier » était alors un peu plus stable.
On a ensuite cette affaire de Borgandion (je ne me rappelle plus d’où ça sort, ni s’il s’agit d’Histoire ou de proto-folklore) ; toujours est-il qu’un chevalier de ce nom (j’y reviens tout de suite après) se serait enfui de sa prison de Meyrargues en 1308 pour se réfugier à Châteauneuf-les-Moustiers (sur la commune de Rougon) dans une chapelle bâtie dans une grotte, Notre-Dame du Boux. On se plaît à supposer qu’il ne serait pas parti de Montfort les mains vides…
D’après Durbec, le frère P. Borgondonius, dont le nom apparaît dèjà en 1305, serait le dernier chapelain de Montfort. Dont acte. J’en profite pour souligner l’erreur de francisation du nom (je ne sais qui l’a faite au départ, mais elle n’a fait que se répéter) : Borgondionus veut dire « de Bourgogne », on devrait donc « traduire » soit ainsi, soit Le Bourguignon, soit Bourguignon. Jamais Borgandion.
Tout ce que je viens d’évoquer n’est certes que détails, mais il est vrai que mis bout à bout on comprend que ça ait pu paraître assez troublant à certains.
Eh bien, troublons-les encore plus : c’est le jour des scoops aujourd’hui !
Et, de plus, vous allez le voir, on va être là en plein irrationnel. Je vous ai dit tout à l’heure que j’avais un ami qui était mort voici deux ans (il avait 52 ans).
Peut importe ici son nom ; c’était un géophysicien respecté à qui l’on devait la conception et la réalisation du magnétotelluromètre le plus performant au monde (capable de détecter la moindre cavité dans la roche jusqu’à une profondeur de l’ordre du km !). Quant on pense que Weysen est allé chercher relativement loin un appareil aux capacités très réduites alors qu’il pouvait disposer de ce dont il avait besoin relativement près est, je pense, une belle ironie (que l’appareil existe toujours, mais qu’il n’y ait absolument personne qui soit en mesure de pouvoir en interpréter les résultats obtenus, en est une autre ; et des plus belles aussi).
Attiré par l’étrange, par les trésors aussi, mon ami était tout l’inverse du scientifique borné (mettant ses connaissances à ce service, il avait, par exemple, déterminé que les calculs géométriques d’A*** sur Rennes-le-Château étaient sans fondement). Et il avait parfois des intuitions étranges. Mais est-ce redevable là à l’intuition ? Habitué du Verdon, où il faisait de l’escalade, il crut reconnaître un profil de crête des gorges dans le dessin de couverture de l’édition originale de L’Ile des Veilleurs. Je rappelle, pour tous ceux qui n’ont pas vu cette édition, que le centre de l’image est occupé par une grosse pierre précieuse en suspension dans les airs (comme un ovni ?). C’est comme si une information avait été transmise (par qui ? Et pourquoi ? Le mystère dans le mystère) à l’insu même de Weysen. Il détermina que ce lieu pouvait se situer à la Voûte d’Emeraude, à hauteur, si je me souviens bien, de La Palud, sous la Barre de l’Escalas, c’est-à-dire, en fait, quasiment en face, rive gauche, de Saint-Maymes.
Je sais qu’il descendit la paroi plusieurs fois à la recherche d’un indice de passage qu’il ne trouva pas. Dans les dix mois qui précédèrent sa mort, et alors qu’on ne s’était pas vus depuis plus de dix ans, il m’en parla plusieurs fois. Il envisageait d’y retourner et, comme il avait une grande expérience des explosifs, qu’il fabriquait lui-même, chercher une possible (certaine pour lui) cavité cachée (il devait descendre une plate-forme pour installer son appareillage de mesure) et percer ensuite le roc à cet endroit-là à l’aide d’une charge creuse. Que ce nom de Voûte d’Emeraude soit probablement « récent » n’était pas argument à le détourner de sa conviction. Et s’il y avait bien communication « occulte » du lieu, il n’avait alors pas tort.
J’en profite pour donner une dernière bille. Dont je n’ai jamais eu le temps de m’occuper. Et qui ne semblait pas intéresser A***, parce que trop loin sans doute. On a, au nord de cette situation « émeraldienne », et sous La Palud, un lieu-dit Boulogne. Il est fort possible que ce toponyme soit plus ou moins récent. S’il est beaucoup plus ancien, par contre, il devient très évocateur, n’est-ce pas ?
Voilà, vous savez tout…Et plus encore.
Il faut tenir compte aussi des recensions faites depuis par Bernard Falque de Bézaure, qu’il faudrait certes un peu plus documenter, qui offrent peut-être matière à relancer les débats…
Interview de Michel Moutet pour la LdT, août 2006 ©.
Photo : Michel Moutet © Agence Martienne
(1) Dans une correspondance privée (archives Arcadia), Guy Tarade nous a assuré connaître lui aussi l’auteur de l’imposture. A l’évidence aussi Jean-Luc Chaumeil dans son livre, Le Trésor des Templiers, Trédaniel ed. 1994, connaît lui aussi le nom du faussaire, il suffit de relire la page 218 de son livre pour en être convaincu…