Sans rame, sans voile, sans gouvernail, comme la légende des saintes aime bien nous le répéter et comme nous sont représentés la plupart des documents exposant des nefs comme moyen de passage « onirique ». Fragile embarcation ou, au contraire, solide bateau, selon les hypothèses, il parvient non sans mal probablement après un tel trajet à travers la Méditerranée, … au large de Marseille.
Curieusement, notons au passage que Marsi-Illia correspond en phénicien-étrusque à « rade de Dieu », comme Marsi-Veyre correspond à « rade du serpent », ou « dragon » (Weyre).
Voici donc les témoins du Christ, au terme de leur long voyage, traversant la baie de Marseille pour éviter une ville par trop contrôlée par les Romains. Ils naviguent à la recherche de l’endroit hospitalier autant par leurs habitants que par leurs dieux pour aborder cette sorte de nouveau continent, où vont être semés les tous premiers germes de la chrétienté en Europe. Une solide tradition chrétienne persiste depuis toujours en Grande-Bretagne et dans de nombreuses légendes de l’abbaye de Glastonbury. Elles donneront à l’origine du cycle arthurien, une version de voir dans ce trajet maritime, non pas le hasard, mais au contraire un parcours parfaitement organisé. Un voyage réussi de Joseph d’Arimathie sur un de ces bateaux spécialement affrétés et régulièrement destinés à ramener de Marseille le précieux métal des mines d’étain des îles Cassitérides et du Mendip Hills en Angleterre via la Gaule. Ce fameux chemin de l’étain a pu devenir en sens inverse, le parcours du Graal de la Couronne ou des Saintes-Maries-de-la-Mer à Glastonbury.
L’affaire prit une telle ampleur dans la discorde du royaume d’Angleterre avec l’Eglise de Rome, qu’il fut un des sujets du concile œcuménique de Constance. La revendication ne suscita guère de protestation de la part des évêques français comme si la reconnaissance officielle de Joseph comme «apôtre» de la Grande-Bretagne était plus ou moins un fait accompli. La querelle resurgira quand l’Eglise d’Angleterre s’émancipera de la représentation papale, prétextant que Joseph d’Arimathie fut bien le premier avant Pierre, à évangéliser cette partie de l’Occident, et aboutira à la création de l’Eglise actuelle en Angleterre.
Ce qui confirme qu’au Moyen Age, la tradition de Joseph d’Arimathie, du Graal et de la légende arthurienne, était loin d’être considérée comme une simple élucubration d’écrivains.
Elle était plus vraisemblablement avec la chevalerie comme une expression, quoique discutable, de la foi et de l’idéal chrétien qui se cherchait. On peut dire pourtant, qu’elle fit bonne figure, bon poids et bonne mesure dans les transactions humaines de l’histoire de cette époque.
L’ange de Sainte-Croix à La Couronne
Selon la majorité des textes anciens, la sainte Barque accosta sur le site de la Couronne près de Marseille. On ne peut impudemment évoquer ce lieu déjà connu par les innombrables carrières ouvertes par les Grecs pour bâtir leurs temples et monuments, sans parler de son existence qui remonte à la préhistoire. L’endroit devenu célèbre depuis qu’il est devenu une datation spécifique de l’archéologie, appelé le «couronnien», a fait l’objet de fouilles minutieuses dirigées par Escalion de Fronton qui s’intéressa à la préhistoire de toute la Provence. À la période dite énéolithique, 2500 ans avant Jésus-Christ, des hommes dont l’origine reste encore mal connue, mais venant vraisemblablement de la Méditerranée centrale, s’installent déjà bien avant les Grecs à la Couronne.
Ils cohabitent avec des peuples qui ne vivaient sur place que de pêche et de chasse au quotidien. Leurs habitations, de forme rectangulaire, sont bâties de pierres ramassées sur place, liées par de l’argile, et les superstructures en bois qui les recouvrent reçoivent une couverture de chaume. Agriculteurs, leurs maisons sont de véritables fermes. Ils possèdent des troupeaux de moutons, de chèvres et bœufs. La Chèvre d’or, dont la race est dite du Rove, à l’instinct si développé et gardienne de trésor en Provence, de cette chaîne de l’Estaque à la Couronne, trouve peut-être là ses ancêtres venus d’ailleurs ! Ils utilisent une poterie à fond rond sans grande ornementation. Ils pèchent aussi, bien sûr, mais chassent avec modération.
Leurs sépultures sont des tumuli. Peu guerriers, ils se protégeront comme au Collet-Redon, où ils avaient bâti leur village près d’une source. Ils l’abandonnent à la période du Chalcolithique.
Quand la Sainte-Barque arrive de Palestine, passant au large de la prestigieuse cité de Marseille, et aperçoit les terres nouvelles pour elle de la Couronne, nous sommes aux tous premiers moments d’une histoire de la Provence et de la Gaule chrétienne, de ses légendes religieuses et à l’origine du grand cycle d’un Graal que développera la légende arthurienne.
Cette évocation des premiers chrétiens touchant le sable de la Couronne, est un moment qui retient notre souffle en l’invoquant, et qui immortalise à tout jamais dans nos imaginations le grand instant où le Saint-Graal, abordant la Provence, rayonna pour la première fois en Occident.
En se rapprochant de la côte déserte et déchiquetée de rochers, parsemée de carrières ouvertes qui forment comme des villages fantômes ou un cimetière pour géants, à quelque vingt-cinq kilomètres, en ligne droite de Marseille, au couchant, le bateau semble maintenant glisser sur l’eau dans un crépuscule qui l’enveloppe d’une auréole de mystère. Dans la brume de l’horizon qui l’a dissimulée, l’embarcation a discrètement traversé la baie sans virer de bord pour éviter les vigies postées à la garde de Marseille. C’est à la nuit tombante, lorsque le soleil brûlant qui les accompagna se fut éteint dans la mer, que l’embarcation en évitant de rallier le port de Carro et celui de Dilis, se rapprocha sans hésitation d’une petite plage au moment où les rochers tout proches perdaient leur couleur carnation pour prendre celle de l’indigo complice d’anonymat. Dans un léger filet d’écume à peine plus clair que la nuit, une ancre de pierre a été jetée immobilisant le bateau à petite distance d’un rivage accueillant de sable fin.
Des hommes se sont glissés à la mer pour aider la manœuvre d’accostage. Ils ne parlent pas, on entend à peine le bruit très lointain de la mer s’entrechoquant avec les rochers qui s’étirent de chaque côté d’un paysage sans grand relief. C’est dans cet étrange silence que quelques silhouettes apparaissent. Quelques-unes ont finalement rejoint les premiers débarqués et prennent pied sur ce rivage inconnu. Un petit groupe s’aventure jusqu’aux premières touffes d’une mince végétation qui s’échappe du sable. Ces quelques brindilles ou petits feuillus déchiquetés par le vent de la mer marquent ici les limites extrêmes d’un continent. Dans cette désolation, ils semblent suivre du sable aux cailloux d’une petite butte, un sentier invisible qui les entraînent au delà de l’écran du ciel.
Personne, de loin ou de près, ne semble avoir prêté attention à cette barque qui a accosté ce coin perdu aussi discrètement que possible entre le petit port de Carry (Incarrus ou Incarro) et le port de Dilis, de forme ronde comme celui d’Ostie. (Des fouilles ont été effectuées dans les années 60 avant l’implantation d’une centrale EDF !)
Perdu ce bateau, cet équipage ? Sûrement pas, puisque le choix de cette navigation au grand large de Marseille qu’il aurait été aisé de rejoindre, semble au contraire l’aboutissement logique d’un plan minutieusement préparé. Grâce à une navigation experte, tout a parfaitement réussi. Mais comment sera répartie dans leur devenir, la mission de chacun ? Quant à savoir si certaines personnes étaient au rendez-vous, cela restera toujours un mystère.
C’est du moins ce que l’on suppose de quelques compatriotes complices possibles, zélotes ou esséniens, qui auraient été éventuellement dans ce but placés dans les carrières de la Couronne.
Une nuit bien étrange si l’on considère aussi que le Graal et ses premiers gardiens, comme l’affirme la tradition, étaient du voyage. Il faut avouer que cette halte, avant de dépasser le Rhône, de quelques heures, à la sauvette, à l’abri de Marseille et de tout regard indiscret, ressemble plus à un débarquement clandestin et une mission secrète, qu’à l’urgence d’une évangélisation des Gaules. L’un n’empêchant pas l’autre, à moins que ce ne fut qu’une simple détente. Mais pourquoi prendre un tel risque si près du but, après une navigation qui a duré de si longs mois… Le Graal, emporté par Joseph et quelques compagnons, n’a-t-il pas pris, ce jour-là, le chemin de l’Angleterre ?
Sainte-Croix et la Légende
II existe des lieux mythiques où tout semble converger ! Ce n’est pas sans raison qu’une légende peu connue, au regard de celle des Saintes-Maries-de-la-Mer, reste attachée à la tradition très vivace de l’arrivée des premiers saints et saintes à la Couronne dans l’anse de Sainte-Croix. Le déroulement de l’action est le suivant :
A la tombée de la nuit, le bateau des saints et saintes qui ont quitté la Palestine vient d’accoster dans cette petite anse qu’entourent des rochers.
Marie-Jacobé, Marie-Salomé, Marie-Madeleine, Marthe et Sara accompagnées de Lazare et de Maximin, aussitôt débarqués sur le rivage rencontrent un jeune berger sourd et muet.
Celui-ci n’avait rien remarqué dé cette manœuvre. A leur approche, son visage reste étonné, sans plus. Lorsque les saintes et saints lui demandent en hébreu s’il existe un point d’eau, le sourd-muet les regarde illuminé, comprend et leur indique du regard et du geste un figuier au pied duquel coule une petite et discrète source claire que l’arbre emprisonnait jusqu’alors. En se désaltérant et en prenant un peu de repos, les saintes Maries laissent sur le rocher où elles se sont assises, l’empreinte de leurs doigts. Devant de pareils miracles, les parents du jeune garçon, accourus à son aide, sont terrifiés. Ils reviendront pourtant à l’aube juste avant le départ des saintes et de leurs compagnons qui gagneront la Camargue, dernière étape de la longue et miraculeuse navigation.
Tous comprennent maintenant les paroles que leur adressent ces étrangers qui ont reçu un don, l’Esprit-Saint. Au pied d’une modeste croix rapidement plantée et qui restera parmi ces rochers sur le sol de Provence, Lazare verse un peu d’eau de cette source nouvellement découverte sur la tête de chacun, parents et enfant, premiers baptisés en Gaule.
( à suivre…)
Georges A D Martin – Le Graal en Provence, Mission secrète en Occident – Cheminements ed. 1999. (extrait)
En illustration : Procession des reliques de Marie-Madeleine, 22 juillet 2002 à Saint-Maximin. Photo Arcadia © DR
Georges Martin
Notre ami Georges Martin est né dans la région parisienne à Saint-Ouen le 16 janvier 1928. Il fait ses études au cours Hattemer Prignet, ancien élève des Ecoles Nationales Supérieures des Beaux-Arts et Arts-Décoratifs de Paris, il est nommé chef décorateur de télévision à FR3 Marseille de 1962 à 1983 ; (il réalise plus de 300 variétés et une vingtaine de films sur la chaîne nationale). Peintre dans l’abstraction, il utilise la matière, les brillances, (nombreuses compositions sur les Dieux, la lumière, la forêt, les vertus, les dragons, le Graal). Il fait en 1987, la connaissance de Georges Bertin, vice recteur de la Faculté Catholique d’Angers et fondateur avec Jean-Charles Payen du « Centre d’Etudes Normand d’Anthropologie » (CENA). Il participe alors aux réunions et à plusieurs colloques et communique ses réflexions sur une géographie d’axes préférentiels dite Dynamique Arthurienne (Festival Lancelot du Lac à Bagnoles-de-l’Orne organisé annuellement par Claude Letellie. Il est reçu Ecuyer en 1994 de « L’Ordre International des Chevaliers et Dames de la Table Ronde de la Cour du Roi Arthur à Camelot » (Siège à Tintagel, représenté en France par Michel Vidal Le Bossé – Membre de la Société Internationale Arthurienne). Président Fondateur du « Groupe de Recherches des Amis Arthuriens de Provence » (GRAAP), réunissant depuis 1998 les passionnés de l’Imaginaire, de Mythologie, des Légendes, des Mythes et d’Histoire à Marseille au contact des Traditions de l’Occident et de l’Orient – Récente création des « Parcours initiatiques de Joseph d’Arimathie et du Graal sur les chemins de l’étain d’Ecosse aux Pyrénées. Grand ami de l’écrivain de science-fiction et ésotériste Jimmy Guieu et de Gérard Couette, l’ancien propriétaire bien connu, du château de Montfort-sur Argens. Georges A D Martin vient de publier Normandie Terre du Graal, la suite du Graal en Provence, et nous donne avec ce diptyque exceptionnel une image éclairante et particulièrement étayée du parcours du Graal, de la Provence à Glastonbury. Deux ouvrages de référence, à lire absolument.
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