D’Hergé à Tintin… De Thot Hermès à Tryphon Tournesol ! La Lettre de Thot vous propose ce mois-ci la seconde partie d’une enquête inédite des RG ? Mais non ! … de Bertrand Portevin pour le centenaire de la naissance de Georges Rémi.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Herg%C3%A9
Un texte érudit et décalé à consulter en deux temps et sans modération… Et je dirais même plus… sans modération ! Mille sabords !
Arcadia – Septembre 2008
Le professeur Tryphon Tournesol
Vous étonnez-vous de son nom et prénom ? Ce sont les simples rappels d’un Hermès Trismégiste, trois fois grand, au trois têtes, à trois voix (comme le grec ancien est une langue à trois voix), parfait « triphone ». Représentant de la planète Mercure, il est celui qui tourne autour du soleil, l’astre le plus proche, le stropheus des Grecs, « celui qui tourne » ? Il s’appellera Tournesol dans les pages des albums.
Toujours « dans la lune », le professeur ne pouvait échapper à ce phénomène car Hermès-Thot est avant tout le dieu lunaire par excellence et notre savant saura mener ses petits amis de papier sur le satellite mythique et les ramener sains et saufs, malgré son étourderie affichée, mais surtout conformément aux mythes orphiques qui donnent Hermès comme le psychopompe, celui qui descend au Tartare chercher les âmes et les conduit sur la lune pour s’y purifier et qui les ramène sur terre pour une nouvelle incarnation, nous y reviendrons. Toujours est-il que ce célèbre professeur prend déjà une sacrée tournure olympienne depuis que nous avons entrepris de le comparer à son ancêtre sacré.
Poursuivons l’enquête…
Il saute aux yeux du lecteur des 22 albums des aventures de Tintin, que ce personnage a connu des esquisses préalables et notamment :
– Philémon Siclone dans Les Cigares du Pharaon, parfait lunatique et porteur de parapluie en plein désert.
– Nestor Halambique, tout de vert émeraude vêtu, et même long vêtu, dans Le Sceptre d’Ottokar ; belle barbe pointue, affublé du grand « H » d’Hermès dans son patronyme, et surtout spécialiste de sigillographie, la science des sceaux, domaine réservé du même Hermès, de toute antiquité !
– Enfin, Aristide Filoselle dans Le Secret de La Licorne, barbichette pointue, parapluie et pétase et surtout pick-pocket !
– Car nous le savons bien, Hermès est le dieu des voleurs. Aussi fallait-il, pour que le personnage soit complet que le professeur Tournesol fût aussi voleur. Et bien : il l’est ! Passager clandestin, voleur de couverture, voleur d’oreiller, voleur de poulet, voleur de biscuits et voleur de whisky, il fait une drôle d’entrée dans les aventures. Endormi dans le canot de sauvetage, il nous fait irrésistiblement penser au petit Hermès nouveau-né dans son berceau. La nuit tombée, il s’empare d’un ou deux bœufs d’Apollon, en fait son repas divin et retourne incognito se coucher. Les dieux alertés par la victime du larcin accourent auprès du sacré berceau et tentent de faire avouer le bambin, mais ce dernier, feignant l’incompréhension, arborant une candeur désarmante, gagnera l’absolution comme son illustre descendant 2500 ans plus tard saura désarmer un Haddock en furie, en jouant l’innocence, à l’aube, dans un canot-berceau… Relisez l’épisode et dégustez…
Ça y est, Tournesol fait désormais partie de la famille, et nous allons en découvrir toutes les facettes. Il a de qui tenir et si son illustre ancêtre fut le dieu de la gymnastique, de la course et du pugilat, Tournesol avoue avoir gardé « son allure sportive » grâce à l’athlétisme pratiqué dans sa jeunesse ! Ne riez pas ! Plus les personnages d’Hergé sont caricaturés et caricaturaux, plus vous approchez des sommets de l’Olympe. Haddock ne s’y trompera pas en l’invectivant « espèce d’athlète complet ! » À vrai dire, précisera le professeur, il pratiquait surtout la course à pied… Hermès, messager des dieux, lui-même dieu aux pieds ailés, champion de la course à pied, on cherche le détail qui manquerait au portrait. Allais-je omettre le pugilat ? Hergé l’avouera dans l’album Vol 714 pour Sydney : le professeur était adepte de la savate, la boxe française…
Cryptographies Zermétiques
Mais revenons au Trésor.
Tournesol fait irruption dans la vie de Tintin jouant de son handicap devenu célèbre, la surdité. Comme un fait exprès, l’ouïe était bel et bien sous la tutelle d’Hermès, de toute antiquité et jusque chez Thot. Voulait-on consulter l’oracle hermétique, il suffisait de susurrer sa question à l’oreille de la statue du dieu et de se diriger vers le parvis du temple en ayant pris soin de se boucher les oreilles avec les deux auriculaires, doigts de Mercure. Une fois dehors, et les oreilles débouchées, la première phrase entendue était la réponse désirée, souvent sibylline, et pour cause, toujours hermétique… Même langage décalé dans les réponses de l’inventeur sourd en bande dessinée, pour des pseudo-gags à lire et à relire… Autre « détail » : Hergé, dans Objectif Lune, n’oubliera jamais de dessiner son professeur un cornet acoustique en main et… le petit doigt levé !
Autre spécialité antique, Hermès-Thot s’arrogeait le titre de « Seigneur des écritures divines », inventeur des hiéroglyphes, lui seul pouvait déchiffrer les textes sacrés. Heureusement pour Tintin et Haddock, Tournesol sera capable, dans sa première aventure, de lire les vieux parchemins trouvés au fond de l’eau (ce qui, en passant, est conforme, encore une fois, à la tradition hermétique), les écrits royaux de Louis (2), le Grand Roi, l’élu de Dieu.
D’autres preuves de l’équation Tournesol = Thot-Hermès ? Il n’en manque pas…
Quelques détails encore… Dans Objectif Lune, le bien nommé album à la gloire du professeur Tournesol et de sa science infinie, Haddock invective sévèrement son ami le professeur, avec un « Zouave » retentissant et récurrent que nous expliquerons tout à l’heure, mais aussi sous l’appellation : « borne kilométrique ». C’est l’appellation d’origine grecque contrôlée ! Les bornes des routes antiques étaient des hermaï, ainsi nommées en l’honneur d’Hermès…
Faut-il noter que le émotions fortes coupent bras et jambes à notre savant, conformément aux canons de la statuaire classique des bustes « en Hermès » ou que Tryphon est si sujet au vertige, du latin vertere, tourner ? Au lecteur de trouver où se situent ces scènes… Idem quand Tournesol part en voyage : est-il si surprenant qu’il demande à ses amis s’ils ont un message à transmettre ? Le dieu des voyageurs, messager de l’Olympe se verra même, dans les pages coloriées des beaux albums des aventures de Tintin, honoré d’un portrait devant lequel, au seuil du départ, Haddock lèvera un dernier verre, revivant ainsi les antiques traditions du coup de l’étrier absorbé juste avant de monter en selle par le coursier, et dédié à Hermès… Ces trois épisodes, ô combien symboliques seront déjà distingués dans le corpus par les spécialistes tintinophiles, d’autres auront le plaisir de chercher.
Car il faut chercher avec Hergé, et ce n’est pas moi qui le dit, mais l’auteur lui-même. Dans Objectif Lune, le deuxième album hymne à Tryphon avec Le Trésor de Rackham Le Rouge, tous les noms syldaves débutent par la lettre Z, du massif des Zmylpathes, en passant par la Zepo. Un simple coup d’œil au Larousse nous en apprendra la possible présence : dans les manuscrits grecs, « Z » est le sigle de Zêteï, cherche (3) !
Cherchons ensemble ! Pourquoi Haddock traite-t-il Tournesol de Zouave ? Pourquoi celui-ci se met-il alors dans une colère noire ? La réponse est chez Thot, la réponse est hermétique, elle nous vient d’Hermès psychopompe. J’en avais esquissé le portrait un peu plus haut en rappelant les mythes orphiques, bases de départ, si je puis oser cette comparaison, pour le voyage lunaire dessiné par Hergé. Il faut ici savoir que le dieu Hermès des Grecs, s’il est le descendant direct de Thot, aura su amalgamer aussi les attributs d’Anubis, un « deux-en-un » en quelque sorte. Ainsi vous vient-il en mémoire immédiatement la figure du « chacal » hiératique et la superbe coïncidence qui veut qu’en argot militaire, chacal se dise zouave ! Et je vous renvoie à la case 1 du dernier strip de la page 57 d’Objectif Lune : Tournesol, le Zouave, en parfait « maître de la porte du passage », comme on appelait Anubis il y a quelques milliers d’années, porte autour du cou l’écharpe d’or qui signe le chacal anubien dans les tombeaux et sur les papyrus antiques ! Faut-il faire l’affront au lecteur de noter qu’il porte le nombre 9 sur son badge, celui de l’Hermite du Tarot ?… Je dirais « oui » car les albums signés Hergé sont porteur d’une telle magie, que les nez au milieu des figures y restent longtemps cachés.
Tournesol Thot-Anubis ? Absolument ! Et nous finirons en nous régalant de ces dernières questions-réponses :
– Pourquoi Tournesol s’adonne-t-il à la radiesthésie ? Car le fil à plomb était l’attribut d’Anubis chargé d’en vérifier la rectitude au fléau de la balance du jugement du cœur.
– Pourquoi Tournesol se met-il en colère à l’audition du mot Zouave ? Car le hiéroglyphe de la colère était le babouin hamadryas, symbole de Thot-Anubis-Hermès et que, suivant Plutarque, le nom de chien (chacal) était, « pour les adorateurs d’Anubis, un terme improférable et enveloppé d’un sens mystérieux et secret. »
– Pourquoi Tournesol est-il surnommé Mammouth dans Objectif Lune ? Parce qu’en égyptien, psychopompe peut s’écrire Mâa-Mout !
– Pourquoi Tournesol, dans sa première apparition dans les pages du Trésor de Rackham le Rouge, scande-t-il à l’envie « à l’Ouest, à l’Ouest ! », contre toute évidence géographique ? C’est que le voyage à bord du Sirius n’est pas un voyage ordinaire, il se déroule dans le ciel, sous un signe zodiacal précis, c’est le voyage à l’Ouest du défunt Osiris dans ses moindres détails (4). Et nous comprenons pourquoi, en parfait Anubis, Tournesol accompagne son ami en reprenant sans cesse « à l’Ouest ! »
– Et j’offre aux lecteurs de la lettre de Thot (le « Z » ?), une belle rime d’images en attendant le tome III de mes aventures avec Hergé, consacrées à l’Égypte antique. Nous voyons, au mur d’une tombe thébaine de la XIXe dynastie, Anubis au chevet du poisson Abdjou, première transformation du mort replongé dans les eaux primordiales, en dessous, Tournesol et son sous-marin : mêmes positions du corps, des pieds et des mains, et même histoire pour celui qui voudra lire en ouvrant l’œil – et le bon…
Bertrand Portevin © // exclusivité pour la LdT – Septembre 08
(1) Sauf une fois, mais où ?…
(2) Louis, alias IOVIS, Jupiter-Amon, bien sûr…
(3) Sur la symbolique de la lettre Z, voir « la Lettre de Thot », Nos 46, 47, 48, sur la partie Graphos de ce site.
(4) Pour le développement de cette hypothèse, lire Le Démon inconnu d’Hergé, éditions Dervy.