Joëlle Pellegrin Oldenbourg, artiste polymorphe et talentueuse, dont nous vous avons déjà parlé dans la LdThot de mai 2005, est aussi écrivain et chercheur. Son travail sur le célèbre argentier Jacques Cœur, mérite vraiment le détour… Jean-Yves Artéro, un de nos abonnés, nous a fait part récemment de la lecture de cet ouvrage, en voici son commentaire avisé – Arcadia

Oui, ce livre magnifique est bien plus qu’un roman historique. Certes Joëlle Pellegrin Oldenbourg connaît admirablement la vie et l’œuvre de son héros, Jacques Cœur, grand argentier de Charles VII. Elle nous démontre avec bonheur les étapes d’une « irrésistible » ascension, de la capitale du royaume d’alors, Bourges, au cœur de la France, jusqu’à cet Orient à la fois proche et lointain.

Jacques Cœur capitaine d’industrie, amiral d’une flottille de galées marchandes, puis d’une flotte guerrière papale, en quête d’une ultime croisade contre les infidèles. Avec la même vivacité, et la même exactitude, elle nous conte l’histoire de sa chute aussi. Au sein de la cour d’abord, confronté qu’il fut à la pusillanimité de son roi, et à l’hostilité sournoise des « vautours » de son entourage, ainsi qu’à la rancune tenace des seigneurs endettés.

Toujours avec le même souci de scrupuleuse pertinence, voici maintenant décrite la fuite de Jacques, après qu’il eût connu les affres de l’emprisonnement, de la question, de la confiscation de ses biens et du déshonneur jeté sur sa famille. Enfin sa fin présumée, solitaire, en l’île méditerranéenne de Chio.

Et certes, sous la plume de Joëlle, ce financier prend chair, et vie, avec son ambition sans faille, ses imprudences aussi, et enfin ses superbes amitiés : la sulfureuse Dame de Beauté Agnès Sorel, mais aussi la reine Yolande, le bon roi René d’Anjou, enfin le pape Calixte troisième, qui lui gardera sa confiance jusqu’à la fin.

Vous avez dit fin ? Mais non, le mystère commence, toute cette existence en est comme baignée, témoignant d’une époque pour beaucoup légendaire, où sans doute Maître Jacques a financé la guerre de Cent Ans contre les Angles, mais aussi vécu la splendide épopée de Jeanne d’Arc.

En ce temps là, le naturel côtoyait sans heurt le surnaturel, et Jacques Cœur était bien de ce temps. Il fut très certainement alchimiste, recherchant moins avec la pierre philosophale la richesse additionnelle qu’elle pourrait lui procurer que la confirmation sans équivoque de ses certitudes intimes, et disons le, de sa foi.

Ce dévot avéré fut il aussi fidèle en amour qu’en amitié, son épouse Macée de Léodepart eut elle à souffrir d’une passion celée de son mari devant les hommes, mais « cuers d’amour épris », pour une belle astrologue aux yeux violets ?
Ou dame Catherine de Salon, puisqu’il s’agit d’elle dans ce livre, symbolise-t-elle et l’alliance traditionnelle entre alchimie et astrologie, et « la Dame », qui personnalise la quête de l’hermétiste ?

Au lecteur d’en juger, mais qu’il en soit conscient, le mystère ici et maintenant l’entoure de toutes parts.

Jacques Cœur de toute façon était certainement « amoureux » d’une sainte, autre que Jeanne, une sainte égyptienne, Catherine d’Alexandrie. En la cathédrale de Bourges, de son vivant à lui, il l’a faite représenter.

Et puis, bien des années après, il serait mort le jour même de la fête de cette sainte.

Mort en île lointaine, mort en Grèce ? Mais Joëlle pense avoir découvert des signes probants de son retour final dans la Provence de ses racines, puisque sa famille serait originaire de Cuers, dont il porte le nom.

Mystère encore et toujours, cinq siècles plus tard, Laura, la bien nommée, et Phil, que j’appellerai le sage, remettent leurs pas dans ceux de l’argentier. Au fait, devinez la couleur de leurs yeux ?

Oui, mystère des vies successives, allusivement et poétiquement évoqué par l’auteur ! Jacques et Catherine se l’étaient promis : « Rien ni personne ne pourra jamais nous séparer ».

Et leur amour, ils le situaient, ils le situent oserai-je écrire à mon tour, bien au delà même de la mort des corps.

La roue de la sainte d’Alexandrie tournera, et ce jour là, celle que j’aime m’aimera.

« Je t’ai aimée(e), je t’aime, je t’aimerai, jusqu’à ce que les étoiles fécondes embrasent nos deux âmes et les fondent dans l’océan d’éternité ».

La grande question est donc bel et bien posée : si la mort est dans la vie, l’inverse aussi n’est-il pas vrai ?

Et l’amour, ne transcende-t-il pas le tout ?

Jacques est-il mort en fait ? Joëlle ne se prononce pas sur ce point, et moi je ne crois pas.

Et Catherine non plus n’est pas morte.

Comme l’or véritable, dans ce livre, ami lecteur, l’amour y vit. C’est en cela surtout, et parce qu’il faut bien conclure, que Jacques Cœur est, selon l’heureuse expression de Christiane Palou, non seulement un grand argentier, mais aussi et d’abord le «maître secret».

Jean Yves Artero © Article inédit pour la LdT – DR.