Il est sans doute grand temps de rendre justice à un artiste de talent, dont la vie et l’œuvre ont été rejetées dans l’ombre sans doute propice de certaines de ses relations, et dont pourtant le génie propre reste incontestable, quand on y regarde de plus près.
Nous voulons donc parler ici du peintre, dessinateur et sculpteur, pour ne pas dire inventeur, Julien Champagne (1877-1932), et revisiter son parcours terrestre, non pas tant comme exécutant des hautes ou basses œuvres de ses compagnons, que comme créateur véritable et par là même digne d’estime.
Dévoiler Julien Champagne, pour paraphraser Geneviève Dubois et le titre de son livre Fulcanelli dévoilé, c’est d’abord, justement, aller au delà de son apostolat de dessinateur du Maître d’alchimie, et par conséquent outrepasser son vigoureux travail d’illustrateur des livres de ce dernier, Le Mystère des Cathédrales (1926), et Les Demeures Philosophales (1930).
Pourtant, et dès l’abord, la tâche est rendue difficile, non seulement en raison de la prégnance de ces illustrations, presque les seules qui restent accessibles au commun, et Dieu sait d’ailleurs si elles plaident suffisamment pour un examen approfondi de celui qui les a crées, mais aussi parce que plusieurs auteurs ont absolument voulu que Julien Champagne soit Fulcanelli, assertion qui ne résiste pas à l’examen.
Que Dubois, déjà nommée, que Robert Ambelain (1), qu’Evelyne Segaud (2), qui à ma connaissance a seule consacré à Jean Julien (Julien de son prénom d’artiste) un livre dont le titre porte le nom, me pardonnent, une telle hypothèse ne résiste pas au moindre examen sérieux.
Outre le fait que Fulcanelli, si l’on en croit son unique disciple, Eugène Canseliet, – et pourquoi révoquer en doute sa parole, – est né en 1839, a rencontré Champagne qui est alors entré à son service, en 1910, et s’est effacé après les obsèques de son ami Anatole France en 1924, il y a que le savoir dispensé dans les deux livres déjà mentionnés ne « cadre » vraiment pas, pour employer un mot topique, avec le savoir d’un Champagne, qu’il fût littéraire ou scientifique.
D’origine modeste – son père était cocher – Julien s’intéresse certes très tôt à l’alchimie, et, séduit par les textes anciens, entreprend dès l’âge de seize ou dix sept ans d’œuvrer au laboratoire, si l’on en croit Ambelain.
Mais sa formation est essentiellement celle d’un étudiant des Beaux Arts, alors que Fulcanelli était ingénieur, et peut-être Polytechnicien. Champagne entre ainsi à l’Ecole de Paris, en 1893, dont il sortira diplômé en 1900. Il est alors l’élève du peintre académique Léon Gérôme, resté célèbre pour s’être opposé aux impressionnistes, et s’être attiré pour cela les foudres d’un certain Emile Zola.
Que reste-t-il de cette époque de la jeunesse de Julien ? Peu de chose, et c’est là que commencent nos interrogations. Dubois mentionne quelques œuvres et en reproduit certaines, en noir et blanc, comme une aquarelle de 1895, des esquisses de 1898, et si l’on y ajoute l’inévitable autoportrait de Champagne « jeune » (1902), notre pêche miraculeuse s’arrête à peu près là.
Alors que Fulcanelli n’a, suivant Canseliet, jamais travaillé, autrement qu’à lire et à œuvrer, Julien, lui, est bien obligé de satisfaire à ce qu’Eugène appelle lui-même et à son propre propos, « l’inéluctable nécessité du temporel ».
Nous retrouvons donc notre artiste s’occupant, comme d’autres, et probablement entre deux dessins ou deux toiles, à la recherche de livres anciens, faisant ainsi d’une pierre deux coups , et fréquentant probablement à cet effet la fameuse Librairie du Merveilleux, spécialisée en ésotérisme, qui fut fondée par Lucien Chamuel, active dès 1891, et reprise ensuite par Pierre Dujols et Alexandre Thomas. Champagne fut proche de ce dernier et de son frère.
A-t-il rencontré Fulcanelli à cet endroit, qui rassembla très tôt les Papus, Albert Poisson, Péladan, Guaita, Albert Haatan…ou dans l’entourage des Lesseps, qu’il approcha dès 1907, par l’intermédiaire de leur chauffeur, paraît-il ? Quoi qu’il en soit, il deviendra rapidement le « dessinateur » et en fait aussi l’alchimiste de certains membres de cette illustre famille, sans doute les fils de Ferdinand-Marie, jusque dans les années 1920.
C’est au contact des Lesseps, avenue Montaigne, que Champagne fréquentera aussi bien le milliardaire et écrivain excentrique Raymond Roussel, qu’il appelait « la classe », étant né la même année que lui, et qui admirera le traineau à hélice fabriqué en 1914 par l’ingénieux Julien, que la poétesse Claude Lorrey, nom de plume d’Irène Hillel-Erlanger, amie d’un modèle de Champagne, l’alchimiste et chimiste Louise Barbe, première femme du célèbre docteur Serge Voronoff.
C’est d’ailleurs Louise Barbe qui lui servira de modèle pour un magnifique tableau reproduit par Canseliet dans l’édition Pauvert de ses Deux Logis Alchimiques, Le Vaisseau du Grand Œuvre (1910) (3).
En 1910 précisément, sa collaboration avec Fulcanelli rend de l’ampleur, comme en témoigne le frontispice dessiné par Champagne pour Le Mystère des Cathédrales, et qui porte, outre sa signature, ce millésime.
Julien ne rencontrera Canseliet que quelques années plus tard, vers 1915-1916. Dans son entretien intitulé Le feu du soleil avec Robert Amadou, Eugène reconnaîtra d’ailleurs que Champagne lui a été présenté par Fulcanelli, une bonne dizaine d’années donc avant la publication du Mystère, préfacé et rédigé par Canseliet, et illustré par Champagne.
Pour autant, Julien n’appartiendra jamais à un seul cénacle, et gardera son autonomie, trait d’une personnalité affirmée, qui vient avec éclat démentir les assertions ambiantes sur un Champagne falot, ballotté entre les influences des uns et des autres.
Outre les Lesseps, il fréquente dès 1913 les Schwaller. René Schwaller, qui recevra du poète Oscar Vladislas de Lubicz Milosz l’autorisation de porter son nom, de Lubicz, est actuellement surtout connu comme ésotériste et égyptologue non conformiste. Il s’est aussi intéressé à l’alchimie, et recevra Champagne à plusieurs reprises chez lui, en Provence, et ce jusqu’en 1930, année où se déclarera la maladie qui devait emporter Julien.
(à suivre…)
Archer – article inédit pour La LdThot – septembre 2006
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(1) Robert Ambelain, Jean-Julien Champagne, alias Fulcanelli, La Tour Saint-Jacques, IX, numéro spécial Parapsychologie, 1962 (contient une contradiction par Eugène Canseliet) .
(2) Evelyne Segaud, Pourquoi Champagne était Fulcanelli, L’auteur, 2001.