Christian Doumergue dans un livre qui vient de paraître aux éditions Arqa revisite entièrement le mystère de Rennes et de l’abbé Saunière qu´il appelle L´Affaire de Rennes-le-Château, pour lui donner pleinement sa dimension sociologique, recul nécessaire à tout sujet de cet envergure. Avec la rigueur d´analyse qu´on lui connaît, Christian Doumergue apporte un nombre considérable d´éléments nouveaux étayés par de très nombreux documents d´archives inédits, facteurs troublants qui nous obligent à revoir, parfois entièrement, des pans entiers du mystère audois… Qu´il nous suffise d´ajouter que ces 90 documents exceptionnels versés au dossier concernant l´abbé Saunière viennent renforcer de manière magistrale une quête débutée il y a maintenant plus de dix années. On l’aura compris, l´ouvrage de Christian Doumergue, pour ceux qui s´intéressent à « l´Affaire » est bien le livre évènement de l´année 2006 (1) !

Nous livrons aujourd´hui le premier volet d´une longue interview que Christian Doumergue a bien voulu accorder en exclusivité aux abonnés de La Lettre de Thot, suite à notre rencontre le mois dernier à Rennes-le-Château et ce, afin de nous livrer quelques éclairages pertinents sur son travail récent.

Arcadia – La LdT.

Arcadia – Christian Doumergue, le livre que vous venez de terminer est le résultat de plus de 10 ans de recherches ininterrompues. De très nombreuses pistes évoquées sont tout à fait incroyables et entièrement nouvelles pour le chercheur s´intéressant à cette affaire, certaines mêmes vont totalement à contre-courant de ce qu´il est convenu de penser ou de croire à ce sujet, mais il faut bien reconnaître qu´en la matière certains ont l´imagination plus que débordante ! Pouvez-vous nous livrer quelques uns de ces sujets, pour nos lecteurs ?

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Christian Doumergue – Le but était effectivement, dans ce travail, d’apporter le maximum d’éclairages sur cette affaire, que je n’hésite pas à taxer de « ténébreuse » (dans le sens de difficilement discernable). Cela amenait, nécessairement, à ramener l’affaire — aujourd’hui noyée dans le foisonnement d’hypothèses invérifiables — à du factuel, et donc à des documents nouveaux. Etant entendu que ceux à notre disposition jusque là ne nous ont toujours pas permis d’apporter des certitudes sur ce qu’il s’est vraiment passé dans ce petit village de l’Aude entre la fin du XIXe siècle, et le début du XXe… Tout d’abord concernant l’abbé Saunière lui-même, sur lequel on a beaucoup écrit sans prendre soin de vérifier ne serait-ce que la plausibilité de ce qu’on écrivait. J’ai eu la chance, à cet effet, d’avoir accès à un certain nombre de documents inédits du fonds Corbu-Captier, qui, pour certains, apportent des informations totalement inédites, et insoupçonnées, sur l’abbé Saunière, que l’on découvre par exemple disciple de Sébastian Kneipp. Ce fait était jusqu’alors inconnu de tous. Il n’est pas le seul pan de passé oublié à ainsi resurgir concernant l’abbé, mais aussi, et peut être même surtout, son « environnement ». Mon livre a en effet pour titre « L’Affaire de Rennes-le-Château ». Or, dans ce cadre, étudier l’unique figure de l’abbé Saunière est insuffisant. Car l’Affaire de Rennes, c’est Saunière bien sûr, mais c’est aussi tout le mythe qui s’est cristallisé sur cette figure à partir des années 1960, lorsque le prêtre est devenu le « curé aux milliards » et que l’on a peu à peu assisté à la transfiguration de Rennes-le-Château en capitale mondiale de l’ésotérisme. A ce sujet, nous avions jusqu’à présent deux attitudes. Soit une croyance aveugle en un Saunière découvreur de terribles secrets religieux. Soit un déni total de cette idée, et l’affirmation d’une autre : seule la volonté pécuniaire de quelques-uns et la mythomanie de quelques autres peuvent expliquer ce travestissement des faits. Car, c’est un fait : rien dans les documents certains que nous possédons à l’égard de l’abbé Saunière ne nous permet de dire qu’il a découvert un incroyable secret ou qu’il ait été en relation avec les milieux occultes de son temps. Tout, au contraire, dément cela. Ce n’est que dans les années 1950/60, avec Noël Corbu, puis surtout Pierre Plantard et les écrits qu’il a inspirés, que se développe l’idée d’un Saunière inventeur d’un trésor, puis d’un Saunière initié par sa découverte à un grand secret. Mon attitude a consisté à analyser les conditions dans lesquelles cette construction mythologique — qui a véritablement travesti la réalité historique de la vie de l’abbé Saunière — s’est élaborée. Or, la façon dont le mythe se construit sous l’égide de Pierre Plantard est par trop complexe pour répondre à un simple « canular ». Ce qui ne pouvait me conduire qu’à un troisième champ de recherches ayant pour finalité de relier cette construction mythographique à une quelconque « tradition »… Si l’on regarde les écrits inspirés par Pierre Plantard, un message revient constamment à l’arrière plan, une sorte de révélation subliminale, habilement codée dans le texte ou dans l’image (pour de Sède, notamment…) : la tombe de Jésus se trouve à proximité de Rennes-le-Château, à Rennes-les-Bains. Maintenant, essayons de rapprocher cette affirmation, qui est à l’origine de toutes les publications orchestrées par Pierre Plantard, de l’époque de Saunière… Un seul groupe évoluant dans les cénacles ésotériques véhiculait, à ma connaissance, une telle croyance : c’est l’Eglise Gnostique de Jules Doinel. Et précisément… mes recherches m’ont conduit non seulement à mettre en lumière le fait qu’elle était très active dans la région de Rennes-le-Château fin XIXe/début XXe ; non seulement, qu’elle y avait conduit des recherches sur le « terrain » ; mais en plus qu’elle était active à Rennes même du vivant de l’abbé Saunière, à travers la figure de Prosper Estieu, qu’on ne connaît plus aujourd’hui que pour ses talents de félibre et son combat pour l’Occitanie, mais qui était alors un des membres parmi les plus actifs du groupe de Doinel… Enfin, dernier niveau de recherche : l’origine historique de l’Affaire, c’est-à-dire la venue de Marie-Madeleine en Gaule, et le rapatriement du corps du Christ dans le Sud de la France. Là encore, cette nouvelle publication fournit des éléments totalement inédits en la matière, comme cet extrait d’un texte du VIIIe siècle rédigé dans le Sud de la France, et selon lequel Tibère se rendit en Septimanie et y bâtit une « caverne » en l’honneur du Christ. Or, j’avais déjà signalé, dans mes précédents ouvrages, l’existence de toute une série de traditions évoquant la venue de Marie-Madeleine à Rome pour y rencontrer Tibère…

Arcadia – Alors que le Prieuré de Sion, est vilipendé depuis 4 ou 5 ans maintenant, par des soi-disant chercheurs autosatisfaits, imbus et incompétents, (nous attendrons donc leur autocritique puisqu´ils se reconnaîtront…) vous, vous allez entrer comme le premier auteur, dans l´histoire de Rennes, à réhabiliter, j´allais dire enfin, le Prieuré de Sion. Même s´il faut faire la part des choses, j´en conviens, vous n´hésitez pas à signaler l´importance du travail entrepris par Pierre Plantard et Gérard de Sède et surtout des documents de référence pris en compte par ceux-ci (2). Autrement dit, il ne fallait pas jeter le bébé avec l´eau du bain ! Pouvez-vous nous en dire plus ?

Christian Doumergue – Le rejet massif du Prieuré de Sion par la plupart des chercheurs vient d’une raison simple. C’est que tous ont lu au premier degré les productions inspirées par le Prieuré et donc ont considéré que les données contenues, par exemple, dans le livre de de Sède étaient des données factuelles et qu’il fallait les considérer comme telles. Elles se présentaient en tout cas ainsi, et à moins de lire entre les lignes, rien n’incitait à les comprendre autrement. Or, évidemment, les lire ainsi, c’était, tôt ou tard, en venir à dénigrer leurs auteurs. Car force est de constater qu’il n’y a pas grand chose qui puisse être reconnu pour certain dans L’Or de Rennes, pour revenir à Gérard de Sède… Rien par exemple qui ne prouve que l’abbé Saunière ait rencontré Emma Calvé. Rien non plus concernant la découverte de parchemins par le prêtre. Tout l’ouvrage peut-être ainsi démonté. Voilà si l’on s’en tient à une lecture basique de L’Or de Rennes. Mais notre perception de l’œuvre est tout autre si l’on procède à une lecture littéraire et symbolique de l’ouvrage. Un fait doit être ici rappelé : de Sède était un surréaliste et cette filiation ne doit pas être omise lorsque l’on s’attarde à le lire. L’Or de Rennes prend alors une toute autre dimension dont les clefs de lecture nous sont données par l’auteur, ou plutôt les auteurs eux-mêmes. Et de fait, de Sède multiplie les allusions au caractère codé de ses écrits. On le voit, dans un passage aux allures de confession, affirmer que lorsqu’il rencontra Pierre Plantard, lui vint cette idée qu’un homme en possession d’un grand secret, ne pouvant le délivrer comme tel, devrait, pour le signifier, « forger un autre langage », « réinventer l’hermétisme ». Dans le chapitre 2 de L’Or de Rennes, il affirme – et cela me semble essentiel pour bien comprendre le sens de son livre – que la légende recourt aux mêmes procédés que le rêve, parmi lesquels des « erreurs de détails commises exprès ». En fait, de Sède nous livre dans ces courts passages les clefs de lecture de L’Or de Rennes. En appliquant ces consignes, le texte prend une dimension tout à fait intéressante. Par exemple, de Sède place dans les procédés constitutifs de la légende le suivant : « figuration de notions abstraites par des personnages ou inversement… » Cela convient tout à fait à Emma Calvé. Comme nous le démontrons, la figure de la cantatrice n’est là que pour illustrer la connexion à établir entre l’affaire Saunière et les occultistes « fin de siècle »… Et plus particulièrement l’Eglise Gnostique, vers laquelle nous conduit le texte de de Sède, limpide dès lors qu’on en a comprit le mécanisme. Comme tout texte codé… Au final, le mythe créé par Pierre Plantard, prend donc une toute autre dimension que celle qu’on lui prête trop facilement. Certes, Pierre Plantard a travesti les faits. Certes, il a créé une fable extraordinaire, à partir d’une histoire qui à côté peut paraître tout à fait ordinaire. Mais ce que je démontre c’est que cette fable est une façon de raconter une histoire en elle même indicible, tant elle dépasse l’entendement…

Arcadia – Vous avez mis à jour grâce à de très nombreux documents d´archives, une nouvelle approche tout à fait originale et qui en convaincra plus d´un…, sur ce que vous appelez « L´Affaire de Rennes-le-Château ». Dans votre livre, si les révélations ne manquent pas, l´une d´entre elles, incontournable, va émerveiller – ou dépiter – bien des chercheurs, soi disant spécialistes de l´Affaire. C´est l´identification nouvelle que vous avez faite du fameux « Cheval de Dieu » dans les environs de Rennes ! Sans entrer dans une trop indiscrète analyse topographique, pour éviter de possibles déprédations des lieux, pouvez-vous quand même nous en dire un peu plus ?

Christian Doumergue – C’est là une illustration typique du phénomène que j’évoquais précédemment. Il est connu de tous que l’un des supposés parchemins retrouvés par Bérenger Saunière, aurait donné, une fois décrypté, la sibylline sentence suivante, dont la ponctuation peut varier d’une interprétation à l’autre : « Bergère pas de tentation. Que Poussin et Teniers garde la clef. Pax DCLXXXI. Par la croix et ce cheval de Dieu j’achève ce daemon de gardien. A midi. Pomme bleues. » Rien ne prouve que le parchemin dont est extrait ce message ait jamais été retrouvé par l’abbé Saunière. Qu’il ait même jamais existé. Il est de fait plus probable qu’il soit une « invention » de Pierre Plantard. De même que le message qu’il délivre… Pourtant, l’analyse de celui-ci est une nouvelle fois la démonstration que les auteurs du mythe de Rennes ont bien voulu transmettre un message, notamment topographique. Invariablement, ce message est expliqué de la même façon. Le « cheval de Dieu » renverrait à l’une des fresques de Delacroix de la chapelle des Anges à Saint Sulpice : Héliodore chassé du Temple, où est effectivement figuré un cheval. A mon sens, et mes découvertes, je crois, le démontrent, cette lecture n’est là que pour nous distraire de ce qui est le véritable « cheval de Dieu », et dont aucun des constructeurs du mythe (pas plus de Sède que Plantard) n’a parlé : un immense ensemble rocheux, qui, de loin, crée sous notre regard médusé, une gigantesque tête de cheval. J’insiste sur un fait. Beaucoup ont vu des «formes» ici et là dans les rochers avoisinant Rennes-le-Château faisant de ces derniers autant de tests de Rorschach naturels. Dans certains cas, cette façon de procéder confine même au symptomatique. Le cas est ici différent : les rochers dessinent objectivement un cheval. Quiconque pourra en convenir à partir de la photographie que je donne dans mon livre. Or, ce cheval, c’est, à mon sens, le « cheval de Dieu ». « de Dieu » parce que cet ensemble est indéniablement naturel, et que son auteur n’est donc pas l’homme, mais, pour le Croyant, la divinité. Les esprits sceptiques et positifs argueront peut-être d’un heureux hasard à l’avantage de Pierre Plantard. Mais ce serait là une explication réductrice, et qui ne tiendrait pas compte du fait que plusieurs éléments laissent sans trop de doute penser que Plantard avait une parfaite connaissance de ce rocher. Je donne un de ces éléments dans mon ouvrage.

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Dans le Serpent Rouge, un blason montre une tête de cheval associé à un vase d’où coule de l’eau, vase qui peut donc être accepté comme la figuration symbolique d’une source. Or, à côté du cheval de Dieu, dans un autre ensemble rocheux, sous une petite grotte (en rappelant une autre…), sourd une source… Le blason (également reproduit dans mon livre) montre la tête de cheval à droite et la source à gauche. Or, du point où le cheval est visible, c’est exactement dans cette disposition que les choses apparaissent… Et puis, détail que je n’ai pas évoqué dans mon livre, en contrebas du Cheval… on trouve les ruines d’une ancienne bergerie à laquelle le « Bergère pas de tentation » pourrait être une allusion… Mais arrêtons nous là. Si ces éléments sont d’une grande importance dans le jeu de piste tissé par Pierre Plantard, ce n’est pourtant pas en tant que tels que j’ai décidé de les livrer au public, mais parce qu’ils démontrent que le mythe élaboré par Pierre Plantard est bien une fable destinée à nous raconter – sous la forme d’un « rêve » – une histoire vraie. C’est avant tout comme tels que je voudrais que ces éléments soient premièrement compris.

( à suivre…)

Deuxième partie : Quand un abbé en cache un autre
Troisième partie : Du Lazare Veni Foras au Serpent Rouge

Arcadia © La lettre de THOT, mars 2006 (1) DR.
Interview de Christian Doumergue pour la LdT.

En illustration : Christian Doumergue devant la Tour Magdala à Rennes-le-Château (photo Arcadia ©) – Le Cheval de Dieu, massif rocheux naturel, dans les environs de Rennes-le-Château (photo Arcadia ©).

Blason à tête de Cheval ornant le manuscrit du Serpent Rouge, (BNF – 4L7K 50490, & archives Arcadia).

Notes :

(1) En annexe : le Serpent Rouge avec une présentation de C Doumergue
Ainsi que deux entretiens exclusifs avec Paul Saussez et Franck Daffos.

(2) Voir notre interview de Gino Sandri, la Lettre de Thot No 7 & 8, No spécial, Rennes-le-Château, juillet 2003.

L’Affaire Rennes-le-Château est paru aux éditions Arqa.

En rubrique > Boutique sur le site de Thot – http://thot-arqa.com