Arcadia – Christian Doumergue, vous avez publié en mars et août 2004, un livre extrêmement important selon nous, en deux gros volumes de 650 pages chacun, une étude exceptionnelle sur Marie-Madeleine ayant pour titre Marie-Madeleine – La reine oubliée aux éditions Lacour. Pourquoi cette étude, cet engouement sur ce personnage ?

Christian Doumergue – Le point de départ de mon intérêt pour Marie-Madeleine, c’est Rennes-le-Château. Le côté religieux du mystère m’a immédiatement fasciné. Tout comme le personnage de Marie-Madeleine. J’ai toujours eu en ce qui concerne cette affaire une attention particulière pour elle. Sans que je sache pourquoi, mon intérêt était redoublé dés lors qu’il était question de la sainte, qu’elle soit envisagée comme l’épouse de Jésus, où comme celle qui aurait apporté le Graal en Provence… Mais au bout de quelque temps, j’ai découvert un autre aspect du personnage. La Marie-Madeleine des écrits gnostiques et plus particulièrement de L’Evangile de Marie. A la lecture de ce texte, j’ai pris conscience que les questions qui revenaient sans cesse sous la plume des auteurs tendant à expliquer le mystère de Rennes-le-Château par Marie-Madeleine, n’étaient pas les plus fondamentales. Ce que je découvrais à la lecture de L’Evangile de Marie, était bien différent des histoires de secrets dynastiques colportées par le Prieuré de Sion… C’était une remise en question non pas uniquement de la vie de Jésus, mais du dogme chrétien dans son ensemble. Quelque chose qui attaquait véritablement les fondements de l’Eglise de Rome — que l’on pouvait dés lors non pas accuser d’avoir caché quelque chose sur Jésus, mais d’avoir carrément trahi Celui-ci… Je fais bien sûr allusion, en parlant de trahison, à l’affirmation — constante chez les auteurs gnostiques — que Pierre a trahi Jésus en rejetant Marie-Madeleine alors que celle-ci était l’héritière légitime du Christ en cela qu’elle était la seule à avoir bénéficié de la totalité de son Enseignement…

C’est donc cet aspect là — cette idée qu’une étude approfondie du personnage de Marie-Madeleine pouvait remettre en question 2000 ans d’Histoire — qui m’a interpellé. Il ne s’agit pas de remettre en question pour remettre en question et s’attaquer à l’Eglise. Mais simplement se rapprocher de la vérité. Redécouvrir à travers Marie-Madeleine ce qu’était le christianisme de Jésus.

Deux / trois choses sont encore venues appuyer ma conviction de la nécessité d’une telle étude.

Tout d’abord, le fait que de nombreux auteurs évoquant Marie-Madeleine, afin d’appuyer leurs théories, n’hésitaient pas à tricher avec les faits. Il y avait donc un certain nombre de mises au point à faire…

De même, de nombreuses facettes du personnage étaient totalement restée inconnues. J’ai voulu les faire sortir de l’ombre, quand la plupart des auteurs — parce qu’ils ne s’intéressaient pas uniquement à Marie-Madeleine, mais que celle-ci n’était qu’un chapitre de leur démonstration — s’étaient contenté de rester en surface …

Dernière chose, enfin, mais la plus importante tant cela est au fil du temps devenu ma préoccupation principale : je me suis rendu compte que l’étude de la figure de Marie-Madeleine dans les milieux gnostiques des premiers siècles, permettait d’affirmer avec certitude que les textes fondateurs du légendaire provençal de la sainte — textes aujourd’hui perdus, mais que l’on peut espérer retrouver — étaient d’origine hérétique, très vraisemblablement gnostique. Cela est essentiel. En effet, cette découverte — qui repose sur une démonstration dont chacun jugera de la pertinence — pose comme plus que certaine, d’un point de vue historique, la venue de Marie-Madeleine en Gaule. Pouvoir apporter quelque chose de nouveau dans ce débat initié au moment de la Réforme — quelque chose capable de renverser les arguments que les historiens opposent à la geste provençale de Madeleine — était le but ultime de la Reine Oubliée, et c’est essentiellement sur ce point que j’espère encore avancer, en découvrant des traces archéologiques de ce que j’avance… Mais cela est une autre histoire… Une histoire dans laquelle Rennes-le-Château a peut-être un rôle à jouer…

Arcadia – Pensez-vous réellement que l’Eglise Catholique était au courant depuis l’origine du christianisme, des relations qu’aurait pu entretenir le Christ avec Marie Madeleine ? Et pourquoi cette dissimulation ?

Christian Doumergue – Je ne sais à quelle type de relation vous faites allusion. Si c’est à leur soit disant mariage, je ne sais pas… C’est une idée dont, vous le savez, je me suis écarté au fur et à mesure de mon travail, tout en continuant d’admettre qu’il s’agit d’une possibilité tout à fait envisageable. Mais n’ayant pas d’élément là dessus, du moins pas suffisamment, je ne me prononcerais pas… Si vous parlez, par contre, de la relation particulière que Marie-Madeleine eut avec Jésus en tant que disciple, il me semble qu’il ne fait guère de doute que l’Eglise, du moins une partie, était parfaitement au courant.

Pourquoi cette affirmation ? Parce que l’église a occulté le personnage de Marie-Madeleine. Son culte n’est attesté en Occident qu’à partir du VIIIe siècle alors que, premier témoin de la Résurrection, elle joue un rôle fondamental dans la naissance du Christianisme… Cette mise à l’écart a souvent été justifiée par la misogynie des Pères de l’Eglise. Mais cela ne constitue pas une explication satisfaisante… En effet, du temps qu’on cache Marie-Madeleine, on élève sur un piédestal Marie, mère de Jésus.

On a des traces avérées du remplacement de Marie-Madeleine par Marie, mère de Jésus. Par exemple, l’auteur syriaque Ephren, dans ses transcriptions de textes anciens, remplace systématiquement Marie-Madeleine par Marie, mère de Jésus. Il y a en fait tout lieu de penser que le personnage de Marie — quasi inexistant dans les évangiles — a été fabriqué à partir de Marie-Madeleine. Plusieurs éléments avèrent cette genèse que je propose au personnage de Marie. Par exemple, le fait que dans l’Homélie en l’honneur de la Vierge du Pseudo-Cyrille de Jérusalem, la Vierge déclare : « Je suis Marie la Magdaline parce que le nom de mon village était Magdalia… »

Cela ne veut pas dire que Marie-Madeleine était dans certaines traditions la mère de Jésus, mais que cette dernière figure a tout simplement été élaborée à partir de textes se référant à la sainte…

De tout cela, il ressort de manière certaine que Marie-Madeleine n’a pas été repoussée par les fondateurs de l’Eglise de Rome à cause de son sexe. Ce n’est pas la femme qui est rejetée à ce moment là mais une femme en particulier. Une femme que certains chrétiens considéraient comme la seule héritière légitime de Jésus… et en qui les chrétiens orthodoxes — c’est-à-dire, dans le sens que ce terme a lorsqu’il s’agit des premiers siècles : rattachés à l’Eglise de Rome — ne pouvaient voir que l’incarnation de l’hérésie… ( à suivre…)

Christian Doumergue – interview // La lettre de Thot © – juillet 2005

En illustration : Marie Madeleine, peinture sous le maître autel de l’Eglise de Rennes-le-Château. Image peinte attribuée parfois à l’abbé Béranger Saunière, l’inscription en légende du tableau reste encore à ce jour à décoder. ( Jésus, remède de blessures + Unique espoir du pénitent – Par les larmes de Madeleine + Efface nos péchés ). Photo archives Arcadia ©

Christian Doumergue

Titulaire d’un DEA de Littérature Générale et Comparée, et d’une Maîtrise d’Histoire de l’Art et Archéologie, Christian Doumergue est né le 26 septembre 1976 à Montpellier. En 1997, il consacre un premier ouvrage à l’affaire de Rennes-le-Château : Le Grand Héritage. Trois ans de recherches supplémentaires sont nécessaires pour aboutir en 2000 à la publication de Bérenger Saunière, prêtre libre à Rennes-le-Château, une vie du « curé aux milliards » détachée de toutes investigation sur le mystère même du lieu et qui s’appuie sur la totalité des documents personnels du prêtre connus. Certains de ces documents sont alors inédits, comme la correspondance entre Bérenger Saunière et son avocat en cour de Rome, l’abbé Huguet. En 2001, l’Evangile Interdit, amorce un tournant dans son travail de recherche : Marie-Madeleine est le sujet central de cette étude. Les pistes ouvertes sont suffisamment prometteuses pour qu’il décide d’approfondir ce travail. En 2004, il publie la somme de ces nouvelles recherches sous le titre : Marie-Madeleine, la Reine Oubliée, en deux volumes. C’est à la sainte qu’il consacre à présent l’essentiel de ses recherches. Il a depuis publié La Gnose pour tous, un ouvrage sur les hérésies gnostiques des premiers siècles… Il est également l’auteur de différents articles parus dans Terre de Rhedae, notamment à propos de la « divine Amante du Sauveur »… Par un travail forcené d’exégète, Christian Doumergue, en érudit chercheur nous convie toujours comme touché par une grâce sensible à un travail subtil et profond, un travail passionnant étayé de la meilleure manière qui soit par des documents d’archives puisés à des sources incontestables, ce qui donne à ses écrits une coloration toute particulière que devrait lui envier bien des auteurs contemporains.

Arcadia ©