Marie-Madeleine est devenue en quelques années en ce passage de millénaire, tour à tour et de manière bien différente, une figure emblématique de la Tradition hermétique, de la tradition chrétienne, du symbolisme ésotérique et de la littérature mondiale. A quoi et pourquoi est dû cet engouement pour la sainte qui transforme irrémédiablement son image de «pécheresse repentie» en phénomène sociologique ?

Dans ces articles de la LdT consacrés à Marie-Madeleine, il nous a semblé utile, somme toute, de redonner en quelques mots et en préalable, la version officielle de l’église catholique, pour que chacun chemin faisant, puisse en tirer en conscience, la substantifique moelle et pour que ce socle d’ébène soit le premier plan de conscience établi permettant l’édification souveraine des trois marches essentielles amenant le pèlerin des étoiles à l’ombre des tours du Temple.

Arcadia – La lettre de Thot, août 2005.

(Jn 20)

Jn 20,1 Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau. 2 Elle court, rejoint Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé du tombeau le Seigneur, et nous ne savons pas où on l’a mis ».

3 Alors Pierre sortit, ainsi que l’autre disciple, et ils allèrent au tombeau. 4 Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. 5 Il se penche et voit les bandelettes qui étaient posées là. Toutefois il n’entra pas. 6 Arrive, à son tour, Simon-Pierre qui le suivait : il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là 7 et le linge qui avait recouvert la tête ; celui-ci n’avait pas été déposé avec les bandelettes mais il était roulé à part, dans un autre endroit. 8 C’est alors que l’autre disciple, celui qui était arrivé le premier, entra à son tour dans le tombeau ; il vit et il crut. 9 En effet, ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. 10 Après quoi, les disciples s’en retournèrent chez eux.

11 Marie était restée dehors, près du tombeau, et elle pleurait. Tout en pleurant, elle se penche vers le tombeau 12 et elle voit deux anges vêtus de blanc, assis à l’endroit même où le corps de Jésus avait été déposé, l’un à la tête et l’autre aux pieds. 13 « Femme, lui dirent-ils, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répondit : « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l’a mis. » 14 Tout en parlant, elle se retourne et elle voit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était lui. 15 Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Mais elle, croyant qu’elle avait affaire au gardien du jardin lui dit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre. » 16 Jésus lui dit : « Myriam. » Elle se retourna et lui dit en hébreu : « Rabbouni » (ce qui signifie  »maître »). 17 Jésus lui dit : « Ne me retiens pas ! car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu. » 18 Marie de Magdala vint donc annoncer aux disciples : « J’ai vu le Seigneur, et voici ce qu’il m’a dit. »

Marie de Magdala pleure et ne reconnaît pas l’homme qu’elle cherche en celui qui lui parle. Étonnant et mystérieux chapitre 20 de l’évangile de Jean !

Relisons-le, lentement, pour redécouvrir l’amour qui brûle en cette femme, et pour redécouvrir, avec elle, notre identité d’envoyé(e) par le Christ.

À la différence des évangiles synoptiques, celui de Jean aime à mettre en scène, face à Jésus le révélateur, non seulement des aveugles ou des paralytiques anonymes, mais des hommes et des femmes désignés par leur prénom : Nicodème, Lazare, Simon-Pierre, Marthe ou Marie… Il y a, dans la façon d’écrire de Jean, un art de raconter des histoires de personnages au destin à la fois complexe et inachevé. La rencontre avec Jésus produit à chaque fois, un effet décisif que le lecteur perçoit, et qu’il est conduit à prolonger en remplissant les  »blancs » laissés par le narrateur. Cela se vérifie dans l’histoire de Marie de Magdala, venue au tombeau à la recherche du corps de Jésus.

Le pur désir

Pourquoi Marie de Magdala vient-elle seule au tombeau, tandis que la nuit s’achève, en ce premier jour d’une semaine qui a changé la face du monde ? L’habileté de l’évangéliste se manifeste par plusieurs traits. D’abord, il centre son récit sur un seul personnage : Marie de Magdala. Il connaît la tradition que rapportent les autres évangélistes selon laquelle elles étaient plusieurs à avoir fait ce déplacement, après la fin du sabbat. Il a d’ailleurs conservé une cicatrice de cette tradition dans la parole de Marie aux deux apôtres :  »On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis. » (v. 2). Fidèle à un procédé d’écriture avec lequel le cinéma nous a familiarisés, il a fait un gros plan sur Marie de Magdala dont l’expérience humaine et spirituelle prend valeur exemplaire.

De plus, Marie n’a pas de tâche concrète à remplir, elle vient sans objectif déclaré. Dans les synoptiques au contraire les femmes ont une mission à remplir : embaumer le corps de Jésus, onction des morts pour entrer pleinement dans la paix de Dieu. Dans l’évangile de Jean, cela a été fait par Joseph d’Arimathie et Nicodème dès la descente de la croix (Jn 19,40). La venue de Marie, seule, dans une gratuité totale, ouvre un espace à la lecture. Jean construit ainsi une figure admirable, portée par le désir et l’amour absolu. Elle est ici l’amante qui veut conduire son deuil jusqu’au bout, dans une quête obstinée de la dépouille de son bien-aimé.

L’intuition de la femme

Habituellement les visites aux morts se déroulent dans le calme et le silence. Le temps s’arrête. L’expérience de Marie est tout autre. En voyant  »que la pierre a été enlevée », au lieu d’aller au bout de sa plongée dans le monde des morts comme prévu, elle s’éloigne du tombeau et court avertir deux disciples : le corps du Seigneur a disparu, le tombeau est vide. Son mouvement devient contagieux, entraînant dans sa course Pierre et le disciple que Jésus aimait (v. 3-4). Tous les trois courent, pauvre trio humain ignorant qu’ils sont face à la Trinité divine, plus forte que la mort : le Dieu Père ressuscitant son fils par la puissance de l’Esprit. Chacun des trois retourne vers le tombeau, pour y être affronté à l’irruption de la Vie dans le monde de la mort. Marie, la première à découvrir le tombeau ouvert, sera aussi la première à rencontrer son Seigneur vivant.

Pressent-elle que l’impossible pourrait advenir ? Sa lenteur à lire les signes (y compris la présence des deux anges et celle de Jésus lui-même) laisserait entendre le contraire (v. 11-15) mais sa quête insistante fait entrevoir en elle une intuition cachée :  »Il me semble que, sous le couvert de son inquiétude, quant à l’absence du corps, filtre, en elle, mais très profonde, une source. Obscure. Celle même qui tient captive pour l’instant, sa mémoire : l’idée, la vague idée, comme un oiseau aveugle, de la résurrection qui vient heurter sa préoccupation du corps disparu » (Georges Haldas).

Sa rencontre avec Jésus est étrange. Dans sa hâte de pouvoir toucher pour la dernière fois le corps du bien aimé, Marie est comme aveuglée. Elle ne voit pas les signes du mystère qui se donnent pourtant à voir : les anges qui sont habituellement les messagers de Dieu, et même Jésus qu’elle ne reconnaît pas et qu’elle prend pour un jardinier. C’est peut-être l’aveuglement de l’amour. Il faut que retentisse la voix de Jésus :  »Myriam » pour qu’elle accueille enfin pleinement le mystère :  »Rabbouni ! » Sa quête du cadavre peut alors prendre fin, il lui faut désormais apprendre à vivre une autre relation avec Jésus :  »Ne me retiens pas » ou, plus littéralement,  »Cesse de me toucher » (v. 17).

Marie, l’une d’entre nous

Par sa façon d’écrire, Jean accorde une place importante au lecteur et à la lectrice. Chacun peut, à partir des ouvertures du texte, se reconnaître dans l’expérience de cette femme et la prolonger. Pour ma part, j’aime voir en Marie de Magdala, la croyante idéale, éblouie par le maître dont elle a tant reçu et qu’elle a accompagné dans une fidélité sans faille. Lecteur parfois naïf des évangiles, mais en même temps restant toujours exégète marqué par la critique, je me refuse à fusionner en une seule figure toutes les Marie, en y rajoutant même la pécheresse anonyme de Luc. Il me suffit de me reconnaître dans Marie de Magdala, telle que Jean la raconte. Elle est alors pour moi, quelqu’un qui m’apprend à dépasser l’univers transitoire de la vision pour entrer résolument dans l’attitude de l’écoute. Je suis invité à m’inspirer de Marie, entrant à sa suite dans le temps de l’Église qui commence. Comme elle, qui, au matin de Pâque, a dû abandonner la relation physique avec Jésus, je suis invité à rencontrer le Seigneur dans l’obéissance à sa parole. Moi aussi il m’appelle par mon nom et m’envoie annoncer qu’il est devenu  »le Prince de la Vie ».

Alain Marchadour © – Article extrait des Dossiers de la Bible n° 92 (2002) : Marie Madeleine, femme et apôtre, p. 10-11

http://www.bible-service.net/site/235.html

En illustration : Marie Madeleine, Peinture conservée en la Basilique de Saint Maximin. Photo Arcadia © DR