Arcadia – Pensez-vous que si il existe une relation entre la région du Pilat et Marie-Madeleine, Polycarpe de la Rivière a pu la découvrir ?

P. Berlier – Tout d’abord, vous avez raison de dire « si ». Le chapitre de mon livre est titré : « Le Pilat, refuge de Marie-Madeleine ? », Le point d’interrogation est important, il précise qu’il s’agit de ma part d’une simple réflexion. Mais on peut toujours imaginer que cela s’est bien passé ainsi. Et j’imagine encore que Dom Polycarpe de la Rivière s’est livré aux mêmes réflexions que moi. Certes le tableau de la chapelle n’existait pas !

Mais les textes anciens évoquant le passage de la sainte pécheresse à Vienne existaient, eux. Polycarpe s’est toujours intéressé à l’histoire, même si ce n’est que sur la fin de sa vie qu’il a tenté de publier des livres de cette nature, livres dont l’édition a été refusée par sa hiérarchie comme on le sait. Ils n’ont pas été censurés à cause de leur caractère sulfureux, comme on a pu le lire ici ou là, mais on a jugé qu’ils n’étaient pas assez achevés et on a conseillé à Polycarpe d’y retravailler.

Je suis certain, par différents détails, qu’avant de s’intéresser à l’histoire de la Provence comme il l’a fait lors de son affectation à la chartreuse de Bonpas, Polycarpe s’est intéressé à l’histoire du Pilat durant son affectation à la chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez.

Il fait partie de ceux qui ont véhiculé l’idée que le Pilat devrait son nom à Ponce-Pilate. Il est vrai que l’ex procurateur de Judée fut exilé à Vienne, non pas à cause de son attitude lors du procès du Christ, mais pour divers actes de malveillance. La légende, dont il existe plusieurs variantes, prétend que son corps fut porté au sommet d’une montagne à laquelle on donna son nom. Polycarpe rapporte cette légende dans l’un de ses livres, sans trop y croire, mais il donne sur Ponce-Pilate des détails prouvant son intérêt pour son histoire, et l’avancée de ses recherches. Ses travaux n’ont pu que l’amener à croiser la route de Marie-Madeleine, il lui aurait d’ailleurs consacré un livre, hélas apparemment introuvable aujourd’hui. Alors oui, « si » il y a eu un lien entre le Pilat et Marie-Madeleine, Polycarpe a dû le trouver. Mais s’il nous a laissé plusieurs livres sur l’histoire de la Provence, restés à l’état de manuscrits, il n’a rien écrit sur le Pilat, même s’il a sans doute pris de nombreuses notes, qui restent à découvrir… Et bien entendu, il a dû partager ses connaissances avec les autres érudits de la Société Angélique.

Arcadia – Aujourd’hui, avec le Da Vinci code de Dan Brown, on a le sentiment que la thèse soutenue il y a déjà près de 40 ans (!) par certains chercheurs français puis anglais sur Marie-Madeleine, commence à entrer dans le domaine populaire, et est partagée par un nombre de plus en plus croissant de personnes. Qu’en pensez-vous ?

P. Berlier – Da Vinci code est un excellent roman, que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire, mais il n’est que cela, beaucoup trop de personnes l’oublient. Tout est du roman, y compris la première page intitulée « Les faits », et ces faits-là sont aussi imaginaires que le reste du texte. Dan Brown mélange très astucieusement une fiction saupoudrée de quelques rares faits réels, et un décor authentique. Dans ce genre littéraire, qui n’est pas nouveau, tout le talent de l’auteur consiste à amener le lecteur à considérer comme réalité ce qui n’est qu’imagination. L’Église nous cache la vérité sur Jésus ? Les Templiers ont joué un rôle occulte ? Il existe encore aujourd’hui des sociétés secrètes œuvrant dans l’ombre ? Le public ne demande qu’à y croire ! Dan Brown en apporte les « preuves », qui font partie du roman, et la « mayonnaise » prend au-delà de toutes les espérances !

Par conséquent, des millions de lecteurs admettent aujourd’hui comme réalité historique les thèses sur Marie-Madeleine présentées il y a vingt ans par les inspirateurs du Da Vinci code, et qui n’étaient que des thèses, c’est-à-dire des présomptions, des hypothèses de travail, voire des affabulations pures et simples. C’est là le danger, on passe ainsi de d’une théorie, dont la diffusion fut assez limitée, à une certitude de masse. Heureusement, par son succès et donc sa médiatisation, le Da Vinci code a fait l’objet de nombreuses contre-enquêtes et mises au point, que ce soit par des livres, des émissions de télévision, des sites Internet, etc. Le grand public connaît aujourd’hui la vérité sur le Prieuré de Sion, information qui il y a vingt ans n’était connue que d’un cercle restreint de spécialistes, lesquels d’ailleurs ne partageaient pas toujours ce point de vue.

Qui était réellement Marie-Madeleine ? Pourquoi est-elle venue en Gaule ? Comment et où y a-t-elle vraiment vécu ? Les vraies questions restent toujours sans réponses décisives à ce jour.

Patrick Berlier – interview // La lettre de Thot – août 2005

En illustration : Crucifixion, au pied de la croix Marie Madeleine – Peinture murale du début du XIVe siècle. Chartreuse de Sainte-Croix en Jarez. Photo Arcadia © DR.