En exclusivité pour la lettre de THOT, notre ami André Peltre, actuel coordinateur de la Société des Amis de Teilhard de Chardin, et ancien Compagnon de Lure – c’est là, à Lurs-en-Provence, que nous nous rencontrâmes, il y a maintenant plus de 30 années – nous a fait parvenir amicalement, ce petit compte rendu du Colloque Teilhard de Chardin, qui s’est déroulé au siège de l’ONU à NEW YORK, le JEUDI 7 AVRIL 2005, où il était présent et où il assista avec la délégation française aux festivités marquant ce cinquantenaire, en hommage au père jésuite.
TEG // ARCADIA – exclusivité pour la LdT.
TEILHARD 2005
En 1999, la Fondation et l’Association des Amis de Teilhard de Chardin, la seconde étant en quelque sorte le «service action» de la première décident de mettre en œuvre le plan TEILHARD 2005, comprenant un ensemble cohérent de colloques et de voyages internationaux, sur les pas de Teilhard avec un thème précis pour chaque année.
Ce plan est donc réalisé de 2001 à 2005 (un plan quinquennal !), de Hastings (ordination de Teilhard en 1912) puis Le Caire (Collège de la Sainte Famille de 1905 à 1908), la Chine ensuite (pratiquement le tiers de sa vie !), Rome (séjour de 1948) et New York.
Le thème du Colloque, dont la séance d’ouverture a eu lieu au Siège de l’ONU était :
« L’Avenir de l’Humanité : la nouvelle actualité de Teilhard de Chardin. »
Apres la lecture des messages, substantiels et chaleureux du Directeur Général de l’UNESCO et de Jacques Chirac, Président de la République Française, c’est Michel Camdessus (1) qui nous fit part de sa conférence, à la fois témoignage de gratitude pour ce que Teilhard a apporté aux hommes et femmes de sa génération et plaidoyer ardent pour une nouvelle lecture de ses œuvres, en rapport avec les défis et les promesses de notre temps !
En voici quelques extraits :
Du « moment critique » à l’avenir de l’humanité
Bien qu’il ne prétendit à aucune compétence en sciences des organisations, ni en matière économique ou sociale, Teilhard de Chardin a laissé à ceux qui auraient en charge les affaires du monde quelques orientations pour que leurs efforts se déploient dans « une perspective d’humanisation ». Elles se réduisent à trois recommandations essentielles :
– « agir ensemble, dans une grande espérance en commun »,
– construire la cohésion du monde,
– promouvoir la solidarité humaine.
Chacune de ces trois orientations appelleraient citations et commentaires.
« Agir ensemble – acte majeur, pour commencer, de confiance mutuelle !- dans une grande espérance en commun » : je ne puis m’empêcher de penser à ce propos aux statuts de l’Institution que j’ai dirigée pendant treize ans et qui prévoyaient qu’une de mes tâches était de « donner confiance à tous nos membres ». Tâche difficile et exaltante d’essayer de convaincre des pays dans la plus extrême difficulté qu’ils peuvent s’en extraire, qu’il n’y a jamais de situation désespérée dans les affaires humaines et que s’ils déploient tous les efforts possibles, le soutien international ne leur manquera pas et, simultanément, rassembler pour ce pays dont le monde désespérait, le soutien de suffisamment d’amis pour lui permettre de reprendre sa place dans la communauté des nations.Parlant ici aux Nations Unies et oubliant un instant les tensions parfois paralysantes au sein même du système, permettez-moi d’essayer d’identifier quelques grandes orientations qui pourraient concourir, au-delà de cette confiance et de cette espérance en commun, à conjuguer plus étroitement convergence et personnalisation, cohésion et solidarité.
Le multilatéralisme est évidemment – depuis la seconde guerre mondiale – la première d’entre elles. Développé en réponse aux erreurs et au chacun pour soi qui avaient conduit à la seconde guerre mondiale, il apparaît comme la seule réponse aujourd’hui encore à tous ces fléaux à dimension universelle que nous voyons émerger. Ses progrès peuvent nous apparaître désespérément lents ; nous pouvons même passer par des phases où l’unilatéralisme semble reprendre le dessus, il n’en reste pas moins l’approche incontournable.
C’est elle, en effet, qui offre la possibilité à tous les pays -du plus grand au plus petit- de prendre leur part à la solution de problèmes universels qui ne peuvent être efficacement abordés qu’au plan mondial. Ceci explique l’importance de l’effort entrepris aujourd’hui pour renouveler les structures permettant de mieux servir le bien commun universel. L’effort de réforme des Nations Unies et celui des institutions financières mondiales devrait évidemment aller dans ce sens, tout comme la réflexion sur les biens publics globaux.
En fait, il faut substituer au système des Nations Unies hérité de la seconde guerre mondiale un système réformé dans un esprit de subsidiarité et qui réponde aux problèmes soulevés par la mondialisation et à la nécessité de mettre en place une régulation mondiale, là où les problèmes sont de dimension planétaire. Cette réforme, comme celles des organisations financières, ne prendra son sens que si les moyens sont trouvés de donner véritablement toute leur place aux pays pauvres dans leurs instances de prises de décision. C’est la raison pour laquelle j’attache une grande importance à l’élargissement du G7 aux représentants des pays du tiers-monde, dans une sorte de Conseil de sécurité économique et social, à l’échelle du monde. Ce groupe de gouvernance globale ne serait qu’un premier pas. Il faut aller vers ce que Jean XXIII -cet autre prophète- demandait déjà il y a quarante ans, non pas un gouvernement mondial, mais là où il le faut, une « autorité publique à compétence universelle ».
Pour qu’un tel changement soit possible au plan mondial, il est évidemment également nécessaire que l’Europe, qui a eu la chance historique de faire l’expérience réussie de la création de structures d’intégration amicale là où il n’y avait que méfiance et haine séculaires, exerce pleinement et sans timidité dans le monde un rôle de partenaire à part entière des États-Unis. Elle doit même se montrer prête à prendre le leadership seule pour le bien commun, là où les États-Unis s’abstiendraient. Une telle approche d’un partenariat pour le bien commun universel pourrait avoir une importance historique et développer un nouveau cours de la diplomatie à l’opposé de ce qui n’a été longtemps que rapports d’États conçus seulement comme des monstres froids. Européens, nous sommes citoyens du premier ensemble commercial du monde. Nous devons prendre conscience des dimensions de notre citoyenneté et de notre responsabilité : nationale, européenne et mondiale. C’est en les conjuguant que nous pourrons le mieux participer à l’immense effort global d’humanisation du monde.
Au côté des avantages que l’approche multilatérale comporte pour une meilleure gouvernance mondiale, le partenariat est une autre voie de progrès. Adopté comme stratégie centrale pour les relations Nord-Sud lors de la conférence de Monterrey en 2001, il vise à substituer à une relation d’assistance dont nous avons bien tard identifié les insuffisances, une relation de pays poursuivant ensemble une responsabilité commune pour la réussite de tous. Chacun reconnaît que tous les grands problèmes du monde, à commencer par la pauvreté extrême, sont les problèmes de tous et doivent être abordés par tous ensemble. Il y a là une mutation majeure. Le partenariat est dialogue d’égaux. Il implique que votre partenaire, dans ce dialogue, arrête lui-même ses propres choix et ses priorités. Il implique aussi la totale franchise de part et d’autre et l’acceptation du regard critique de l’autre sur nos politiques à son égard. Il implique un profond respect des exigences éthiques de l’autre, de sa culture, de ses traditions, y compris dans l’organisation de la vie collective. Il implique que nul ne se défausse de sa responsabilité sur l’autre. Il est enfin acceptation d’un cheminement ensemble sur les nouveaux sentiers de la mondialisation, avec tout ce que cela impliqué d’attention au pas de l’autre…
Une application particulière de cette approche s’initie dans le cadre du NEPAD entre le G8-Afrique : ce sigle anglo-saxon désigne le « nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique ». Il s’agit -pour la première fois dans l’histoire- d’une offre de partenariat dont les pays d’Afrique ont pris tous ensemble l’initiative lors du G8 à Gènes en 2001, et que les Huit ont alors accepté. La Commission pour l’Afrique lancée et présidée par le Premier Ministre Blair vient de répéter qu’il y avait là le chemin le plus sûr vers des progrès décisifs de l’Afrique.
Le partenariat ne doit plus recouvrir seulement les relations d’Etat à Etat. Il est multidimensionnel ; il veut s’étendre aux entreprises, aux institutions financières et à la société civile.
Nous sommes trop habitués à laisser aux États la responsabilité des initiatives en ce qui concerne la vie internationale. Le partenariat qu’il s’agit de mettre en œuvre aujourd’hui engage non seulement les États mais aussi les entreprises, les institutions financières et la société civile. Ne faisons pas trop vite la fine bouche devant l’intention manifestée par un certain nombre de grandes entreprises de répondre à l’appel de M. Kofi Annan pour de tels partenariats et de se montrer véritablement citoyennes là où elles viennent à s’établir. Il y a là pour nombre d’entre elles une authentique reconnaissance de leur solidarité de destin avec le développement des pays où elles travaillent. Mais permettez-moi surtout d’insister sur le rôle de la société civile : ce n’est que si elle est entièrement mobilisée dans cette construction de l’avenir par une action constante pour la personnalisation qu’elle aura quelque chance de se réaliser. L’avenir du monde est là entre ses mains. Convergence et personnalisation n’ont de chances de cheminer d’un même pas que si ce souci est porté aussi au ras du sol par une société civile dont nous sommes tous et qui doit mieux s’organiser pour qu’on lui rende compte de ce qu’on fait en son nom.
Conférence de Michel Camdessus (extrait).
Siège des Nations Unies – New York – 7 avril 2005-
SUR LA TOMBE DE TEILHARD
NEW YORK – 10 avril 1955, Jour de Pâques. Le soleil est radieux. Teilhard commence sa journée par la grande messe à la Cathédrale Saint Patrick puis fait une promenade l’après-midi.
A 18 h, alors qu’il se trouve chez des amis, il s’écroule terrassé par une hémorragie cérébrale.
Les funérailles auront lieu le mardi 12 avril. Après une messe basse à l’Eglise Saint Ignace de Park Avenue, dite par son ami le père de Breuvery, le père Leroy et un jésuite américain, ils accompagnent le corps du père Teilhard au Cimetière des Jésuites new-yorkais de St Andrew on Hudson (Poughkepsie), mais la pluie, survenue entre temps, ayant empêché le creusement de la tombe, le corps fut déposé dans la crypte mortuaire sous la chapelle du séminaire en attendant que les fossoyeurs aient rempli leur mission, ces derniers furent donc les seuls témoins de l’inhumation qui eut lieu le lendemain…
NEW-YORK – 10 avril 2005, Belle matinée printanière, un grand soleil brille sur les collines boisées des bords de la rivière Hudson.
Les amis de Teilhard venus de France, des Etats-Unis,du Canada et de Grande Bretagne sont au rendez-vous. Le séminaire des Jésuites est devenu une école hôtelière, mais le cimetière est là, inchangé au milieu d’une nature splendide, le silence étant rompu seulement par quelques cloches des environs et le chant des oiseaux.
Les responsables des associations prononcent des allocutions, les prières et les chants sont animés par le Père Olivier Teilhard de Chardin, petit neveu de Pierre et vicaire de paroisse à Paris. Un orchestre formé de jeunes jésuites américains accompagne la cérémonie, puis nous assistons à la lecture de LA MESSE SUR LE MONDE…
« Puisqu’une fois encore, Seigneur, dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par-dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel, et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la Terre entière, le travail et la peine du Monde.
Le soleil vient d’illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la Terre s’éveille, frémit, et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, ô mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés.
Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du globe et converger vers l’Esprit. Qu’ils viennent donc à moi, le souvenir et la mystique présence de ceux que la lumière éveille pour une nouvelle journée.
Un à un, Seigneur, je les vois et les aime. […] Je les évoque, ceux dont la troupe anonyme forme la masse innombrable des vivants ; ceux qui viennent et ceux qui s’en vont ; ceux-là surtout qui, dans la vérité ou à travers l’erreur, à leur bureau, à leur laboratoire ou à l’usine, croient au progrès des Choses, et poursuivront passionnément aujourd’hui la lumière.
Cette multitude agitée, trouble et distincte, dont l’immensité nous épouvante, cet océan humain, dont les lentes et monotones oscillations jettent le trouble dans les cœurs les plus croyants, je veux qu’en ce moment mon être résonne à son murmure profond. Tout ce qui va augmenter dans le monde au cours de cette journée, tout ce qui va diminuer, tout ce qui va mourir aussi, voilà, Seigneur, ce que je m’efforce de ramasser en moi pour vous le tendre; voilà la matière de mon sacrifice, le seul dont vous ayez envie.
Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l’aube nouvelle. Ce pain, notre effort, il n’est de lui-même, je le sais, qu’une désagrégation immense. Ce vin, notre douleur, il n’est encore, hélas ! Qu’un dissolvant breuvage. Mais au fond de cette masse informe, vous avez mis un irrésistible et sanctifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l’impie jusqu’au fidèle : « Seigneur, faites-nous un ». »
TEILHARD DE CHARDIN
L’Aventure Teilhard continue !
André Peltre – Pour la Lettre de THOT, Juin 2005.
A New York, Photographies de Remo Vescia © pour la LdThot
1 – Colloque au siège de l’ONU à NEW YORK.
2 – Sur la tombe de Teilhard.
3 – La messe sur le Monde, magnifique spectacle musical avec ballet et solo de saxophone, à St John the Divine à New York, pour le cinquantenaire de la mort de Teilhard.