Tout commence comme une suite aux Actes des Apôtres. Parmi toutes les histoires de commencement, celle de Raban Maur, évêque de Mayence, datée communément du IXe siècle :

« Dans la compagnie de Madeleine, la glorieuse amie de Dieu, et de sainte Marthe sa sœur, le saint évêque Maximin, s’abandonna donc aux flots de la mer, avec saint Parménas et les autres chefs de la milice chrétienne. Poussés par les vents, ils quittèrent l’Asie, descendirent par la mer de Tyr, laissant à droite l’Italie et abordèrent heureusement dans la province Viennoise des Gaules, à l’endroit où le Rhône se jette dans la mer. »

Le récit le plus connu est celui de la Légende Dorée de Jacques de Voragine – daté de 1245 – lu par des générations de chrétiens pendant des siècles. Les commentateurs y retrouvent les traces certaines d’autres Vies populaires datées du VIe ou VIIe siècle, fleuves de traditions orales modifiées, embellies, exactes, qui sait?… Cela pendant des générations de paroles de grand-père à petit-fils… La plus ancienne Vie dit ceci : « Dans cette dispersion, sainte Marie-Madeleine s’étant associée à saint Maximin, ils se rendirent jusqu’à la mer et, montant sur un vaisseau, ils arrivèrent heureusement à Marseille. »

Citons enfin un récit, tiré des Visions de Catherine Emmerich, la mystique allemande, vers 1800 :

« Alors éclata à Jérusalem une persécution contre Lazare et ses sœurs. Marthe et lui furent jetés en prison par les juifs. Madeleine ayant voulu les visiter pendant la nuit, fut également arrêtée. Avec Lazare et ses deux sœurs, furent aussi emmenés un jeune homme nommé Maximin, Marcelle servante de Madeleine et la servante de Marthe. Ils étaient sept, trois hommes et quatre femmes. Après les avoir accablés de mauvais traitements, les juifs les firent monter dans une méchante barque faisant eau de toutes parts et n’ayant ni voile, ni gouvernail. Elle fut amarrée à un grand vaisseau qui l’abandonna après l’avoir remorquée en pleine mer. Tandis que Lazare et ses compagnons priaient et chantaient des cantiques, je vis la barque aborder sur le rivage des Gaules, dans un lieu où les vagues venaient baigner doucement la plage. Ils descendirent à terre et abandonnèrent leur esquif à la merci des flots. Leur voyage s’était fait avec une vitesse miraculeuse. Je les vis arriver dans la grande ville de Marseille. »

Nous parlions de paroles de grand-père ou de Sage… Telles que celles-ci : une lettre de l’évêque saint Didier à l’abbesse Aspasie, vers le VIIe siècle et parlant peut-être de cette Vie populaire : « Ému de tes larmes, je t’ai déjà procuré l’histoire de cette femme remarquable entre toutes dans l’Evangile. Dans cette histoire, tu trouveras les dignes fruits de pénitence qu’elle produisit et la joie qui remplit le ciel, lorsque celle qui avait été précédemment pécheresse, mérita par ses larmes, devant les anges de Dieu, l’assurance du salut. »

II est communément admis par la Tradition que la Provence vit débarquer sept personnes, les saints de Béthanie, « la quatorzième année après l’Ascension » (Vie primitive), soit vers l’An 44 après J.-C. :

– Lazare le ressuscité et ses deux sœurs, Marthe et Marie-Madeleine.
– Leurs servantes Marie-Jacobé et Marie-Salomé.
– Maximin, l’un des 72 disciples et Sidoine l’aveugle de l’Evangile guéri par le Christ.

Au-delà de cette Tradition, deux faits doivent être soulignés.

Le premier concerne Marseille et Arles vers cette époque. Importants ports de commerce en Méditerranée et des liaisons régulières avec tout l’Empire Romain, avec Césarée et Joppée en Palestine. Il est facile d’imaginer l’arrivée de Lazare et de ses compagnons, comme celle de Trophime à Arles, envoyé par Pierre de Rome. Il est facile d’imaginer le passage de Paul en Provence vers 60, saint Clément disant en 96 « qu’il est allé jusqu’aux limites de l’Occident ». Cela n’est pas de l’Histoire. Mais sans s’arrêter à la barque magique, on pourrait accepter la possibilité de la venue, au milieu du premier siècle, d’adeptes de la nouvelle secte judéo-chrétienne, par les moyens habituels de transport, venant d’Antioche, de Chypre, de Césarée, de Rome… Les liens entre la Palestine et la Gaule du sud étaient étroits. Prenons simplement l’histoire de Pilate, peut-être originaire de la vallée du Rhône et exilé à Vienne en 37, selon Eusèbe de Césarée.

Le second fait historique est en conséquence directe : la certitude de la christianisation très ancienne de la Provence, ne serait-ce que parce qu’elle était un passage obligé de tout ce qui venait de Rome ou du Proche-Orient, pour arriver aux premiers martyrs connus, Irénée et Blandine à Lyon en 177. Le premier Concile de l’Histoire de l’Eglise se tient d’ailleurs à Arles en 314, rassemblant seize évêques dont six de Provence. Arles, capitale (épisodique) du premier empereur chrétien Constantin. Cyprien de Carthage écrivait déjà à Marcien, évêque d’Arles, en 254.

Revenons à la suite de « nos » Actes des Apôtres. Cette Tradition dit que Lazare est resté à Marseille, initiant l’église qui va devenir celle de saint Victor à partir du IVe siècle. Marie-Jacobé et Marie-Salomé restent au lieu de débarquement et deviennent les Saintes-Maries, avec Sara la Reine des Gitans…

Marthe part évangéliser Avignon et Tarascon, Tarascon où la Tradition nous informe du voyage de Clovis vers l’an 500, venu implorer sa guérison près de sainte Marthe. Maximin devient le premier évêque d’Aix, suivi de Sidoine. Marie-Madeleine remonte le cours de l’Huveaune et reste en communion avec son Rabbouni pendant 30 ans (le temps de la vie silencieuse du Christ), dans la grotte de la Sainte-Baume, avant de mourir dans les bras de saint Maximin, au lieu-dit du Saint Pilon, à l’entrée de la ville… Et là, continue la Vie primitive, « Saint Maximin, prenant son très saint corps l’embauma de divers aromates, le plaça dans un honorable mausolée et éleva sur les bienheureux ossements une basilique d’une belle architecture ».

Cette tradition est une et inséparable dans ses acteurs, c’est-à-dire qu’on l’accepte – ou rejette – en bloc. Ce qui veut dire aussi qu’en l’an 100, l’âge maximal de la disparition de la tribu de Béthanie, tout est fini et tout commence.

Yves BridonneauLe tombeau de Marie Madeleine, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume troisième tombeau de la chrétienté (extrait) Edisud ed. 2002.

En illustration : Sainte Marie Madeleine prêchant. Fresque de l’Hôtellerie de la Sainte-Baume réalisée en 1911 par Montenard.