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ZONE INTERDITE
« Il se passe quand même, des choses étonnantes sur le Pech du Bugarach, jai vu des photos prises par des clients. Elles montraient des objets sortant de la montagne. Certaines caméras aussi tombent subitement en panne. J’ai observé aussi un Awacs, un gros avion de détection de l’armée, qui tournait autour du pic. Je reste persuadé que les autorités ont lancé des études pour savoir ce qui se cache dans le Pech…».
Témoignage d’un habitant de Bugarach.
Quand les journalistes se filment entre eux…
Lorsqu’un mythe moderne devient en quelques mois un mythe planétaire, il est difficile pour tout un chacun et surtout pour le non averti de démêler le faux du vraisemblable. En tout cas, depuis plus d’un an, une nuée de journalistes venue des quatre coins du monde – et même du Japon – s’est abattue sur la « zone interdite » de ce début de millénaire pour tenter de nous… éclairer. « Zone interdite » au sens propre du terme d’ailleurs, car il vous faut un laisser-passer en bonne et due forme (jusqu’au 23 décembre 2012) pour pouvoir pénétrer le saint des saints, avant l’Apocalypse… Faut bien reconnaitre aussi que le passage, un peu comme durant la seconde guerre mondiale, de la zone libre à la zone occupée est parfaitement bien filtrée par la maréchaussée – (mais selon nos sources des filières existent pour tenter la grande évasion…).
« Il n’est pas étonnant que la vérité soit plus étrange que la fiction.
La fiction doit avoir un sens… ». Mark Twain
Pour le site lui-même, le petit village audois bien connu aujourd’hui, devenu en un clin d’œil une véritable marmite médiatique… bouillons d’incultures, reportages TV tous azimuts, informations sans vérifications relayées en boucle par les réseaux sociaux, mais aussi blogs savants uniquement consacrés au phénomène…, sites Internet d’informations généralistes, journaux quotidiens et hebdos de la planète, tout est en ligne depuis plusieurs mois pour que le mythe autogénéré s’alimente de la sorte, de sa propre substance.
Une date butoir cependant, ce 21 décembre 2012, et le tour est joué.
Fin de la partie, « Apocalypse no »… pas d’Apocalypse à Bugarach…
APOCALYPSE NO
Le brouet est plus ou moins digeste selon les sources d’approvisionnement mais une chose est sûre, c’est que la mayonnaise a, elle, bien prise au-delà de toute espérance (1). Pourtant, si l’apocalypse telle que prévue ne s’est pas manifestée ce jour 21 décembre 2012, fin d’une ère de 5200 ans selon le calendrier maya, pour les habitants de Bugarach l’apocalypse a bien eu lieu quand même, mais « autrement », tellement ils sont excédés par le tapage médiatique orchestré par les relais d’opinion sur leur lieu de vie depuis plus d’un an. Pour l’instant on voit beaucoup plus de journalistes se filmer entre eux et de bonshommes bleus de la maréchaussée que les petits hommes verts attendus…
(…) – L’Apocalypse, c’est eux… et pas les « ésotériques » ! nous disait récemment une bugarachoise croisée dans le village – Il y a plus de journalistes ici que d’habitants… maintenant, on va enfin pouvoir être tranquille, passé ce 21 décembre… ».
Comme quoi l’Apocalypse peut prendre finalement une tournure inattendue, mais les desseins du divin, sont sans aucun doute impénétrables…
Chroniques de MARS No 10 – Photo Jean-Louis Socquet-Juglard – 21 décembre 2012
(1) Sur l’origine du mythe lui-même et son écho médiatique, certains habitants de Bugarach n’ont pas hésité à accuser le maire du village d’être à l’origine de ce fait d’hiver… Voir sur le sujet l’article : « Bugarach. En attendant la fin du monde ».
Sur place, personne, même chez les plus allumés,
ne croit en cette fin du monde du 21 décembre…
Depuis bientôt deux ans, la presse parle de Bugarach, «le seul lieu échappant à la fin du monde le 21 décembre prochain». On lit partout que «touristes et illuminés se pressent dans le petit village pour visiter le refuge qui pourrait résister à la fin du monde en décembre prochain…». Intrigués par cette invasion new-age façon partie de campagne, nos productrice et éditeur nous ont dépêchés à Bugarach pour y passer une partie de l’année (1).
Qu’avons-nous vu à Bugarach entre juin 2011 et novembre 2012 ? Peu d’illuminés. Quelques touristes. Et beaucoup de journalistes. D’abord la presse locale, qui a épuisé le ton ironique de ses premiers articles. Quand, amusé par cette loufoquerie colportée par Internet, un reporter américain a publié l’histoire dans le New York Times, celle-ci a pris une légitimité universelle. Mieux qu’une vérité. La presse nationale a repris le flambeau. Puis les télés japonaises, coréennes, russes, CNN, Al-Jezira, les radios… A raison de deux, puis trois, puis quatre ou cinq équipes par semaine, les journalistes défilent. Ce qui a précédemment été publié tient lieu de fait acquis. Sans guillemet ni conditionnel, on parle d’hôtels pris d’assauts, de construction de bunker, de spéculation immobilière… Histoire de tester la rumeur, un Bugarachois, au sortir d’une soirée festive, a mis sa maison en vente sur Leboncoin pour la modique somme de 6 millions d’euros. Il n’a reçu aucun coup de fil. Une seule maison s’est vendue dans le village en 2012 à 85 000 euros pour 130 m2. Paraît aussi qu’à l’approche du Pic – cette superbe montagne qui domine la vallée – les boussoles s’affolent et les portables disjonctent. L’antenne-relais qui dessert la vallée s’est retrouvée en rade quelques jours au printemps. Orange a diligenté une enquête. L’intense champ magnétique, qui perturbait le réseau, était généré par une clôture électrique survoltée.
Sur place, personne, même chez les plus allumés, ne croit en cette fin du monde du 21 décembre. Un ésotérique, tendance wisigothe, nous a juste fait remarquer qu’il fallait interpréter l’Apocalypse comme un «changement de cycle». De 2012, on pourrait bien passer en 2013. A part quelques ados adeptes de jeux de rôles et la section UMP de Limoux qui, dans un communiqué officiel, a annoncé entre les deux tours de l’élection présidentielle : «Si Hollande passe, on se réfugie à Bugarach» – ils ont dû se perdre en chemin -, personne ne cherche le salut à Bugarach. Confession d’un officier de la gendarmerie : «Avec tous ces journalistes, il faut bien qu’on fasse quelque chose.» Un habitant : «Avec tous ces gendarmes, on va finir par croire qu’il se passe quelque chose.»
Admettons que le préfet réquisitionne la maréchaussée pour limiter l’accès au Pic la semaine du 21 décembre. Trois tracteurs en travers de la route départementale auraient fait l’affaire, mais bon. Admettons qu’il se déporte spécialement sur zone avec force gendarmes pour se prêter de très bonne grâce à la mise en scène d’Enquête exclusive de M6. Admettons qu’il annonce aux télés en faction ce jour-là – venues de Belgique et de Hongrie, elles n’en attendaient pas tant – que «face à la menace», il est désormais envisagé d’interdire l’espace aérien autour du Pic. Au cas où des escadrilles intra et extraterrestres déferlent sur le secteur ? On touche aux limbes avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Dans son dernier rapport d’activité, on lit : «Outre la prolifération de groupes sectaires, spécifiquement constitués autour de l’Apocalypse supposée pour 2012, la Miviludes envisage l’hypothèse, crédible au regard d’événements passés, d’une recrudescence des suicides, individuels ou collectifs à l’approche du 21 décembre 2012.» Bigre.
Pour quelques éclaircissements, il est utile de se reporter au livre de Georges Fenech, président sortant de cette institution. Autoproclamé «plus grand spécialiste de la lutte antisectes en France», l’homme raconte son survol en hélicoptère de la vallée de Bugarach, «là où plusieurs grandes sectes ont pris leurs quartiers depuis quelques mois». Sans doute, un passage en hélico offre-t-il une vision plus précise que nos quelques mois passés sur le plancher des vaches : hormis quelques gentils zozos, nous n’avons vu nulle trace de secte. Il poursuit : «L’Apocalypse, d’une actualité brûlante, me servira de fil d’ariane dans ce labyrinthe aux méandres insoupçonnés dont Bugarach sera la première étape.» Il est aussi question de «mouvements inhabituels de populations qui ne présentent encore aucun caractère alarmant mais qui pourraient bien le devenir si on n’y prend garde». Ah bon.
Après le risque zéro, voici le temps de la prévention du rien. Encore que. Suivant la pensée de M. Fenech, de Bugarach, on arrive en quelques pages à Hitler, Mussolini, le 11 Septembre, les mêmes causes étant censées produire les mêmes effets.
Allo la Terre ? Que se passe-t-il à Bugarach ? Sigrid, la gérante de la Maison de la randonnée, est aux petits soins aujourd’hui comme hier pour les adeptes de méditation et les cohortes de randonneurs. Gilles, Jean-Pierre, Jens et Cyrille, les quatre paysans du village, s’échinent à exploiter les quelques hectares cultivables. Rémy se bat pour habiter la demeure en ruine héritée de ses parents, et désormais classée en zone forestière. Nathalie, la bergère, lutte pour pérenniser sa récente installation. Des gens ordinaires, de belles personnes. Des rancœurs tenaces, des amours perdues, des réconciliations inattendues. Rien d’autre qu’un village français ouvert sur le monde – par la force des choses. Mais cette vie-là intéresse-t-elle quelqu’un ? En dehors de la mobilisation gendarmesque et l’invasion des journalistes, il risque de ne pas se passer grand-chose à Bugarach le 21 décembre. Les journalistes pourront toujours se filmer et s’interviewer entre eux. Et, comme dit Nathalie la bergère, «les moutons seront bien gardés».
(1) Rémi Lainé a réalisé «Le monde s’arrête à Bugarach» (27.11 Production) diffusé le 21 décembre sur Arte. Nicolas d’Estienne d’Orves vient de publier «le Village de la fin du monde. Rendez-vous à Bugarach» (Grasset).