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La calligraphie latine est la mémoire de l’âme occidentale.

Elle demande maîtrise, virtuosité, rigueur et patience au même titre que ses sœurs antipodiques. Il n’y a pas de calligraphie extrême orientale ou même de calligraphie arabe sans la compréhension évidente que le dépôt traditionnel occidental et chrétien passe par la connaissance absolue des « formes latines ».

De cette connaissance grecque, étrusque et romaine découle la vérité des parchemins enluminés de tous les scriptoria de l’Europe médiévale. Du livre de Kells aux manuscrits anversois de Van den Velde…

Ce mois-ci, pour les Chroniques de Mars, Sophie Verbeek nous convie à la découverte de l’un de ces maîtres.

Les Chroniques de Mars – No 11, mars 2013.

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Roger Willems (1929-2013) – « Musicien du silence »

Un grand maître nous a quitté. Roger Willems est retourné danser avec les anges le 11 janvier 2013. Il est né à Etterbeek, en Belgique le 20 mars 1929. Il était graphiste et calligraphe. Marié à Yvette, il avait 5 enfants et 12 petits enfants.

Je l’ai rencontré en 1996. Venant de déménager en Belgique, je cherchais un maître qui pouvait me faire progresser dans mon travail de calligraphie. Il m’ouvrit sa porte avec sourire et timidité, se demandant quelle énergumène se cachait derrière l’immense classeur que je portais à bout de bras ! Après avoir éplucher des kilomètres d’exercices calligraphiques et de travaux en tout genre, il ferma mon classeur et me dit tout simplement qu’il fallait tout reprendre dès le début… Roger était un homme exigeant.

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Virulent, avec lui-même comme avec les autres, il avait une haute estime de la calligraphie latine et orientale. Avant toute chose, il fallait faire ses gammes et les faire bien. Seulement ensuite, pouvons nous oser envisager la calligraphie contemporaine. Nous nous donnions rendez-vous tous les mois chez lui, dans son magnifique atelier à Braine L’Alleud, où il m’encourageait à regarder mon travail, à le juger et à comprendre la danse des blancs sur la page, le rythme d’un jeu de lignes ou la subtilité qui se cachait derrière un mot. Cet échange devint de plus en plus riche et sous peu, une réelle amitié se développa.
J’aimais l’homme qui se cachait derrière le calligraphe. Il était d’une sensibilité extrême, fragile et timide à la fois, mais il n’en restait pas moins un humaniste et grand épicurien. Aimant la bonne chère, le bon vin et le chocolat belge, nous avons beaucoup ri ensemble !

En 1998, lors d’un passage à Paris je rencontre Laurent Rébéna. Sous peu la conversation se met à tourner autour de Roger, que Laurent avait rencontré lors d’un stage en Normandie en 1995 avec Jovica Veljovic. Laurent est également un admirateur et ami très proche de Roger.
Puis en 1999, Laurent a l’excellente idée de réunir quelques calligraphes français et européens afin que l’on travaille ensemble sur des thèmes sur le graphisme, dans la joie et la bonne humeur. Les Doigts Noirs étaient nés. Ils comprenaient :

Laurent Rébéna, Roger Willems, Jigmé douche, Piero De Macchi, Massimo Pollelo, David Lozach, Bruno Gigarel, Marion Andrews, Chen Li, Bruno Riboulot, Bernard Faguet et moi-même.

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Nous nous rencontrons pendant une semaine tous les ans à Propières, avec une envie d’échange, de partage et de travail, tout en nous laissant des moments de détente et de liberté. Roger nous racontait ses exploits de vacances quand il était un jeune homme et nous éblouissait de sa maîtrise au pinceau chinois. C’était un homme taquin, heureux de vivre et aimant la Vie. Il était également un grand marcheur et souvent, nous allions nous promener ensemble avec Laurent.

La maladie l’a atteint il y a trois ans et il s’est éteint doucement, à l’image de l’homme exquis qu’il était. Roger, nous ne t’oublierons pas.


Sophie Verbeek © – pour les Chroniques de Mars, juin 2013.

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Quelques mots de Roger Willems…

Quelques mots de Roger Willems sur son travail, à l’occasion du premier festival de calligraphie contemporaine à Nogent sur Marne en 2006.

« J’ai le privilège, étant retraité, de n’avoir plus d’impératifs de commandes par rapport à la calligraphie. C’est donc en toute liberté que je peux m’y consacrer, en me préoccupant essentiellement d’exprimer ma personnalité, ce qui est peut-être un des meilleurs moyens pour faire connaître le métier de calligraphe comme un métier artistique à part entière. Graphiste de profession, je m’intéressais particulièrement à la lettre typographique. Or, pour dessiner des lettres, les déformer, en faire des logos ou des sigles, il est intéressant d’avoir pratiqué l’art de la calligraphie, qui vous apprend par quel processus les lettres sont formées, selon quel ductus elles sont tracées, ainsi que leur évolution au cours du temps. Dans les écoles de beaux-arts, à l’époque où j’ai fait mes études en Belgique, on ne formait qu’à la peinture, ce qui ne me passionnait pas trop. Je m’intéressais plutôt au dessin et à la composition qui me semblaient plus importants. Maintenant, que j’ai trouvé mon support d’expression, il ne m’intéresse plus de savoir si c’est réellement la calligraphie ou plutôt la peinture. Dernièrement à l’une de mes expositions, j’ai rencontré le calligraphe allemand Werner Schneider, lequel a réagi immédiatement. Il constatait que les calligraphes en Allemagne restent très « classiques ». Tout ce qu’il voyait dans mes travaux était pour lui de la calligraphie. Il insistait disant que ce qui était primordial, c’était de tendre vers un ensemble harmonieux, plus que vers une lisibilité conventionnelle.

999-16.jpg J’ai découvert la calligraphie pour la première fois en 1981, année pendant laquelle j’ai fait de la calligraphie chinoise, par curiosité et par volonté de découvrir autre chose. La tenue du pinceau m’a tellement séduit que je faisais du dessin de personnages en tenant mon pinceau comme les Chinois. Je n’ai abordé la calligraphie occidentale qu’en 1983. Je n’ai jamais suivi de cours mais j’ai eu la chance de participer à des stages organisés par de grands calligraphes : Michel Derre, Claude Médiavilla, Jovica Veljovic – que je considère comme un très grand – Gottfried Pott, Thomas Ingmire, Karlgeorg Hoefer, Albert Small, etc.

Grâce à eux j’ai compris que calligraphier c’est retrouver l’esprit de la lettre, du geste pour la tracer, c’est jouer avec l’espace et le temps, les formes et les rythmes, l’ombre et la lumière. Après avoir essayé différents outils, propre à la calligraphie, j’ai choisi de privilégier presque exclusivement le pinceau chinois que je manie, non pas à la verticale comme le font les chinois ou les Japonais, mais incliné, comme en Occident. Cela me permet de soigner la trace, jeu sans fin qui donne mille visages à la même lettre, créant ainsi son propre langage abstrait, mettant en mouvement le blanc fascinant du papier.
Je n’aime pas les outils plats ; plume, pinceau ou calame. Le pinceau chinois se prête à tout, instrument docile et complexe qui me mène au bout de moi-même. Je peux le mouvoir à mon gré dans toutes les directions, le faire danser sur la feuille, se tordre, s ‘envoler, s’aplatir, tracer un fil d’encre ténu, fragile, pour s’épanouir ensuite en courbes grasses et généreuses, monter, descendre, virevolter avec légèreté.

Au début, je notais dans un carnet spécial les textes qui m’inspiraient. Je les consultais très souvent, surtout certains d’entre eux, parce qu’ils définissaient assez bien ce que je ressentais. Je vous les livre en vrac : « Ecrire peu de mots dans un grand silence » Etty Hilsum (les mots doivent accentuer le silence). Un autre exemple de Chilida : « Le dialogue entre les formes, quelles qu’elles soient, est plus important, de beaucoup, que ces formes mêmes. » Baudelaire m’a séduit par cette phrase : « La poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde. » et enfin ces mots de Guy Cadou : « J’écoute, c’est bien moi. »

La sélection que chacun fait de ses textes marque sa personnalité. Pour ma part, je ne les ai jamais calligraphiés, sauf celui de Paul Eluard : « Donne à la raison des ailes vagabondes. » Une première fois, j’ai écrit entièrement la phrase (pour moi c’était lisible). Finalement, je me suis contenté du seul « vagabondes », et c’est fou ce que ce mot peut donner de possibilité. Calligraphier, c’est donner une personnalité, une âme à la lettre, à travers un geste sans cesse renouvelé, varié à l’infini. Cent mille fois tracé, un même mot prendra cent mille formes différentes, envoutant, hypnotique.

1000.jpg Un autre truc que j’ai appliqué, c’est d’avoir deux classeurs. Dans un je range toute la série de modèles classiques et dans l’autre, je mets les calligraphies contemporaines qui me plaisent plus particulièrement. En feuilletant ce dernier classeur, encore et encore, chacun peut voir inconsciemment où il met la barre. Une bonne calligraphie est une calligraphie qui impose son espace, en dépit du format et quel que soit le médium utilisé.
Pour un nouveau défi et une exploration plus approfondie, depuis un ou deux ans, je me suis appuyé sur une langue et des caractères que je ne connaissais pas, ce qui m’a donné la possibilité et la liberté de pouvoir choisir, au hasard, les lettres ou les parties de lettres qui allaient servir à ma composition, sans souci du sens.

Aujourd’hui, bien que toutes ces formes procèdent de la lettre, j’aime bien qu’on ne les reconnaisse pas et cela me conduit jusqu’à faire des simulacres de taches ou bien encore à enchevêtrer les lettres au seul bénéfice de la composition et de l’équilibre. Il n’y a que le pinceau chinois qui me permette cette liberté dont je n’ai pas encore exploré et découvert toutes les facettes.
Par habitude et bien que cela ne soit pas un parti pris que je respecte systématiquement, je préfère installer les bases de ma composition avant de me préoccuper du fond. De cette manière, grâce aux propriétés couvrantes de la peinture acrylique, je peux privilégier certains traits qui sont très forts, les mettre en valeur et ainsi noyer les parties moins importantes dans le fond. Elles n’apparaissent plus alors qu’en filigrane, donnant texture et matière à l’ensemble.

« Musicien du silence » pour reprendre ces mots de Mallarmé qui me paraissent être la définition même du calligraphe. J’ai le bonheur immense de disposer d’un très grand atelier. J’y suis presque tous les jours parce que j’ai besoin de travailler beaucoup pour que la composition vienne spontanément. À chacun son rythme ! Mais l’important, comme le dit Oscar Wilde, « c’est d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit ».

Roger Willems

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