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Au cœur même de Lyon il existe un lieu merveilleux et totalement hors du temps, c’est le Palais Saint-Pierre, qui abrite le Musée des Beaux-Arts de la ville. Le bâtiment occupe tout un côté de la Place des Terreaux, où s’élève également l’Hôtel de Ville, non loin de l’Opéra. La place doit son nom aux terres rapportées destinées à combler le lit du Rhône tout proche, afin d’en modifier le cours et de déplacer plus au sud le confluent avec la Saône, qui à l’époque romaine était à deux pas d’ici. L’île des Canabæ s’est ainsi trouvée rattachée au quartier de Condate, pour former la longue presqu’île sur laquelle s’est par la suite développée la ville, lors de son expansion. Les Terreaux sont aujourd’hui au centre de la ville commerçante, besogneuse et industrieuse, au pied de la colline de la Croix-Rousse. Ce quartier animé est aussi fréquenté pour ses « bouchons », petits restaurants où l’on célèbre la gastronomie lyonnaise. Quant à la place, elle forme un lieu de rencontres et d’échanges, attirant des bandes bruyantes de lycéens ou d’étudiants, venant en été se rafraîchir dans la fontaine monumentale sculptée par Bartholdi, le créateur de la statue de la Liberté à New York.

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Carte postale ancienne : la Place des Terreaux avec sa fontaine et le Palais Saint-Pierre.

Mais lorsque l’on pénètre sous le porche principal de ce grand bâtiment occupé par le musée, on se retrouve brutalement plongé dans une oasis de calme et de verdure : les jardins du Palais Saint-Pierre, ancien cloître toujours entouré de sa galerie d’arcades, accessible librement et gratuitement. C’est un lieu propice à la méditation, où le temps semble s’être arrêté, figé autour des quelques statues qui le décorent, œuvres de Rodin ou de Bourdelle. Visite guidée.

UNE ABBAYE OÙ RÈGNE LA LUXURE

Le quartier est donc né sur cette presqu’île créée artificiellement. Il s’est développé le long des premiers remparts, à l’extérieur de la ville, avant qu’une seconde ligne de fortifications ne vienne ceindre la cité, plus au nord. C’est là que l’on pratiquait les exécutions capitales. Aussi les Terreaux souffraient-ils d’une assez mauvaise renommée. Mais celle-ci fut bientôt dépassée par la réputation de débauche attachée à l’abbaye Saint-Pierre les Nonnains, construite ici au VIe siècle par Aldebert, gouverneur de la ville, reconstruite une première fois sous Charlemagne, et remaniée au XIIe siècle. Très rapidement la maison destinée aux religieuses bénédictines avait fait l’objet de soins attentifs de la part des puissants seigneurs des environs. Les siècles passant, elle était devenue très riche. Les comtes de Savoie, dont les terres s’étendaient alors jusqu’aux rives opposées du Rhône tout proche, lui avaient fait de nombreuses donations. L’abbaye posséda jusqu’à quinze prieurés, avec leurs domaines agricoles, des maisons, des commerces et même des tavernes. Dans le grand bâtiment accolé à l’église abbatiale, vivaient trente-trois religieuses, issues des familles les plus nobles du Lyonnais, du Forez, de Savoie, du Dauphiné ou d’Auvergne. Mais aussi plusieurs dizaines de jeunes filles, d’aussi haut lignage, venues ici recevoir une éducation particulièrement prisée.

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L’entrée des jardins du Palais Saint-Pierre, une plongée hors du temps…

Tant de richesses allaient sans doute à l’encontre des vœux de pauvreté que les Bénédictines devaient prononcer. Ce coup de canif dans le contrat s’accompagna bientôt d’autres relâchements dans la règle, et les vœux de chasteté eux-mêmes furent allègrement bafoués. Au XVIe siècle, les religieuses menaient une vie de débauche, facilitée par le fait que l’abbaye, depuis toujours, échappait à l’autorité de l’archevêque pour se placer sous la seule autorité du pape… Lequel, évidemment, avait sans doute d’autres chats à fouetter que de venir remettre de l’ordre à Saint-Pierre les Nonnains. L’abbaye devint « un asile de rêve », on y papotait comme dans les meilleurs salons, et les conversations tournaient autour des sujets futiles comme les arts, la beauté, le luxe… et l’amour bien sûr ! Les religieuses organisaient des fêtes, des banquets où le vin coulait à flots, et même des parties fines où des hommes étaient invités. Parmi les nonnes les plus dépravées étaient Françoise d’Albon, issue de la prestigieuse famille qui avait donné naissance aux Dauphins du Viennois et aux comtes de Forez, et la belle Alice de Theizé, sans doute la plus débauchée d’entre toutes, qui accordait ses faveurs aussi bien aux hommes qu’aux femmes, et même dit-on aux deux à la fois.

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Perspective sur le cloître de l’abbaye Saint-Pierre les Nonnains (état actuel).

En 1503 Monseigneur d’Amboise, archevêque de Lyon, outré par cette situation pour laquelle il ne pouvait rien faire par lui-même, décida d’alerter le roi Louis XII et son épouse Anne de Bretagne, en visite dans la ville. Les Lyonnais avaient une affection particulière pour le couple royal, à tel point que plusieurs maisons sont encore aujourd’hui ornées des blasons des époux. Ils appuyèrent la demande de leur archevêque. Émue et très pieuse, la reine Anne envoya un évêque en tant qu’émissaire visiter Saint-Pierre les Nonnains. Il y constata qu’une poignée seulement de religieuses suivait encore une vie monastique à-peu-près normale. Horrifié, il vit que des portes avaient été percées pour faciliter l’entrée discrète des hommes désireux de rejoindre les nonnes dans leurs couches. Le scandale ne pouvait qu’éclater. La reine tenta de raisonner les Bénédictines de Lyon, les menaça même d’excommunication, mais en vain. Pendant plus de dix ans encore leur vie dissolue continua.

55-15.jpg En 1516 c’est un nouveau couple royal qui vint visiter Lyon : François Ier et son épouse Claude. La reine tenta elle aussi de ramener les nonnes à la raison, mais celles-ci préférèrent quitter l’abbaye plutôt que de renoncer à leur vie frivole. La grande maison se retrouva par le fait presque vide, seulement habitée par deux religieuses et une dizaine de novices, qui tentèrent de rétablir un peu de sainteté dans cette demeure souillée par le souvenir des nonnes débauchées. La reine Claude établit alors à Saint-Pierre les Nonnains une douzaine de religieuses de l’abbaye Saint-Laurent de Bourges. Elles choisirent une nouvelle abbesse en la personne d’Antoinette d’Armagnac. La nouvelle communauté se vit confirmée par une bulle du pape Léon X en juin 1516. Petit à petit, plusieurs anciennes religieuses, repentantes, revinrent à Saint-Pierre reprendre une vie monastique normale, et bientôt l’abbaye acquit une nouvelle réputation, mais de piété cette fois-ci.

Cependant, des faits curieux et étranges vinrent troubler la sérénité retrouvée de l’abbaye Saint-Pierre les Nonnains. Des bruits incongrus se manifestèrent, des objets se déplaçaient tout seuls, et un horrifiant chien noir aux yeux verts apparut à plusieurs reprises, semant la panique parmi les novices qui en tombèrent malades. Le Diable, assurément, venu tourmenter les anciennes pécheresses repenties. Et puis surtout on vit apparaître le fantôme de la belle Alice de Theizé, morte quelque temps plus tôt dans d’horribles souffrances, après qu’elle eût quitté l’abbaye avec son amant Albert, un chevalier au service de François Ier. L’esprit d’Alice venait principalement se manifester auprès d’Antoinette de Grôlée, une blondinette de 18 printemps, qui dit-on avait été sa maîtresse. À tel point que la jeune fille finit par en être complètement possédée.

Seul un exorcisme paraissait pouvoir ramener l’abbaye à…

(à suivre….)


Patrick BERLIERLes Chroniques de Mars No 14 – mars 2014.

PHOTOS Patrick BERLIER ©

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