C’est un ami que vent emporte
Il est parfois des textes difficiles à rédiger.
L’amitié commune, les moments sacrés partagés ensemble autour d’un repas fraternel, les souvenirs passés, la reconnaissance des choses données ou transmises, obligent cependant la main de l’homme à prendre la plume. Selon la funeste formule consacrée, Didier Hericart de Thury est décédé d’une longue maladie ce jour, 30 mai 2015, à Toulouse.
Résidant ces dernières années à Carcassonne dans un appartement somptueux, où l’on pouvait voir trôner dans le magnifique salon d’accueil une reproduction des « Bergers d’Arcadie » de Poussin et une incroyable reproduction d’un certain tableau de Teniers… Deux tableaux sublimes que Didier avait commandés à prix d’or à un peintre très talentueux de la capitale, peintures que Didier possédait depuis des années, depuis qu’il avait entrepris ses recherches sur le mystère audois.
Ce sont ces mêmes recherches inédites qui allaient amener notre ami Didier Hericart de Thury, son éternelle casquette vissée sur sa tête, jusqu’à nous…
Une famille de race au service de la nation
Suite à divers héritages, Didier était rentier depuis des années, il avait un cousin éloigné dont il venait de faire son légataire universel. Didier Héricart de Thury était vicomte, le dernier du nom d’une des plus anciennes familles nobles françaises qui compte en son sein nombre d’hommes et de femmes illustres. De par sa mère, il descendait du fabuliste Jean de La Fontaine et de par son père du dramaturge Jean Racine, celui-là même qui fit ses études à Port Royal des Champs, et qui en fut le premier historien… Une des aïeules de Didier fut d’ailleurs une des dernières abbesses de port Royal.
D’une certaine manière, on voit parfaitement comment la famille de Didier fut historiquement proche de l’affaire de Rennes, de celle qui l’enthousiasmait au plus haut point. Et plus encore lorsque l’on sait qu’un ancêtre en ligne directe de Didier, un certain Jacques Jannart, fut l’homme de l’ombre de Nicolas Fouquet… Emprisonné avec Fouquet en septembre 1661, Jannart fut ensuite relâché et devint l’intendant de l’épouse de Nicolas Fouquet qu’il suivit en exil. C’est lui qui négocia en secret, avec Louis XIV, la « restitution » du domaine de Vaux le Vicomte à la famille Fouquet. Jannart et La Fontaine avaient épousé tous les deux une certaine Marie Héricart (la nièce et la tante portaient toutes deux le même nom et prénom). C’est Jannart qui présenta La Fontaine à Nicolas Fouquet en 1658.
Didier eut également des aïeux militaires, diplomates et ecclésiastiques qui côtoyèrent de très près les allées du pouvoir. Un de ses arrières grands-oncles, ecclésiastique de haut rang, fut très proche du pape d’alors et est inhumé dans l’église Saint-Louis-des-Français, à Rome. Un de ses aïeux plus récents, Louis-Étienne Héricart-Ferrand, vicomte de Thury (1776-1854) fut un homme politique et un homme de science français à qui on doit la restauration des catacombes de Paris. Les illustres Hericart de Thury laissèrent de grandes et de petites choses à la Nation, il y a en France pas mal de rues et de places au nom d’« Héricart de Thury », comme à Bordeaux, par exemple – une variété de fraises ainsi qu’une variété de roses portent également le nom d’« Hericart de Thury ».
Les amis de recherche : Henri Buthion et Franck Daffos
Son appartement ancien, à Carcassonne, était situé quasiment en face de la légendaire imprimerie Pomiès – celle qui avait, en 1886, vu naître « La Vraie Langue Celtique » de l’abbé Boudet. Comme quoi, parfois, le destin attentif aux choses du passé vous rapproche volontairement et physiquement de vos légendaires passions…
A la suite de cette maladie déclarée, Didier Hericart de Thury avait décidé, en 2012, de quitter Carcassonne et de se rapprocher de son ami Franck Daffos pour aller vivre dans la ville rose, à Toulouse, dans un hôtel particulier place du Capitole. Très malade depuis une décennie la camarde impatiente a donc eu raison de lui, à l’âge de 68 ans, avant même qu’il ait eu la possibilité de voir pleinement ses aspirations dernières totalement concrétisées au grand jour. Mais notre ami Didier part en toute quiétude, en toute tranquillité, il avait conscience d’avoir achevé sa quête. Ses travaux de recherches sur le mystère qui l’avait porté à bout de bras depuis si longtemps étaient maintenant terminés.
Parmi les chercheurs historiques ayant consacré leur vie à Rennes-le-Château, après Jean Pellet décédé en 2012, c’est un grand ancien qui nous quitte aujourd’hui, un de ceux dont la mémoire ne faisait pas défaut et qui savait raconter patiemment, avec enthousiasme et prévenance, ses aventures castel-rennaises depuis son arrivée sur place, en 1968, avec une verve caustique aussi qui le rendait attachant.
Didier Hericart de Thury avait croisé en son temps, pour les figures historiques : Pierre Plantard, René Descadeillas, Noël Corbu, mais c’est surtout avec Henri Buthion propriétaire du domaine de l’abbé Saunière qu’il s’était lié d’amitié et avec qui il avait cheminé au long de sa vie, tout au long de ses recherches. Il avait même été visité celui-ci quelques mois seulement avant sa mort, à Lorient, en Bretagne, pour parachever un chemin de labeur depuis longtemps ouvert en commun. Fin connaisseur de l’affaire de Rennes, Didier Hericart de Thury était un collectionneur passionné et acharné, il possédait une collection sans égal de documents historiques anciens liés à l’Aude et à Rennes-le-Château, des cartes postales anciennes de l’abbé Saunière, la fameuse série des 33, des articles de presse introuvables des années 1960-1970, des photographies personnelles, témoignages d’une réalité archivistique qui le poursuivait sans cesse et dans laquelle il aimait se replonger parfois avec nostalgie.
La quête du Graal
En évoquant Didier Hericart de Thury j’ai d’abord le souvenir d’un ami, d’un homme intelligent et très généreux, ayant une culture hors du commun dans les recherches qu’il menait, notamment sur les trois axes principaux qui étaient devenus ses chasses gardées.
Spécialiste des chemins de croix de Giscard – identiques à celui de Rennes-le-Château – il avait au cours de sa vie arpenté toutes les routes départementales de France et de Navarre durant près d’un demi-siècle pour en répertorier, au fin fond des campagnes, une carte de France unique en son genre, constituée de chapelles perdues et de chemins de croix oubliés. De la même manière Didier avait collecté la totalité des reproductions des « Tentation de Saint Antoine » de Teniers le Jeune, près de soixante versions différentes, avec constance et abnégation durant plusieurs années – à une époque où Internet n’existait pas, faut-il le souligner – pour finalement retrouver celui que tout le monde cherchait… La « Tentation de Saint Antoine » du musée du Prado ! Il avait retrouvé ce tableau, ce serpent de mer, qui était en quelque sorte « son graal »…
L’aboutissement ultime de cette quête quasi mystique fut pour Didier Hericart de Thury, il y a seulement deux ans, le moment faste de cette après-midi ensoleillée, à l’automne 2013, ou en compagnie d’un expert du Musée du Louvre et des conservateurs du Musée du Prado, il put converser légitimement avec eux, sur place, au Musée du Prado, et contempler en compagnie de Franck Daffos, le chef d’œuvre du peintre anversois qu’il avait enfin mis au grand jour. Dernier centre d’intérêt majeur pour Didier, était le décodage de « La Vraie langue celtique » de l’abbé Boudet ; ce sont des notes et des cahiers entiers que j’ai vu chez lui, noircis à la plume et au stylo, au fil du temps et des années, pour cerner au plus près la pensée du vieil abbé de Rennes-les-Bains.
Petit à petit, le travail de recherche de Didier Hericart de Thury avait finalement pris corps, au fil du temps, et sous l’impulsion émérite et amicale de Franck Daffos, un petit opuscule était né, livre que les deux amis avaient intitulé en commun « L’Or de Rennes », en hommage à Gérard de Sède. Le livre avait, lors de sa sortie en juillet 2011, « défrayé la chronique » comme l’on dit, et avait même eu l’honneur d’une présentation rapide au journal de 20 heures, de TF1, dans les conditions que l’on sait. A la sortie du livre, les turbulences inconséquentes qui en avaient résulté, la remise en cause de ce remarquable travail inédit, les jugements à l’emporte-pièce, des uns et des autres, l’avaient alors énormément affecté alors qu’il traversait justement cette terrible épreuve de la vie.
Un testament philosophique
Alors que Didier Hericart de Thury s’en va aujourd’hui, dans le repos de son âme, rejoindre les Champs-Élysées des chercheurs de mystères, des chercheurs de trésors, je voudrais signaler à nos lecteurs un dernier aperçu qui a pour moi son importance. Didier faisait partie d’une race à part de découvreurs d’arcanes solaires. L’homme faisait en effet assurément partie d’une catégorie bien singulière et très peu partagée. Si Didier Hericart de Thury était, ô combien, un homme d’archives, un collectionneur hors pair, on se souvient de la découverte de son fameux « Catalogue Giscard », par exemple, il était aussi un homme d’action, un homme de terrain magistral qui a arpenté durant des années les sommets des collines audoises. Les sentes embaumées de genêts des taillis de Sougraigne, les failles rocheuses dans les environs de l’aven Paris, comme les chemins peu balisés du Cardou, n’avaient plus de secrets pour lui. Ce que je veux dire par là, c’est que l’on ne connaît bien « le Mystère » que lorsque l’on appréhende l’Histoire par la Géographie.
Ce n’est pas une photographie de vous devant la tour Magdala qui vous consacrera, chercheur, auteur ou mystagogue. Il faut savoir quitter son fauteuil d’ordinateur, sa salle d’archives, ses rayonnages de dossiers, pour traverser – physiquement – les espaces géographiques, proches ou lointains, pour se retrouver en présence de sites oubliés, de tombes anciennes à honorer, de châteaux ruinés envahis sous les ronces acérées…
Il faut savoir quitter les livres dorés des bibliothèques anciennes pour, cheminant dans la boue, découvrir au sommet de la montagne pelée, une croix ouvragée, un arbre séculaire, une clef de voûte au symbole blasonnant, autant de signes du Destin qui sauront remettre sur la voie le chercheur aguerri. Le « hasard heureux » fait entièrement partie de la recherche. Il faut savoir encore retrouver les monuments anciens qui façonnent durablement l’Histoire des hommes.
Didier Hericart de Thury était de cette race là.
Thierry Emmanuel Garnier pour les Chroniques de Mars © – mai 2015.
Documents et archives photographiques © T. E. Garnier & Arqa éditions.