Encore un article de Michel Granger, et pas des moindres, pour nous parler d’un cas des plus étranges, et resté irrésolu. Je vous avais déjà parlé de bestioles à une patte (celle-ci et une autre) dans « La bête des cabinets », article inspiré (et inspirant !) par ce bon Javier Resines, cryptozoologue espagnol, et l’article de son blog, « El bicho de Sabadell ». Et en ce qui concerne les une-patte, voici un classique du genre. Si vous n’en avez jamais entendu parler, suivez donc l’auteur dans les environs d’Exeter, Devonshire, Grande-Bretagne, il y a plus d’un siècle.
Le mystère vous y attend… Si ce n’est le Diable…
Michel MOUTET
// Douze nouveaux texte de fiction depuis le 18 juin 2014 sur le site de Michel Granger.
DES FAITS TROUBLANTS
Au cours de la nuit du 7 au 8 février 1855, il neigea beaucoup dans cette région du sud de l’Angleterre. Les premiers flocons tourbillonnèrent vers 20 heures et il en tomba presque sans discontinuer jusqu’à minuit, heure à laquelle le comté de Devon (1) était recouvert d’une épaisse couche blanche. Dans la belle saison, la vie nocturne n’y était déjà pas particulièrement animée ; alors, pensez, par un temps pareil ! Si bien que l’étrange visiteur qui passa par là cette fameuse nuit ne rencontra naturellement personne.
Dans la petite ville de Topsham, dans le sud du comté, c’est le boulanger, Henry Pilk, qui mit le nez dehors le premier le lendemain. Il n’était pas très tôt d’ailleurs : autour de 6 heures. La cour et la rue étaient d’une blancheur immaculée… Enfin, presque. Parce que l’homme remarqua dans la neige une série d’empreintes… des empreintes comme il n’en avait encore jamais vu…
Le Times de Londres du 16 février les décrivit en ces termes : « Il s’agissait plutôt de traces d’un bipède et non d’un animal à quatre pattes et les pas étaient alignés en pointillés de 20 cm en 20 cm. Les empreintes ressemblaient à celles d’un sabot de poney et mesuraient environ 10 cm de long et 7 de large. ».
Mais ce qui surprit surtout le boulanger et le petit groupe de curieux matinaux et peu frileux venu se joindre à lui, c’est que les traces se plaçaient exactement sur la même ligne, l’une devant (ou derrière) l’autre et, en plus, elles allaient tout droit, s’arrêtant au pied des murs mais continuant de l’autre côté comme si aucun obstacle ne s’était trouvé sur leur chemin (relevons le cas d’un mur de 4 m de haut au faîte duquel la couche de neige n’avait pas été touchée suggérant que la créature avait sauté largement par-dessus, ou était passée à travers !). Aucun zigzag, aucun détour. La créature – si c’en était une – semblait avoir escaladé les parois plutôt que de les avoir contournées. Et cela continuait, continuait… toujours plus loin.
Un témoin du phénomène écrivit dans l’Illustrated London News du 24 février : « Ces traces régulières passaient dans certains cas sur le toit des maisons, au-dessus d’une meule de foin intacte, de chaque côté d’un mur de 5 mètres de haut, sans que la distance entre deux pas ne s’en trouve affectée et comme si l’obstacle n’avait pas existé. ». Elles continuaient aussi sous les branchages des arbustes, sous les palissades, comme si de rien n’était.
En fait, ce même jour, on relata un phénomène similaire dans les villes de Torquay, Newton, Exmouth, Teignmouth [Ndlr : Teignmouth, dont on reparlera un jour], Luscombe, Dawlish, Powerham, traversant imperturbablement les cimetières, les plages isolées, les forêts, les rues et les places de marché, et même les rivières. C’est ainsi que les empreintes s’arrêtaient net au bord de l’estuaire de l’Exe River et repartaient de l’autre rive exactement en face à 3 km de distance. De plus, contrairement à certaines allégations, l’eau n’était pas gelée.
Certaines traces s’approchaient des portes de plusieurs maisons et s’en retournaient…
On put évaluer que ces étranges empreintes s’étendaient sur plus de 150 kilomètres. Il y en avait donc près d’un million !
LES TENTATIVES D’EXPLICATION
Les empreintes en U créèrent grand émoi dans la petite communauté locale. Le premier essai de rationalisation vint du Révérend Musgrave, de Momhead, qui faisant allusion dans son sermon au « mystérieux visiteur » suggéra qu’il n’était peut-être rien d’autre qu’un kangourou. Mais les pauvres connaissances de l’ecclésiastique en matière de zoologie marsupiale lui valurent un cinglant démenti. En effet, on n’a jamais vu un kangourou sauter en mettant un pied devant l’autre ; et même s’il avait progressé de côté, les traces n’auraient pu correspondre à celles relevées dans la neige fraîche.
Les plus grands naturalistes britanniques du temps se penchèrent sur cette affaire. Richard Owen (1804-1892), par exemple, lança la thèse du blaireau tiré de son hibernation par la faim et le froid ! Thomas Fox supporta l’idée que les empreintes étaient en fait constituées par les traces conjuguées des quatre pattes d’un rat sauteur. On parla d’un cheval boiteux en vadrouille, de loutres, d’une oie unijambiste…
De savants calculs furent effectués pour démontrer qu’il était impossible que cette série de creux dans la neige fût l’œuvre d’un seul animal. En effet, compte tenu de leur nombre élevé et du temps imparti limité, il fallait croire que dix pas avaient été franchis par seconde, soit une vitesse de progression incompatible avec les animaux mis en cause.
On évoqua aussi une possibilité ornithologique en accusant, mais sans grande conviction, « quelque grand échassier » frigorifié par la rigueur du climat et à la recherche de nourriture.
Il en fut de même pour l’idée d’un crochet d’amarrage traînant au bout d’une corde elle-même raccrochée à un ballon dirigeable ayant échappé à tout contrôle. Mais là, c’était l’imagination qui faussait compagnie à la raison.
On parla également d’un ballon météorologique errant !
Et pourtant, ces traces énigmatiques, que des centaines de personnes avaient vues et qui ne reparurent jamais (2), il fallait bien les expliquer. Après avoir invoqué « un mauvais présage » ou « l’irréfutable présence d’un Grand Ennemi visible par tous ceux qui ont des yeux pour voir » (sic), on opta pour Satan lui-même que l’imagination populaire aimait à camper sous l’aspect d’une créature mi-bouc mi-homme. A l’instigation d’un ecclésiastique local, les traces du Devon devinrent celles des sabots fourchus postérieurs du démon et il est symptomatique de noter qu’aujourd’hui encore, elles sont prises comme référence pour prétendre que le Diable marche encore parmi nous. L’Américain Ed Warren, en avril 1986, n’hésitait pas à déclarer même : « Ces empreintes de sabots ont la forme de celles laissées par une chèvre ou un mouton dressé sur ses pattes de derrière. Ce ne sont pas celles d’un animal connu ou d’un homme, ce sont celles du Malin » ! Et d’ajouter que le phénomène date de plus de cent ans mais qu’il y a de nombreux autres cas plus récents ailleurs… Plus récents et plus anciens.
AUTRES TRACES MYSTÉRIEUSES
Je ne vais certes pas vous administrer ici la longue liste des endroits de la planète où des traces jugées inexplicables ont été observées sur le sol. Ils sont légion et un gros livre n’y suffirait pas. Aussi me borné-je à quelques exemples cités en rapport avec les empreintes du Diable du Devon.
On a retrouvé sur le registre tenu par le capitaine Sir James Ross, lors de ses explorations de l’Antarctique que, 15 ans plus tôt, soit en mai 1840, sur l’île inhospitalière de Kerguelen qu’il ne croyait habitée que par des phoques, « de singulières empreintes appartenant soit à un âne ou à un poney » apparurent sur une longue distance. La même année, le Times du 14 mars signalait que, pour la deuxième année consécutive, « des traces semblables à celle de poulains mais de taille considérable » avaient été découvertes sur une vingtaine de kilomètres près du lac Rannoch, en Écosse.
Mais il semble aussi qu’en d’autres circonstances, dans le Devonshire même, le Diable refit une petite balade. En octobre 1950, un certain M. Wilson rapporta avoir visité une crique déserte de la côte ouest à la recherche de souvenirs d’enfance lorsqu’il remarqua, sur le sable découvert récemment par les eaux, quelque chose qui le glaça d’effroi. « Partant du bout de la plage et juste au pied de la falaise, il y avait une série de traces disposées en ligne, apparemment des empreintes de sabots de quelque bipède, fortement enfoncées dans le sable humide et découpées aussi nettement qu’au moyen d’un instrument tranchant. ». Ces marques étaient plus grandes que celles du Devon et aussi plus profondes, comme si le Diable avait pris du poids en près d’un siècle…
Mais les puissances infernales ont plutôt cédé la place de nos jours à des concepts plus à la mode. C’est ainsi que les partisans des « Anciens Astronautes » qui admettent des interventions sporadiques d’entités extérieures à la Terre dans l’histoire de l’Homme ont récupéré ces mystérieuses empreintes non identifiées pour en faire d’éventuelles marques « d’automates de prospection envoyés chez nous par des extra-terrestres.».
Les, Soviétiques n’ont-ils pas procédé d’une manière analogue pour explorer le sol lunaire ? Ces traqueurs d’énigmes qui n’ont de cesse de chercher des « preuves » à l’appui de leur fameuse théorie auraient détecté des traces similaires sur le mont Fuji au Japon, dans la vallée de Pisco au Pérou et en Pologne.
Quoi qu’il en soit, comme lu en 1982, les traces du Diable du Devon demeurent un des plus déconcertants mystères donnés à élucider aux scientifiques. Sauront-ils un jour y apporter une réponse satisfaisante ? Pourquoi pas ? Même si le problème ne semble pas les préoccuper outre mesure. N’ont-ils pas mis plus d’un demi-siècle pour trouver que les traces de pas humains maintes fois signalées au fond des mers, étaient des alvéoles laissées par une espèce particulière de poissons fouisseurs…
© Michel Granger / Michel Moutet, 2015, pour les Chroniques de Mars, numéro 16.
NOTES //
1 – Images tirées du chapitre 1 (« The Devil’s Hoof-Marks ») du livre de Rupert T. Gould, Oddities, A Book of Unexplained Facts, University Books, New York, 1965.
2 – Elles seraient réapparues… le 5 mars 2009 ! Ce matin-là, les résidents de Woolsery, dans le Nord du comté du Devon, trouvèrent à leur réveil, dans la neige et les zones boueuses, des marques de sabots imprimées tout autour de leur village. Le biologiste Graham Inglis, qui enquêta sur ces traces, avoua n’avoir aucune explication pour ce qu’il voyait pour la première fois. Les journaux locaux discernèrent des similarités avec les traces de 1855 : en ligne droite et, surtout, aucune empreinte autour qui aurait pu faire penser à un canular. A la suggestion que le responsable soit quelqu’un « sur des échasses » tel qu’avancé par un certain Centre pour la Zoologie Fortéenne (3), Beth Robbins, éditrice de la publication trimestrielle The Gate, souligne, après d’autres, la dangerosité de ce mode de déplacement sur la neige et le sol gelé.
3 – Le Center for Fortean Zoology de Jonathan Downes, de tendance paraît-il assez sceptique, a justement son siège à Woolsery.