Cryptozoologie, ou non, faits maudits, ou pas, nous avons ces dernières années parlé de toutes sortes d’animaux supposés, ici, là, là aussi, ou encore là,
dont la peu commune (?) bête du Haut-Var
celle, très extraordinaire, du Devonshire et la peu narrable bête des cabinets. Peu de rapport avec les fantômes me direz-vous. Ben oui, et non.
Selfie de singe
Je passerais aujourd’hui sur ce merveilleux vocable qui nous vient d’ailleurs… L’année 2015 nous a offert une belle bataille à caractère juridique entre un photographe anglais dénommé David J. Slater (dont les travaux sont représentés par la Caters News Agency) et Wikipédia (oh, que je n’aime pas !).
Cet homme, qui faisait un reportage animalier dans je ne sais plus quelle forêt lointaine, dit s’être fait voler son appareil photo par plusieurs singes qui auraient « mitraillé » à tout va, faisant un tas d’images « bougées » (sans frapper n’importe quoi n’importe comment à en endommager irrémédiablement l’appareil ?), jusqu’à ce que l’un deux réalise plusieurs autoportraits. Avec des réglages et une mise au point aussi précis ?
S’il voulait acquérir une notoriété, il a réussi puisque ses images ont été reprises des milliers de fois. Sans, toutefois, gagner un sou (ou guère) puisque la fameuse « encyclopédie en ligne », suivi d’un tas d’autres, refusa de retirer les clichés à raison d’une appartenance au domaine public ; la notion de copyright ne pouvant s’appliquer qu’à un être humain. Encore qu’en Angleterre (au Royaume-Uni), le problème juridique puisse se présenter autrement sous le Copyright Designs and Patents Act 1988 ; mais aucun cas de ce type n’ayant encore été jugé… Vous pourrez approfondir le sujet sans grande difficulté tant l’affaire pris de l’ampleur.
Toujours est-il que l’US Copyright Office, à partir d’un rapport de 1222 pages évaluant les applications de la loi fédérale sur le copyright, décrète qu’une « photographie prise par un singe » n’est pas protégée par la propriété intellectuelle. Et, plus précisément, selon le Compendium of US Copyright Office Practices, Third Edition : « L’Office n’enregistrera pas de travaux produits par la nature, les animaux, ou les plantes. De même, l’Office ne peut enregistrer une œuvre prétendument créée par des êtres divins ou surnaturels, bien que l’Office puisse enregistrer une œuvre dont la demande ou le formulaire de dépôt mentionne que l’œuvre ait été inspirée par un esprit divin. » (Ah, ces Américains et leurs rapports à la religion !…).
Pas de droits donc sur les œuvres créées par les dieux, les fantômes, ou les bégonias. Certes, mais dans le cas précis d’une photo de fantôme, qui a appuyé sur le déclencheur de l’appareil photo ? La question peut éventuellement rester sans réponse quant à la responsabilité effective de l’action.
La photo du fantôme
Je ne connaissais pas l’image que nous publions aujourd’hui, et pourtant… Elle apparaît sur quelque 480 sites (!), surtout anglophones : ce qui montre qu’elle n’a guère traversé les mers. Raison de plus pour ne pas vous en priver.
Si on creuse un peu plus loin (un peu beaucoup, quand même) on découvre que les droits en sont gérés par la Mary Evans Picture Library (1) dont nous aurons l’occasion de reparler à propos du regretté Hilary Evans et de son éteigneur de réverbères. Et, dès avant ça, à propos d’une photo avec marque de pliure dans le prochain numéro des Chroniques de Mars.
Mais voici toute l’histoire, qui se passe à Londres, à Greenwich, à deux pas de l’Observatoire Royal du fameux méridien. Dans la Queen’s House, belle bâtisse du XVIIème siècle. Elle se visite, surtout renommée pour son escalier, le Tulip Stair : celui de la photo.
En 1966, ce n’est donc pas si vieux (on y reviendra), un révérend canadien du nom de R.W. Hardy, de White Rock en Colombie Britannique, prit ce cliché sans rien voir de plus que ne voyaient ses yeux. C’est au développement qu’apparut le fantôme (2) ; Kodak aurait été interrogée, et déclaré qu’il n’y avait aucune altération de la pellicule. Quand au révérend et son épouse, ils jurèrent qu’il n’y avait personne sur cet escalier interdit au public.
Du coup, on se rappela qu’apparemment, une femme de ménage, dans les années 1600, fit une chute mortelle, ou se suicida, ce qui fait d’elle un remarquable candidat au « personnage photographié ».
Un escalier bizarre
Yves Bosson, de l’Agence Martienne,
qui nous concocte pour chaque numéro des Chroniques de Mars un plaisant « Courrier interplanétaire », spécialiste incontestable en la matière, nous dit que l’escalier est très étrange. « Je crois, précise-t-il, qu’il y a de vrais problèmes de perspective dans cette image (à voir aussi à l’envers, en retournant l’image, haut en bas), comme entre la barrière et l’escalier ».
Oui, au premier abord, et peut-être même au second. Mais il faut noter une illusion d’optique (je n’ai pas trouvé le temps de vous faire un croquis qui soit suffisamment parlant) : prenez conscience, s’il le faut, que ce qu’on voit, c’est le dessous de l’escalier et que ce qui paraît être des reliefs sont en fait des creux ; il faut donc regarder l’image, non avec le cerveau gauche, mais avec le cerveau droit (3).
Vous remarquerez aussi dans la photo en contre-plongée de la cage que nous publions aussi, que le tracé de cette œuvre remarquable n’est pas aussi régulier qu’on devrait s’y attendre.
Reste que depuis les tout débuts de la photographie, on a fait des trucages, superpositions, distorsions, parfois même à l’aide de filtres propriétaires qu’il nous faudrait tenir en main pour juger de leurs effets.
Aujourd’hui, avec le numérique, c’est encore plus simple (chaque jour nous apportant son nouveau film d’ovni !) : si vous possédez un smartphone, il vient de sortir plusieurs « applications » à télécharger vous permettant d’incruster un fantôme de n’importe quoi sur vos photos.
Michel MOUTET © Les Chroniques de Mars, numéro 18 – Septembre 2015.
Crédits pour les illustrations // Les deux « selfies » du singe : Wikimedia Commons public domain
– Queen’s House : © Bill Bertram 2006 (CC-BY-2.5) / en.wikipedia – Tulip stair : en.wikipedia (CC BY-SA 3.0)
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(1) Il y a là aussi tout un imbroglio. Les données de la photo indiquent que le titulaire des droits serait un certain Peter Underwood, parapsychologue autoproclamé (pléonasme, ou presque…), décédé en 2014, qui a écrit tout une tripotée de livres, essentiellement sur les fantômes ; l’auteur, le Révérend Hardy (on ne sait s’il est vivant ou mort, mais obligatoirement depuis moins de 70 ans), étant cité comme « source ». Encore des points d’interrogation, mais on en reparlera.
(2) C’est le terme ghost qui est employé, a priori à bon escient. Pour la différence entre ghost et phantom, voir la note de Michel Granger à la fin d’une mienne traduction du chapitre d’un livre américain.
(3) Lire à ce propos l’article de mon excellent ami Jean-Paul Sibbille, « Faire du dessin d’art grâce au cerveau droit » in Communication et Langages, n° 75, 1er trimestre 1988, pp 25-37 (Bien qu’il se réfère bien trop souvent à mon goût à Science et Vie…).