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IV – Quatrième jour – Où le lecteur perçoit la chaleur des soleils noirs.

Loin du tumulte des vapeurs de la ville, dans le recoin d’un obscur café du Panier, affalés à une table quatre gonzes en marcel aux profils de loups, aux muscles saillants tatoués d’improbables logogriphes, brassent à présent des cartes à jouer, sales, venues d’un autre âge et jouent habilement sur les mots. Ici se trouve rassemblé presque tout le genre humain. La partie de cartes semble s’animer et les noms d’oiseaux rares volent autant que les coups bas. Un homme issu du soleil répondant au nom de Rimb., au look d’adolescent désenchanté, des rastas blonds délavés et pisseux dégoulinant sur sa nuque tel un poulpe mort pêché au large de l’Estaque, range ses cartes par couleurs, les cœurs entre les piques et les trèfles. Le même, un marchand d’armes donc, le visage livide ravagé par l’opium du triangle d’or mélangé au chanvre du Maroc, joue en équipe avec son partenaire d’en face, un personnage inquiétant et lunaire, un pouilleux en survêt usagé aux couleurs bleues et blanches des supporters de l’OM. La canne de Saint Patrick trône à ses côtés. On l’appelle « Artaud-l’antonin ». Quelle équipe !

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En vis-à-vis, les deux autres. Le troisième, une sale gueule de juif errant, taillée en lame de couteau, le chapeau de Merlin posé sur une tête osseuse et longue comme une navette à l’anis, verdâtre en son sommet, une barbichette de suie, pointue et fine, un petit bouc plein de remontrances termine tout en bas du visage le portrait fugace du sublime manipulateur de verbes. Une sorte de condottiere des mots oubliés, André Suarès, le prophète inoubliable, fait lui équipe avec un certain « Auguste Franck », un nouveau venu au café, un transfuge, un migrant sans passeport arrivé seulement hier à la gare Saint-Charles d’on ne sait où. D’un autre espace dit-on. Un polygraphe, un mercenaire des mots dont le pseudonyme illusoire composé des noms juxtaposés d’Auguste Maquet et de Dan Franck, n’avait jusqu’à présent trompé personne. Ici – avec ceux-ci – seul un Nerval au meilleur de sa forme aurait pu simuler une littérature chevaleresque digne des plus grands, grâce à ses tours de magie. Auguste Franck était un cupide en mission probablement. Mais comment a-t-il fait pour dénicher ces trois là d’un seul coup ? – J’ai une sainte horreur des points virgules ! Nom de merde ! fulmina Artaud entre deux glapissements électriques, balançant pour le coup violemment sur la table de jeu une bonne partie de sa tête ainsi que ses électrodes fortement maintenues connectées sur son crâne d’apache. Tout son jeu de cartes était maintenant étalé en vrac sur le tapis ! – Atout maître ! hurla le condottiere à l’encontre des trois autres ! – J’emmerde la littérature ! répondit Artaud. – L’Eternité c’est la mer avec le soleil, dit Rimb. Quelle puanteur de chienlit cette vermine de littérature d’aujourd’hui ! Pourquoi pas en langage SMS pendant qu’ils y sont ! Bandes de nazes. Et la typographie ? Ça aussi c’est de la matière fécale ! Fracas d’enfer… – Halte au feu ! gueula Gus devant les sifflements sourds et puissants. Staccato de balles dans la nuit. Une sardine grillée à l’escabèche était encore fumante devant la porte close quand soudain striant sèchement les volets dans la ruelle aux couleurs pastels – une seconde rafale de kalachnikov gicla dans le bar en petites étoiles sanglantes. Et voilà ! … un cliché sur Marseille – un de plus ! Manquerait plus qu’on nous resserve ici, avec cette bande d’ensuqués une partie de cartes à la Pagnol pour bâcler le tableau. Mais où est monsieur Brun qui coupe à cœur ? – Merde et remerde ! glapit l’antonin fiévreux… – Je suis Artaud et que je le dise comme je sais le dire immédiatement vous verrez mon corps actuel voler en éclats et se ramasser sous dix mille aspects notoires un corps neuf où vous ne pourrez plus jamais m’oublier ! Retournons tous, tout de suite, sur « L’Ombilic des limbes » faire route vers l’étoile polaire, vers d’autres contrées ultimes, vers des terres sacrées où les mots ont un véritable nom, sur des mers noires et denses moins polluées par cette littérature frelatée ! – N’est-ce pas Rimb. ?

EXTRAIT du livre d’Auguste FRANCK « Planète MARS EYE » – © Les Chroniques de Mars, numéro 18 – septembre 2015.

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