INTERVIEW DE GEORGES COMBE
RÉALISATEUR DU FILM « LES SOUTERRAINS DU TEMPS »
PAR PATRICK BERLIER AUTEUR de » LA SOCIÉTÉ ANGÉLIQUE «
Lyon est décidément une ville bien mystérieuse, et un DVD récemment commercialisé en révèle une nouvelle facette singulièrement énigmatique. Sous la colline de la Croix-Rousse dormait tout un réseau de souterrains, que l’effondrement d’une rue en 1959 permit de découvrir, ou plutôt de redécouvrir puisque ces galeries étaient connues, au moins partiellement, depuis la Renaissance. Dans un premier temps, les services techniques de la ville, pour parer à tout accident supplémentaire, ont entrepris de consolider le réseau souterrain. Vingt ans de travaux, puis tout a été fermé, et presque oublié.
En 2009, le percement d’un deuxième tube du tunnel routier sous la Croix-Rousse a rencontré à nouveau des galeries, dans leur partie basse. Cela a déclenché leur exploration systématique, le relevé précis de leur structure, et une enquête archéologique a fait l’objet d’un rapport de plus de 400 pages, non rendu public. L’architecture particulièrement complexe et déroutante du réseau de souterrains les a fait surnommer « les arêtes de poisson ». Un premier réseau s’étage sous le coteau de la Croix-Rousse, versant est, du côté du Rhône, principalement entre la rue Magneval et la rue des Fantasques. Une dorsale principale composée de deux galeries superposées, en paliers successifs, suit la pente de la colline, et 32 galeries secondaires de 30 m de long, parallèles entre elles, comme les marches d’un escalier, s’embranchent perpendiculairement sur la dorsale supérieure. Une structure en « arête de poisson », en effet.
Puis dans la partie haute, un corridor rejoint un second réseau, l’extension nord, composé de deux galeries parallèles reliées par des salles transversales. Ce deuxième réseau monte en paliers jusqu’au sommet de la colline, suivant un tracé parallèle au boulevard de la Croix-Rousse, créé à l’emplacement des remparts de la ville. Et il n’est pas impossible qu’à l’origine la partie basse des « arêtes de poisson » se soit raccordée à ce souterrain double de 15 km, reliant Lyon à Miribel (Ain), connu sous le nom de Sarrasinières : même facture, structure comparable à celle de l’extension nord, tout le laisse envisager.
L’existence de ces souterrains était connue des « cataphiles », amateurs des sensations que peuvent donner les mondes sub-terrestres. Elle a été révélée au grand public lyonnais d’abord par la publication du livre de Walid Nazim, « L’énigme des arêtes de poisson ». Puis très récemment par le film de Georges Combe, « Les souterrains du temps – Arca Mundi ». On connaissait le goût du cinéaste pour l’étrange et le mystérieux. Georges Combe s’est fait connaître entre autres par son film « Rennes-le-Château, du trésor au vertige » dont le DVD est sorti en 2003. Avec « Les souterrains du temps », on retrouve la « patte » du cinéaste : l’esthétisme soigné des images, le rythme posé distillant lentement le mystère, les images de synthèse en 3D, la musique envoûtante de Gilbert Grilli… Une histoire en cinq actes, nécessitant deux DVD. Nous ne pouvions rester indifférents devant cette œuvre magistrale, et nous avons voulu en savoir plus en rencontrant son réalisateur Georges Combe qui nous a donné, en exclusivité, cette interview pour les « CHRONIQUES DE MARS – Numéro 19 ».
Patrick BERLIER // Interview de Georges COMBE © K2M – décembre 2015
Chroniques de Mars // Georges bonjour ! En guise de mise en bouche de cette interview et pour mieux informer nos lecteurs des « Chroniques de Mars », je te propose que l’on visionne ensemble en préalable la bande-annonce de ton film « Les souterrains du Temps ». De nombreux chercheurs, archéologues, historiens ont participé à ce film, on y reconnaît ainsi l’un de nos amis, auteur aux éditions Arqa : Cédric Mannu…
Georges Combe // Oui… Volontiers !
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Chroniques de Mars // Georges, peux-tu nous rappeler quelle a été la genèse de ton nouveau film « Les souterrains du temps – Arca Mundi » ?
Georges Combe // Depuis longtemps je voulais faire un film sur Lyon et ses mystères. D’ailleurs nous avions envisagé ensemble l’idée d’un projet dans ce sens là. Et puis il y a eu la parution du livre de Walid Nazim. Le sujet m’a emballé, mais au départ je pensais en faire un film d’une cinquantaine de minutes : un souterrain, c’est tout noir, on ne voit quasiment rien, c’est identique d’un bout à un autre, pas de quoi faire un long métrage. Pourtant au final, pris par l’énigme, je me retrouve avec 3 h 30 de film ! Plus des quantités de notes complémentaires que j’ai rassemblées dans un livre accompagnant les deux DVD.
Chroniques de Mars // Il fallait bien tout cela pour envisager les multiples possibilités…
Georges Combe // Oui, c’est une véritable enquête policière ! Le problème de ces « arêtes de poisson » c’est qu’elles constituent une énigme totale ou presque. Qui les a construites ? On ne sait pas… A quoi servaient-elles ? Mystère ! Y a-t-on déposé un trésor fabuleux ? Le Graal ? L’Arche d’Alliance ? Le trésor des Templiers ? Hypothèses… Alors j’ai dû rassembler tous les éléments, ne négliger aucune piste, puis j’ai voulu comparer avec d’autres souterrains, ce qui m’a emmené à Rome et jusqu’à Jérusalem. Pour Walid Nazim ce sont les Templiers, et à leur tête leur grand-maître Guillaume de Beaujeu, qui sont à l’origine des « arêtes de poisson ». Je ne souscris pas entièrement à cette hypothèse. J’expose une autre théorie dans le film, celle d’une utilisation cérémonielle par les Gaulois.
Chroniques de Mars // La seule certitude, c’est la datation au carbone 14, qui fait remonter les « arêtes » à l’époque romaine. Ce qui est bien loin de résoudre le problème ?
Georges Combe // Au départ, au vu de la technique de construction, des matériaux employés, on a daté les « arêtes de poisson » du XVIe siècle. Puis les archéologues ont prélevé des fragments de bois, vestiges de coffrages, et de charbon de bois. Sur dix analyses différentes, neuf ont donné comme date le premier siècle de notre ère. Une seule analyse donne un résultat différent, autour de moins 300, un temps où seuls les Gaulois occupaient le futur site de Lyon. C’est donc l’autre datation qui a été retenue. Pour ma part, j’ai eu trois indices en faveur d’une époque plus ancienne. Un médium du Périgord, ignorant tout des « arêtes de poisson » et des mystères de Lyon, entrevoyait une structure restant à découvrir, plus profondément sous terre. Le géobiologue Florent Gallet, auteur du livre « Lyon révélée », imaginait une pierre sacrée, à l’énergie considérable, enfouie à l’emplacement de l’ancien confluent du Rhône et de la Saône, vers la place des Terreaux. Enfin un architecte belge penchait lui aussi pour une époque antérieure.
Chroniques de Mars // Le problème, c’est que si les Romains possédaient la technologie pour creuser un tel réseau aussi complexe, ce n’était pas le cas des Gaulois. Alors ?
Georges Combe // J’ai une petite idée… Lorsque les Romains arrivèrent à Lyon, ils voulurent s’installer sur ce qui est aujourd’hui la colline de Fourvière. Mais les Gaulois étaient déjà bien implantés sur cette « colline des corbeaux » qui deviendra Lugdunum. Les Romains ont pu leur proposer en échange l’autre colline de la ville, le futur quartier de la Croix-Rousse, s’offrant même à y construire le Sanctuaire des Trois Gaules (disparu aujourd’hui) et le réseau de souterrains en dessous…
Chroniques de Mars // Ton film révèle aussi un aspect fascinant des « arêtes de poisson », leur orientation à 23,5°, l’axe d’inclinaison de la terre…
Georges Combe // Oui, c’est l’écart angulaire entre les axes des deux réseaux souterrains, celui de la dorsale des arêtes et l’extension nord. Cette dernière est parallèle au boulevard de la Croix-Rousse, orienté vers l’est. La dorsale des arêtes suit un axe décalé de 23,5°, tout au moins en plan, sans tenir compte du fait qu’il se décale aussi en sens vertical. Cet axe de 23,5° par rapport à l’est, c’est aussi un axe parallèle à celui des trois Monts Saint-Michel, celui du château de Versailles, ou des Champs-Élysées…
Chroniques de Mars // Ton film permet de visualiser véritablement en 3D la structure de l’ensemble du réseau souterrain, avec ses dorsales, ses galeries et ses puits, grâce à des images de synthèse saisissantes.
Georges Combe // Les services techniques de la ville de Lyon m’ont communiqué le plan du réseau des souterrains, relevé très précisément, au centimètre près. À partir de ce document précieux, avec Didier Ozil nous avons réalisé par informatique une image en 3D. Lorsque nous l’avons mise sur un fond noir, j’ai cru voir un vaisseau spatial… Avec toutes les ramifications, les arêtes ressemblent à une antenne… Pour capter, ou émettre, quoi ? En fait je suis persuadé que ces souterrains permettent de réaliser une sortie de l’espace-temps. Ce réseau n’aurait-il pas conduit les Gaulois à connaître l’avenir ? C’est ce que semble nous dire Rabelais avec son oracle de la dive bouteille situé dans un temple souterrain, où il faut descendre par paliers en comptant bien les marches, réparties selon une structure numérologique. Exactement comme pour les « arêtes de poisson », qui jouaient peut-être pour les Gaulois le même rôle que le temple de la dive bouteille rabelaisienne.
Chroniques de Mars // Une des révélations de ton film, c’est que, au cours des âges, il y a eu toute une chaîne d’initiés qui ont connu – et utilisé – les « arêtes de poisson » ?
Georges Combe // Je suis certain que Rabelais parle de ces souterrains, à mots couverts. N’oublions pas qu’il a connu à Lyon d’autres personnages pouvant être dans le secret : Corneille Agrippa, Kleberger. Ce dernier était l’ami d’Albrecht Dürer, qui a fait de lui un portrait orné de symboles curieux (le soleil dans le cœur du « lion »), juste avant son départ pour la Suisse et Lyon. Dürer a pu l’informer. Johannes Kleberger est arrivé à Lyon en 1531. Les Lyonnais l’ont surnommé « le bon Allemand », et plus tard « l’homme de la roche », à cause de sa statue monumentale placée en 1849 dans une grotte, creusée tout exprès, dans une falaise au pied de Fourvière. Pour moi, Kleberger c’est le berger qui a la clé… On peut aussi se demander pourquoi Catherine de Médicis fait construire sa citadelle pile au-dessus de l’extension nord. À peu près à la même époque il y a les Grolier qui jouent un rôle important dans la vie lyonnaise et européenne en tissant des liens avec l’imprimeur du « Songe de Poliphile », livre qui dévoile entre autres certains secrets de la communication théurgique. Et puis il y a Nicolas de Lange, le fondateur de la Société Angélique, qui pendant les guerres de religion s’éloigne un peu de Lyon en achetant le château de Cuire, ce qui fait de lui le seigneur de la Croix-Rousse… où sont justement situés les souterrains en arêtes de poisson…
Chroniques de Mars // Ton film révèle aussi le rôle de Jean-Baptiste Willermoz, le célèbre franc-maçon lyonnais…
Georges Combe // Willermoz achète en 1796 les terrains au-dessus des « arêtes de poisson ». Je crois plutôt qu’on les lui fait acheter… Dans quel but ? Prendre la suite des religieuses chassées par la Révolution, les dames de Sainte Élisabeth et les Bernardines, qui semblent avoir été les gardiennes de ce lieu sacré… Que faut-il comprendre lorsqu’il signale, dans son rituel maçonnique, que le pavé mosaïque couvre l’entrée du souterrain du Temple ?
En 1819 Jean-Baptiste Willermoz revend une partie du terrain à la ville ; l’acte précise clairement qu’il contient des souterrains. Les descendants de Willermoz sont à l’origine de la construction, vers 1850, de l’église Saint-Bernard, communiquant directement avec les souterrains grâce à un puits. Elle ne sera jamais achevée, et après plusieurs périodes de fermeture pour travaux elle finira par être désacralisée et close définitivement. Pour Walid Nazim, l’église aurait servi à entreposer ce que contenaient les arêtes : un trésor, un dépôt secret effectué par les Templiers, avant que cela soit emporté vers une destination inconnue…
Chroniques de Mars // Enfin il y a aussi Il y a aussi François Artaud, le premier conservateur du Musée des Beaux-Arts, qui interfère dans l’histoire des « arêtes de poisson »…
Georges Combe // Au début du XIXe siècle, Artaud recherche toutes les traces de la ville romaine de Lyon, et il s’intéresse particulièrement aux souterrains. Il rassemble ses observations dans un livre, « Lyon souterrain » qui paraît en 1846. Il a demandé à son ami l’architecte Antoine Marie Chenavard de l’illustrer. Le plan des souterrains qu’il a explorés à la Croix-Rousse se décalque parfaitement sur celui de la dorsale réalisé par les services techniques… Ce Musée des Beaux-Arts deviendra d’ailleurs un foyer, un cercle de peintres et d’architectes, au courant de bien des secrets. En sortira au début du XXe siècle l’architecte Tony Garnier.
Vers 1920 il présente le projet – qui ne sera pas réalisé – d’un monument aux morts à la Croix-Rousse, presque à la verticale des souterrains, à la place du « Gros Caillou ». En fait la connaissance du réseau de souterrains n’a jamais été perdue, même si officiellement on ne les découvre qu’en 1959. D’ailleurs lors de la construction du premier tunnel sous la Croix-Rousse entre 1939 et 1952, une partie des « arêtes » avait déjà été mise à jour, mais négligée.
Chroniques de Mars // Tu as évoqué le « Gros Caillou » de la Croix-Rousse, ce rocher qui marque l’extrémité est du boulevard de la Croix-Rousse. Tu en parles assez longuement dans ton film…
Georges Combe // C’est un bloc erratique apporté par les glaciers des Alpes et trouvé dans la moraine de la colline lors du percement du tunnel du funiculaire, en 1861. On a trouvé des quantités de ces pierres dures, qui ont été débitées. Celui-ci, on l’a placé là, on se demande pourquoi… Peut-être une démarche de l’inconscient collectif : « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Car ce Gros Caillou fait écho à un autre rocher du même type, 40 ou 50 m en dessous, dans la galerie qui assure la jonction entre les deux réseaux souterrains. On l’a surnommé « le Gardien »…
Chroniques de Mars // Dans les notes qui accompagnent le DVD, tu dis qu’il change de place parfois, et dans le film, on voit même qu’il change de couleur…
Georges Combe // La première fois que nous l’avons filmé, je me suis rendu compte au montage qu’il n’était pas assez mis en valeur. J’ai donc décidé de faire une nouvelle séquence le lendemain matin, avec un éclairage différent. C’est là que nous nous sommes rendus compte qu’il était chaud, comme un radiateur tiède. Dégagerait-il une certaine énergie ? Et puis surtout il n’était plus tout à fait à la même place, comme si on l’avait fait glisser de quelques dizaines de centimètres, ou comme si le rocher s’était déplacé tout seul… Les employés du service des galeries de la ville m’ont avoué qu’ils étaient parfois obligés de le remettre en place, de crainte qu’à force de bouger il ne vienne à tomber dans un puits qui était à proximité. Une autre fois nous avons retrouvé le Gardien peint en rouge, sans doute une blague de la part des « cataphiles », qui arrivent à s’introduire dans les souterrains… Volontairement ou pas, ils en ont fait la pierre au rouge, la pierre philosophale, une sorte de pierre du Graal…
Chroniques de Mars // Tu penses que le réseau des galeries souterraines se poursuivait plus loin sous la colline ?
Georges Combe // Outre son raccordement très probable avec les Sarrasinières, à l’est, on peut penser que l’extension nord se poursuivait vers l’ouest, peut-être jusqu’à la Saône. La galerie passerait sous la chartreuse du Lys Saint-Esprit, où débuta un certain Dom Polycarpe de la Rivière… Les rôles de Nicolas de Lange, et de son gendre et successeur Balthazar de Villars, sont aussi à noter dans la fondation et le sauvetage de cette chartreuse. Il faudrait évoquer aussi le sculpteur Frédéric Lemot, qui réalisa la statue de Louis XIV place Bellecour. Étrange roi soleil qui tourne le dos… au soleil… pour regarder le nord de la ville et la Croix-Rousse… Hasard sans doute, la rue Frédéric Lemot se trouve à la Croix-Rousse, à deux pas des « arêtes de poisson ». Le sculpteur quitta ensuite Lyon, sa ville natale, pour s’installer à Clisson près de Nantes, où il reconstitua le tombeau des « Bergers d’Arcadie »… Tout cela nous entraînerait bien loin.
Chroniques de Mars // Parlons aussi de l’avenir. As-tu des projets ?
Georges Combe // Bien sûr… Je prépare un film, déjà en partie tourné, sur le thème des ovnis… Un documentaire philosophique, refusant les effets et le sensationnel, qui sont souvent la marque des films qui abordent ce sujet. Le mélange des genres devrait donner quelque chose d’assez curieux !
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