Le Mythe des Déesses Mères – Féminin sacré et Tradition Primordiale #1
CÉLESTE, LA VIERGE COSMIQUE
Du ciel auguste souveraine,
C’est toi que je peins sous ces traits;
Le tourbillon qui nous entraîne,
Vierge, ne t’ébranla jamais.
Jacques Malfilatre
La nuit appartient aux déesses. De jour, le soleil occulte sans vergogne ce monde invisible dans un feu étincelant. De nuit, tout est différent. Mystère et frayeur sont tapis dans l’obscurité sournoise. L’homme, éperdu, se tourne alors vers le ciel impénétrable sous une chape de nuages. Seul le ciel diurne dissipe les effrois, dieu vaillant, viril et fort. Le ciel nocturne n’est-il pas propice à la magie la plus ensorcelante et la plus ténébreuse ? Les déesses ont la mainmise sur ce temps qui s’inverse dans le miroir de l’océan.
Ainsi, la maternité céleste tisse des liens soit avec les planètes qui scintillent dans le ciel lointain, soit avec les métaux qui dorment, sous forme de minerais, dans les galeries profondes du monde souterrain. Les astrologues scrutent avec leur lunette les espaces infinis, tandis que les mineurs et les alchimistes creusent des galeries dans les entrailles de la terre, tous deux en quête d’un or inaltérable ou d’une poussière d’étoile.
Cependant, le Ciel abrite également des vierges farouches qui se refusent à jamais aux joies de l’amour maternel et préfèrent garder intact leur corps d’une incomparable beauté. Leur cœur en souffre parfois ! À ce titre, Artémis et Athéna briguent toutes deux une place méritée. La première se dévoile en Phoebé, blanche lune qui inspire chasseurs et poètes. Toujours armée, elle court sans cesse au milieu des Nymphes, ses amies, sans même pouvoir supporter le regard d’un mortel. Elle a su extorquer à son père ce privilège d’éternelle virginité. En effet dans des traditions plus anciennes, la Lune est mère.
Le cas d’Athéna est plus subtil. Déesse de l’éclair, sans doute a-t-elle autant de pouvoir que son père Zeus. Armée d’un casque surmonté de la sphynge et d’un bouclier qui s’orne de la tête de Méduse, elle veille sur le destin des guerres et nul n’oserait croiser le regard irrémédiablement pétrifiant du monstre lunaire qui voile sa chaste poitrine. Par son lien avec la mort, à laquelle elle fournit un lourd tribut, elle gagne une parenté avec la Lune.
Il existe également des déesses qui portent des noms d’étoiles. Sont-elles vierges ou mères ? Brillent-elles dans le firmament ? Particulièrement bénéfiques, elles reçoivent l’agrément et la ferveur d’innombrables fidèles. Ainsi en est-il de la déesse Sirona, dans le monde gallo-romain ou de Tara, en Inde. La Tara verte protège celui qui la prie, des périls de la vie. Mais il ne faut lui demander ni argent, ni honneur. La Tara blanche offre à celui qui le mérite le pouvoir de guérir de ses maux. Une « bonne » étoile veille donc dans les cieux lointains, penchée avec amour sur le sort incertain des misérables humains. Les fées sont toutes proches.
Le Ciel et la Nuit
L’image de la Terre, mère et féminine, ne semble pas valide dans toutes les civilisations. En Egypte, la terre, dans son sens de glèbe et de globe, se voit représentée par un dieu, Geb. Et en opposition, le ciel, dans l’acception de voûte étoilée, se pose en déesse, sous le nom de Nout. Entre ces deux principes, circule un troisième, Shou, qui correspond à l’air. Il les a d’ailleurs séparés dans un passé légendaire. L’iconographie se veut révélatrice. Une immense femme aux bras et aux jambes ployées en arc enveloppe de son ombre délicate et finement cambrée un dieu Terre ridiculement petit. Son corps est constellé de multiples étoiles. Chacun sait que son fils Râ, le soleil, naît de sa bouche à chaque aurore et qu’il remonte le long des jambes de sa mère chaque soir pour pénétrer en son sein et renaître le lendemain. Parfois aux plafonds des temples, à des hauteurs vertigineuses, elle parade parmi les douze constellations du zodiaque. Son impressionnante anatomie est livrée à la course du Soleil, mais sa vastitude n’est révélée que par la nuit.
Ainsi, le Ciel, dans le sens du vide sidéral qui enveloppe notre planète, doit être envisagé comme matrice ou comme déesse. Elle recèle les germes de vie des planètes à venir comme elle sert de réceptacle aux âmes des défunts devenus stellaires. Il ne nous semble pas que d’autres peuples aient magnifié à ce point la féminité, sous le nom de Nout comme expression d’un potentiel infini de créativité d’univers.
Changeons de cycle mythologique. La Grèce offre son imagination débridée et la faconde de ses aèdes. Orphée considère Nuit comme la première de toutes les divinités féminines (ou masculines). Sans doute, place-t-il Phanès, qui est la Lumière en tant que révélatrice des formes, au tout début, initiant un premier antagonisme. Mais ce dernier est à part, Femelle et Générateur. Nuit et Jour se situent antérieurement à tout acte démiurgique. Nuit donne le jour au ciel et à la terre. En fait, elle se révèle sous trois aspects. La première détient toute science, elle s’affiche comme mantique. Ici, elle est mère de Phanès. Elle enseigne à Zeus tout ce qu’il doit savoir du monde des hommes et des dieux. La deuxième reçoit le qualificatif de vénérable, ce qui implique qu’il s’agit de la Sagesse, et de l’épouse de Phanès. Quant à la troisième, au plan inférieur, elle engendre la Justice. À ce stade, il s’agit de la fille de Phanès, lequel s’unit avec les trois générations de Nuit.
L’approche d’Hésiode est différente. Fille de Chaos, Nuit met au monde (avec ou sans le secours d’Erèbe) Ether et Lumière du Jour, deux éléments qui ressemblent à Phanès ou à Lumière, chez Orphée. Ceci se passe à l’aube des temps, avant même que l’énorme Gaïa ne se mette à peupler le monde. Ensuite, la déesse Nuit a une progéniture plus conventionnelle et parfois nettement moins amicale : Mort, Kère, Trépas, Sommeil, Sarcasme, Détresse, les Hespérides, les Parques, Némessis, Vieillesse, Lutte, etc., bien que la parité entre les divinités positives et les divinités négatives soit respectée. Dès lors, Nuit, origine de toute création, prend une part active dans la roue du temps. Son caractère sacré s’estompe, au profit d’une acception plus prosaïque. Enfin, son antagonisme avec le côté diurne de la création lui vaut une aura plus ou moins sulfureuse.
La nuit s’oppose au jour. Les Grecs vantent une Triple déesse pour accompagner le Soleil. Elle semble prendre la place attribuée ailleurs à la planète Vénus.
La Voie lactée et la Couronne boréale
Dans plusieurs traditions, la Voie lactée passe pour une traînée de lait de la Déesse mère, sous la forme d’une vache céleste. Il est indubitable que ce vaste amas allongé d’étoiles plus ou moins brillantes, ce serpent volant et se mouvant au gré de l’année par rapport à un point fixe, a ému et interpellé l’homme qui en évaluait le spectacle et spéculait sur l’avenir. Les Grecs, pour leur part, ont su enjoliver le thème et c’est ainsi qu’un jour la redoutable Héra, jalouse et colérique, a donné le sein au fameux héros Héraclès. Ce lait de l’initié a jailli dans tout le ciel, formant une nuée d’étoiles.
Les Égyptiens voyaient dans la Voie lactée un fleuve, miroir du Nil terrestre. Ils la distinguaient de Nout, la déesse du firmament éternellement gestatrice d’étoiles et de planètes. Quant aux étoiles ou aux objets célestes brillants, ils s’identifiaient aux âmes des défunts. Seul Sothis (Sirius) avait un rôle emblématique en annonçant la crue du Nil.
En Inde, la Voie lactée est associée au barattage de la mer de lait, comme source même de ce nectar. Les dieux, n’ayant plus de soma pour se griser, cherchèrent une nouvelle boisson de félicité. Blanche et onctueuse, la mer de lait leur parut propice pour cette confection. Le Naga de Vishnou servit de corde et d’un côté les Asuras tiraient et de l’autre, les Devas peinaient. On prit le mont Merou comme axe, mais comme tout menaçait ruine, il fallut que Vischnou se change en tortue pour assurer une relative stabilité à l’ensemble. Le malheureux serpent avait une terrible envie de cracher un venin acide qui aurait tout fait tourner. Heureusement, un dieu tout noir parut tenant à la main une coupelle d’amrita qui enivra aussitôt tous les participants.
De l’âge du bronze date un curieux disque en bronze, découvert dans un enclos sacré à Nébra, en Allemagne. Première carte symbolique du ciel, le soleil et la lune dessinent les yeux d’un visage où la Couronne boréale sert de troisième œil ; une barque en marque la bouche et trente-deux étoiles voguent dans ce somptueux firmament.
Par ailleurs, les Celtes attribuaient le rôle de la Sophia à la Couronne boréale qui occupait une place particulière dans leur ciel. Arianrhod régnait en maîtresse sur ce ciel et la Couronne boréale devenait sa ceinture. Le fer à cheval de Stonehenge reflète cet ornement. Mère de Dylan et de Lion-à-la-main-ferme, elle se sentit insultée quand l’enchanteur Math prétendit qu’elle n’était plus vierge. À cet instant, elle voua une haine maladive et morbide à ses jumeaux. L’un d’entre eux s’enfonça aussitôt dans la vague, lune incertaine, reflet indistinct. L’autre, enveloppé d’un plaid rouge, fut enfermé dans un coffre, presque oublié. Son caractère fougueux prit l’ascendant et il n’eut plus d’autre envie que de contrecarrer, grâce à l’aide de son propre père, Gwydion, les desseins sournois d’Arianrhod. Malgré une terrible malédiction et grâce à la ruse et à l’imagination, tous deux réussirent à obtenir un nom (Lion-à-la-main-ferme, pour avoir immobilisé d’un trait un roitelet sans l’avoir tué), des armes et une épouse. Or celle-ci, qui n’était pas de la race des hommes, trompa avec outrecuidance le malheureux Lion-à-la-main-ferme, avec un obscur chasseur de cerf. En fait, l’épisode commémorait l’antique combat du soleil montant et du soleil descendant au solstice d’été. Roi déchu, Lion-à-la-main-ferme réussit à s’enfuir sous les traits de l’aigle. Impavide, Arianrhod pouvait désormais trôner sans partage sur un ciel nocturne fier de sa prestance.
Hélas, ultérieurement, la Grande Ourse et la Petite Ourse lui volent la vedette, nouveau clou du ciel pour les hommes de l’ère des Poissons. La mythologie grecque nous vante la jalousie sordide de la déesse Héra qui métamorphose l’une des conquêtes de son époux, la belle Calisto et son jeune fils, en ours, par représailles. Mais le grand dieu Zeus, furieux, leur octroie une place parmi les étoiles. Pour les Celtes, la déesse Artio, de Berne, qui donne son nom au roi Arthur, semble liée à cette constellation.
Les Grecs ont quelque préférence pour le groupe des Pléiades, lui aussi constitué de sept étoiles, aux noms féminins. Leur lever et leur coucher étaient liés à (…)
Myriam PHILIBERT // Le culte de la Déesse Mère
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