NOTES SUR CINO DA PISTOIA : JURISTE ET POÈTE
Guittoncino di ser Francesco dei Sigisbuldi (Pistoia, 1270 – Pistoia, 1336) dit Cino da Pistoia fut un important juriste de son époque auteur, entre autre, d’une monumentale Lectura super Codice, Lecture sur le Code, commentaire grandiose du Code de Justinien. Mais la mémoire impérissable que l’on conserve de lui dans la culture mondiale est liée surtout à une autre activité qu’il cultiva tout au longde sa vie, celle de poète. Il fit en effet partie – avec Dante Alighieri, Guido Cavalcanti, Guido Guinizelli, Lapo Gianni, Dino Frescobaldi et d’autres – de ce petit aéropage qui donna naissance au courant poétique bien connu du “dolce stil novo”, le “doux style nouveau” qui a influencé tout le développement à venir de la littérature italienne.
Il faut maintenant noter que cette production poétique assez abondante – développée surtout sous la forme du sonnet et de la chanson – montre un aspect tout à fait singulier, c’est à dire qu’une grande partie de celle-ci, en particulier celle qui se présente dans les termes d’un dialogue direct entre des exposants de ce mouvement. Cette production poétique est restée jusqu’à présent incompréhensible aux exégètes et aux commentateurs modernes : on voit bien que ces gens-là se disent quelque chose, mais on n’arrive pas à en pénétrer le sens, ce qui laisse les spécialistes dans le plus grand embarras. C’est d’ailleurs en se basant sur ce fait incontestable que des auteurs comme Rossetti, Aroux, Pascoli et Valli se sont sentis autorisés à supposer chez ces poètes l’emploi d’un jargon spécifique qui aurait recouvert quelque type de contenu ésotérique. L’idée allait sûrement dans la bonne direction mais ces auteurs ne se sont pas trouvés d’accord sur la nature de ce contenu : pour les uns il s’agit par exemple d’idées hérétiques en matière de religion, pour les autres d’idées non orthodoxes en matière de politique. De ce fait, leur intuition, pourtant courageuse, a été rejetée par le monde académique. À mon avis l’erreur qu’ils ont commise est après tout assez banale, c’est-à-dire qu’ils ont supposé dans ces productions poétiques un contenu homogène, tandis qu’au contraire il portait sur des sujets disparates, de sorte que le type d’exégèse qu’on peut appliquer à l’un ne marche pas pour l’autre. Ils auraient dû s’engager à faire jaillir le contenu spécifique de chaque sonnet ou chanson au lieu de chercher une signification ésotérique générale pour toute leur production poétique.
C’est bien ce que je vais faire maintenant au sujet d’un sonnet de Cino considéré jusqu’à présent comme tout à fait énigmatique, le voici :
Perché voi state forse ancor pensivo
d’udir nuova da me, poscia ch’io corsi
su quest’antica montagna degli orsi,
de l’esser di mio stato ora vi scrivo:
che ‘l mio cammino a veder follia torsi;
e per mia sete temperare a sorsi,
chiar’acqua visitai di blando rivo:
ancor, per divenir sommo gemmieri
nel lapidato ho messo ogni mio intento,
interponendo varj desideri.
Ora ‘n su questo monte tira vento;
ond’io studio nel libro di Gualtieri,
per trarne vero e nuovo intendimento.
Et voilà maintenant la traduction que j’en ai faite :
Parce que vous restez peut-être encore soucieux
d’entendre des nouvelles de moi, après que j’ai couru
sur cette ancienne montagne des ours,
de l’état de mon être je vais maintenant vous écrire:
que j’ai tourné mon chemin à voir folie;
et pour calmer à gorgées ma soif,
j’ai visité l’eau claire d’une douce rivière:
et encore, pour devenir le plus grand des bijoutiers,
j’ai mis toute mon effort dans l’oeuvre de polissage,
en interposant des désirs variés.
Maintenant sur cette montagne y a du vent;
c’est pourquoi j’étudie dans le livre de Gauthier,
pour en tirer un entendement vrai et nouveau.
Les spécialistes ont supposé que Cino est ici en train de parler d’amour en termes métaphoriques, étant donné que ce dernier est très souvent le thème privilégié des compositions poétiques des pratiquants du style nouveau, mais ensuite ils n’ont pas su déchiffrer la métaphore. À ce stade, il faut bien que ce soit à moi de disperser le brouillard qui entoure ce sonnet ; on verra alors qu’il s’agit de tout autre chose…
@ suivre // F. B. – CINO DA PISTOIA philosophus per ignem #2
Un texte inédit de F. B. pour les Chroniques de Mars – numéro 20 – mars 2016 ©
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