L’apparition formelle des trois Manifestes de la Rose-Croix, en 1614, 1615 et 1616, marque trois dates mémorielles dans l’Histoire de l’Hermétisme occidental. Passé quatre siècles, elles marquent aussi un anniversaire en forme de pierre blanche posée sur la ligne du temps, en signe sacramentel. Un signe des temps mais aussi un sceau de cire rouge orné d’une rose pourpre, en relief, pour signifier à chacun, au passant, au questeur, à quel point les écrits de l’Ancien Ordre mystique sont fondamentaux pour toute quête initiatique authentique.
Les éditions Arqa se devaient de saluer à leur manière ce moment si important, en cette date anniversaire, pour commémorer les quatre-cents ans de la Fama, de la Confessio et des Noces, et pour ainsi faire œuvre utile en présentant de nombreux documents inédits sur ces « Frères invisibles ».
Cette étonnante gravure fut indexée dans le Cimelia Rhodostaurotica, page 170 du remarquable catalogue de Carlos Gilly relatif aux frontispices rosicruciens couvrant la période de 1610 à 1660 et édité en 1995 pour le compte de la Bibliotheca Philosophica Hermetica à Amsterdam. Elle est fort rare. C’est probablement la première fois que nous voyons une effigie de Christian Rosencreutz d’époque. L’image est intitulée : Hierogliphische Abbildung und Gegenantz der Wahren einfaltigen und falschgernandten Brüder vom Rosencreutz – Gravures hiéroglyphiques et différences entre les véritables Frères innocents et ceux faussement nommés de l’Ordre de Rosencreutz.
Christian Rosencreutz est présenté sous les traits prononcés d’un sémite. L’auteur de la gravure a voulu brocardé, caricaturé les Frères de la Rose Croix un peu à la manière dont s’y prit Friedrich Grick dans ses écrits. En agissant ainsi, il fit également ressortir certaines des caractéristiques classiques que l’on retrouvait chez les Frères de la Rose-Croix.
La gravure est datée de 1640, soit 36 ans après l’ouverture du tombeau de Frère Christian Rosencreutz et 26 ans après la parution de la Fama. C’est donc un document contemporain et il s’avère fort précieux pour la communauté des chercheurs. Le titre nous apprend que certaines personnes ont usurpé le titre de Rose-Croix. Le document semble être une sorte de mise au point et il comporte plusieurs niveaux de lectures. (…)
LE PARERGON
On distingue en premier lieu la lune, le zodiaque et les planètes. Le grand rayon qui relie l’astre a la maison nous indique les meilleures influences zodiacales (entre la vierge et la balance) et planétaires (entre la lune et mercure) pour réaliser l’œuvre métallique.
Nous apercevons un alchimiste en train de converser avec un homme portant des béquilles, ce dernier symbolise l’humanité claudicante, malade. La gravure illustre la Charité des Frères qui doivent porter secours et guérir les malades ou l’humanité gratuitement. On voit une cornue et un fourneau. La fumée qui s’échappe est en relation comme nous venons de le voir avec des influences zodiacales et planétaires. Le travail s’accomplit dans l’ombre ou la nuit, à la lumière de la lune. On voit ainsi que la préparation de l’œuvre est minutieuse. Il ne faut pas rater une seule phase.
Au centre : CHRISTIAN ROSENCREUTZ – Un pied humain sur le Paregon ou Œuvre métallique, et un pied de Phénix, l’artiste a visiblement lu Simon Studion et Johann-Valentin Andreae. Le symbole concerne les Cruci Signati ou hommes régénérés par le Christ. L’arc en ciel et les sept couleurs font le trait d’union entre les deux parties. On pense au Fou du Tarot – le début et la fin de la Quête. C’est un cosmoxène, un voyageur, itinérant…
Christian Rosencreutz arbore une couronne de paon qui lui forme une auréole derrière la tête avec sept plumes à l’intérieur. C’est un symbole solaire – le soleil à son zénith – une roue solaire et le soleil symbolise le Christ. C’est aussi une image du Ciel étoilé. Dans l’iconographie chrétienne on voit souvent cet animal s’abreuver au calice eucharistique ou bien on l’aperçoit sur l’Arbre de Vie. Appelé l’animal aux cent yeux, il est signe de béatitude éternelle, de la vision, ou du face à face de l’âme avec Dieu. Chez les Soufis, il représente l’Esprit.
Christian Rosencreutz tient une figure d’Ange dans une main – puissance sur le monde intermédiaire – qui symbolise les séphiroth de la Kabbale ou faces de Dieu. L’Ange est un intermédiaire entre le monde Divin et le monde Humain, il montre la transformation du visible en invisible dans les actes du fondateur de la Rose-Croix. Il est annonciateur de l’intervention divine (voir la Magie Céleste des Frères). Dans l’autre main, il porte comme un bâton qui pourrait représenter la volonté ou will mais ce ne serait pas logique. C’est plutôt un sceptre qui lui prolonge la main et lui confère par conséquent puissance et autorité. Cette puissance et cette autorité lui sont données par le Christ.
Il possède en son cœur ce « hiéroglyphe mercuriel dérivé du point central ou iod régénérateur » qu’est la Monade Hiéroglyphique selon le mot de Grillot de Givry, traducteur français de l’œuvre de John Dee. C’est le résumé de toute la Science des Rose-Croix…
Il a aussi à la hanche la fameuse Bourse de Fortunatus avec lui : « L’année suivante, ayant déjà achevé ses études, il eut l’opportunité de voyager emportant sur lui une somme considérable provenant de la bourse de Fortunatus… » rapporte la Fama. Le personnage populaire de Fortunatus fit l’objet d’un roman ou plus exactement d’un conte à Augsbourg en 1509. Il rencontra un jour la déesse de la Fortune dans une forêt qui lui remit une bourse qui avait le pouvoir de se remplir à chaque fois que le besoin s’en faisait sentir. Il put ainsi traverser de nombreux pays. Une pièce de Thomas Dekker, contemporain de Shakespeare s’intitulait Old Fortunatus.
Trois noms sont inscrits sur sa robe formant un Tau inversé : Cléantes, Zénon de Cition et Chryssipe de Soles, les trois grands noms de l’Ecole stoïcienne. Cette école philosophique de la Grèce antique fut fondée par Zénon, dont le nom donnera le nomen rosicrucien de Zanoni, (le célèbre roman de Lord Bulwer-Lytton au dix-neuvième siècle). Cette vision rationnelle de l’Univers présente un Dieu Logos, où Raison Souveraine, pénétrant et dirigeant tous les êtres. Il fallait consentir à cet Ordre divin pour obtenir sagesse et bonheur. La pratique de la méditation était importante ainsi que vivre en accord avec la Nature. On trouvait d’ailleurs déjà une certaine idée de la doctrine des correspondances et des antipathies ou sympathies.
Chryssipe de Soles (c.281-c.208) disait que le bien et le mal étaient opposés mais que les deux étaient nécessaires. Il se lança dans la recherche du savoir, de la science divine et humaine qui étaient, selon lui, accompagnées de trois vertus principales : la physique (étude du monde), la logique (la vie humaine) et l’éthique (le discours). Les Stoïciens pensaient aussi que la Sagesse prolongeait l’existence de l’âme. La Nature se définissait comme Dieu se mélangeant à la substance du monde. C’était une forme de panthéisme.
Cleanthes (330-263 avant J.-C.), par la suite, mit l’accent sur la participation du Divin à toutes choses, soulignant davantage encore l’aspect mystique. On pouvait communiquer avec Dieu :
« Ô Toi qui est le plus glorieux des immortels, qui a des noms multiples, Tout-Puissant à jamais, Principe et Maître de la Nature, qui gouverne tout conformément à la Loi, je Te salue…Toi, tu sais réduire ce qui est sans mesure, ordonner le désordre ; en Toi, la discorde est concorde. Ainsi, Tu as ajusté en un tout harmonieux les biens et les maux pour que soit une la Raison de toutes choses, qui demeure à jamais, cette Raison que fuient et négligent ceux d’entre les mortels qui sont les méchants… cette Loi qui, s’ils la suivent intelligemment, les ferait vivre d’une noble vie. » Cléanthes – L’Hymne à Zeus.
L’ERGON
Marie Madeleine à genoux et dans les larmes implore le Christ qui est crucifié sur un Tau. On aperçoit le crâne de la vanité… On est sur le Mont Golgotha. I. N. R. I. peut se lire de plusieurs façons différentes : Jesus Nazareus Rex Judacorum ;
Jésus le Nazaréen Roi des Juifs ; Igne Natura Renovatur Integra ; La Nature purifiée est renouvelée par le feu ; Ineffabile Nomen Rerum Initium – Le Nom ineffable est (…)
Gil Alonso-Mier – L’héritage de Christian Rosencreutz – (extrait) – Les Chroniques de Mars, numéro 22 – novembre – décembre 2016.
1614-1615-1616 – 2014-2015-2016
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // L’héritage de Christian Rosencreutz
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Préface de la « FAMA » de 1615 – Édition de Dantzig
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Table des Matières
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Index nominum
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Cahier iconographique – De quelques documents inédits
Gil ALONSO-MIER // Christian Rosencreutz, une incroyable gravure
Gil ALONSO-MIER // L’Auberge du Cœur blanc – La Loge Rosicrucienne de Saint-Albans
Gil ALONSO-MIER // Le tombeau initiatique de Christian Rosencreutz
Gil ALONSO-MIER // La Rose-Croix en France – Les cartels Rosicruciens de 1623
Gil ALONSO-MIER // La « Fraternitas Thesauri Lucis » ou la Fraternité du Trésor de la Lumière
Thierry E. GARNIER // 1604 – La Supernova de Kepler et le Temple du Saint Esprit
Thierry E. GARNIER // L’ultime venue d’Élie Artiste
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François TROJANI // De l’antique mystique des Rose-Croix du XVIIe siècle à l’Alchimie contemporaine
François TROJANI // ERGON et PARERGON
François TROJANI // L’Esprit et l’Être
François TROJANI // Les Rose-Croix et l’Alchimie
RAFAL T. PRINKE // Une copie manuscrite du D.O.M.A
RAFAL T. PRINKE // « Lampado Trado » – De la Fama Fraternitatis à la Golden Dawn
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