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L’apparition formelle des trois Manifestes de la Rose-Croix, en 1614, 1615 et 1616, marque trois dates mémorielles dans l’Histoire de l’Hermétisme occidental. Passé quatre siècles, elles marquent aussi un anniversaire en forme de pierre blanche posée sur la ligne du temps, en signe sacramentel. Un signe des temps mais aussi un sceau de cire rouge orné d’une rose pourpre, en relief, pour signifier à chacun, au passant, au questeur, à quel point les écrits de l’Ancien Ordre mystique sont fondamentaux pour toute quête initiatique authentique.

Les éditions Arqa se devaient de saluer à leur manière ce moment si important, en cette date anniversaire, pour commémorer les quatre-cents ans de la Fama, de la Confessio et des Noces, et pour ainsi faire œuvre utile en présentant de nombreux documents inédits sur ces « Frères invisibles ».

Gil Alonso-Mier – Rafal T. Prinke – François Trojani – Thierry Emmanuel Garnier – Cédric Mannu – Patrick Berlier – Frédéric Garnier – Benoît Fichefet

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« Nous Députés du Collège principal des Frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville, par la grâce du Très-haut, vers lequel se tourne le cœur des Justes. Nous montrons et enseignons sans livres ni marques à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d’erreur de mort. »

* * *

Voici le texte sibyllin écrit sur un mystérieux cartel que découvrirent bon nombre de parisiens au beau milieu de l’été 1623. Les réactions durent sans aucun doute être multiples : émotion, crédulité, étonnement, émerveillement, haussements d’épaule, insultes, indignation, crainte… Il y avait des cartels de ce type un peu partout, à de nombreux carrefours, sur les portes des églises…

Les Rose-Croix étaient apparus au grand jour et jouissaient d’une renommée grandissante, tant en France qu’à l’étranger, surtout dans les milieux protestants luthériens et calvinistes. Ils s’étaient montrés hostiles à la fois au Pape et à Mahomet et profitaient de la vague millénariste… Leurs écrits étaient centrés sur Dieu, l’homme et la Nature. La Fama Fraternitatis, la Confessio Fraternitatis puis Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz sorties respectivement neuf, huit et sept années auparavant furent suivies d’une floraison de libelles pour ou contre l’Ordre.

Il arriva que certains qui les combattirent, rejoignent leurs rangs (Andreas Libavius…). D’autres qui semblaient ne pas en être, l’étaient de cœur et d’esprit (Michael Maier, Robert Fludd… furent leurs meilleurs apologistes !). Parfois l’opposition n’existait que pour le public. Elle n’était que de façade et partisans et opposants étaient dans un même camp (Friedrich Grick alias Irenaeus Agnostus, Daniel Mögling alias Florentius de Valentia, alias Theophilus Schweighardt…). Parfois Rose-Croix et jésuitisme ne faisaient qu’un comme dans les Emblèmes Rosicruciens de Daniel Cramer… Il était vraiment difficile de s’y retrouver !
Le massacre de la Saint Barthelemy, l’assassinat du roi Henri IV en 1604 par Ravaillac (le poignard des Jésuites), la défenestration de Prague, la guerre de trente ans, la défaite de la Montagne blanche furent des revers importants pour les Rose-Croix qui s’étaient donnés pour objectif de « rétablir toutes choses », et, pour y parvenir, ils prônaient la réforme des sciences, de la religion, des arts et de la politique ainsi que la recherche du Bien Suprême, la poursuite d’une Connaissance universelle plaçant Dieu, l’homme et l’univers en un Tout sublime et harmonieux.

Ils se méfiaient des Jésuites comme de la peste, ces contre réformés ou « Chevaliers de Colomb », une des armées secrètes du Pape qui avaient commencé de les infiltrer, selon les directives préconisées par les Monita privata Societatis Jesu (ou Instructions secrètes publiées à Cracovie en 1614). Pour ces derniers, les écrits rosicruciens étaient entachés de Magie, de Cabale, d’Alchimie et d’Hermétisme et ce n’était pas tolérable. La « Conspiration des Poudres » ou tentative de Guy Fawkes d’assassiner le Roi Jacques Ier avait échouée et pour stopper le progrès de la Réforme Protestante et réorganiser le Christianisme de l’intérieur, ils réunirent un Conseil extraordinaire, en 1611, présidé par le Pape. C’est cette même année où parut, sous la tutelle du même Roi Jacques I, la seule (…)

Au nom des Frères de la Rose-Croix

Gabriel Naudé, bibliothécaire de Richelieu et de Mazarin, nous révèle dans ses Instructions à la France sur la Vérité de l’histoire des Frères de la Roze-Croix, écrit en 1623, certains noms très appréciés des sectateurs de ce mystérieux Ordre : ce sont Conrad (Khunrath) et son Amphithéâtre, Trithème et sa Stéganographie, Georges le Vénitien et son Harmonie du monde, Augustin Panthée et sa Voarchadumia, Beccan, le Pimandre, Thyart et sa Musique, Gemmafa et sa Cyclognomonie, Bruno et ses Ombres, Raymond Lulle et sa Dialectique, Paracelse et son Commentaire de Magie sur l’Apocalypse, Oswald Croll… Naudé ironisa à loisir sur les prétendus Rose-Croix !

L’anonymat et la clandestinité restaient préférables en ces temps de trouble. Thomas More, Giordano Bruno, Michel Servet… en avait déjà fait les frais. Adam Haselmayer avait été envoyé aux galères… Porter un ou plusieurs pseudonymes pouvait alors sauver une vie. Ce fut une période trouble où tout le monde s’épiait, où l’on ne savait plus très bien qui était qui, où le mot cabale prenait parfois le sens de complot. Les ouvrages de l’époque font état d’une grande confusion voire d’une énorme panique, notamment en France si l’on en juge par le titre de certaines publications : Effroyables Pactions faictes entre le diable et les prétendus Invisibles, La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps ou prétendus tels, Avertissement pieux et très utile des Frères de la Rose-Croix, L’Examen sur l’inconnu et nouvelle cabale des Frères de la Croix Rosée

L’éminent érudit René Descartes (1596-1650) alias Polybius Cartelius, revenait lui d’un très long voyage dans les pays du Nord, il séjourna en Hollande et en Allemagne de 1618 à 1622, et le bruit courait qu’il était des leurs… Il dut se justifier et dut se faire voir partout dans Paris pour se disculper d’être l’un de ces prétendus « invisibles ». N’avait-il pas été en contact avec Faulhaber ? L’historien Edouard Mehl rapporte que le Miracula ou traité de mathématiques de Faulhaber fut publié en 1622 à l’aide des Rose-Croix. L’écrivain Amir D. Aczel rapporte, lui, que Mögling logea pendant un certain temps chez Faulhaber. Et, la signature René des Cartes au lieu de Descartes en un seul mot était-elle, dorénavant un signe secret de son appartenance à l’Ordre ? Les frontispices de ses ouvrages étaient-ils par trop suggestifs ?

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De plus, le célèbre rêve de Descartes où sa chambre est inondée de lumière ressemblait très fortement à un épisode de la grotte de Christian Rosencreutz tel que décrit dans la Fama et il fut peut-être recopié du Raptus philosophicus de Rodolphilus Staurophorus, sorti en 1619. Il aurait dit, selon son tout premier biographe Adrien Baillet : « Si les Rose-Croix étaient des imposteurs, il n’est pas juste de les laisser jouir d’une réputation mal acquise aux dépens de la bonne foi des peuples ; s’ils appartoient quelque chose de nouveau dans le monde, qui valût la pleine d’être su, il auroit été malhonnête à luy, de vouloir mépriser toutes les sciences, parmi lesquelles il s’en pourrait trouver une, dont il aurait ignoré les fondements ». Plusieurs auteurs ont aussi relevé une singulière dédicace dans un ouvrage écrit en 1619 non publié de Descartes intitulé : Polybii Cosmopolitani Thesaurus mathématicus (ou le Trésor mathématique de Polybe le cosmopolite) : « Totius orbis eruditis et specialiter celeberrimis in G F.R.C denuo oblatus » – « Aux savants du monde entier et particulièrement Frères] R.C en G[ermanie] ».

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La paranoïa était à son comble et la meilleure des tactiques fut pour le philosophe de se montrer au grand jour. Son ami Marin Mersenne, un défenseur de la foi plutôt intransigeant, s’était mis en devoir de chasser « les crimes contre la pensée » afin d’assainir la société de la « vermine » rosicrucienne. Ayant critiqué véhémentement le courant de la Cabale chrétienne, il avait approuvé le supplice d’un Lucilo Vanini (1585-1619), mort à Toulouse ; Mersenne dressa également une liste des écrivains coupables d’athéisme comprenant Giordano Bruno (mort brûlé vif au Campo Dei Fiori à Rome), Cardan, Machiavel, Campanella… Cela débouchera un peu plus tard sur : « L’impiété des déistes, athées et libertins de ce temps, combattue et renversée de point en point par des raisons tirées de la philosophie et de la théologie » ; il s’attaquera également à Robert Fludd !

Le Père Jacques Gaultier, de la Compagnie de Jésus, était lui aussi fort hostile. Dix années plus tard, il consacrera aux Rose-Croix un chapitre de son livre Table chronographique de l’Estat du Christianisme depuis la naissance de Christ, édité à Lyon en 1633, dans lequel l’ecclésiastique déclarera la Rose-Croix comme étant : « un rejeton du luthéranisme, mélangé par Satan d’empirisme et de magie ». Pour le Père Robert, l’Ordre de la Rose-Croix avait quelque apparence de vérité. Il les jugeait plus comme des Anabaptistes que des « Magiciens », comme ils voulaient bien se prétendre. L’auteur anonyme des Effroyables Pactions imputa, lui, aux Frères de la Rose-Croix, des histoires d’assassinats, des évocations diaboliques, des serments infernaux, des scènes de sabbat avec la présence d’Astaroth… Enfin, le Père François Garasse, un jésuite, auteur d’un ouvrage de mille pages intitulé : La doctrine des beaux esprits de ce Temps ou prétendus tels, alla jusqu’à demander pour eux la roue et le gibet…

Bien sûr, le contexte parisien n’était pas le même qu’en Angleterre, qu’en Allemagne ou en Silésie… et les attaques jésuitiques se faisaient pleines de rage et de plus en plus violentes. Le clergé catholique était en ébullition et ses membres en étaient venus à « diaboliser » les membres et les pratiques de la Rose-Croix. L’année 1623 marqua un abcès, une sorte de point de non retour. Organisés en un vaste réseau européen, certains Frères de la Rose-Croix évoluaient à Paris, en toute clandestinité, dans le Marais, au Palais-royal, dans le quartier Saint Marcel… Des rumeurs d’un Collège Invisible de 36 membres avaient fini par se propager un peu partout dans la capitale. On citait même les catacombes comme lieu de rencontre ! Des années auparavant et à différents moments, les Rose-Croix John Dee, Francis Bacon, l’auteur de La Grande instauration, Giordano Bruno et Robert Fludd… étaient venus sur le territoire français. Sans doute y disposèrent-ils quelques jalons pour le futur. Dee fit des conférences sur les mathématiques, sur Euclide en particulier et rencontra des sommités comme Guillaume Postel, que Gabriel Naudé ne manqua pas de brocarder… Francis Bacon, lui, était venu en 1575 à l’âge de 15 ans. En 1576, il était à la Cour de Blois, avant de regagner l’Angleterre. Il revint en 1576, 1578 et 1579 rencontrant Blaise de Vigenère, la Reine Margot… Giordano Bruno vint à Paris en 1582, où il fut chargé de cours au collège de Cambrai. Henri III créa spécialement pour lui, à la Sorbonne, une chaire « extraordinaire » qui le dispensait d’assister aux offices religieux. Enfin, en juillet 1898, Robert Fludd partit pour un voyage en Europe qui allait durer six années sur le continent. Avant de passer par l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne… il s’arrêta lui aussi en France : Paris, Lyon, Avignon, Marseille… Il rencontra bon nombre de personnalités comme le secrétaire en chef de Charles de Lorraine, le quatrième Duc de Guise. Il sera comme par hasard de retour pour la date fatidique de 1604, soit pour l’ouverture de la tombe de Christian Rosencreutz…

Même si l’Ordre avait un temps caressé l’espoir de s’imposer en France, d’autres voulaient les faire sortir de leur tanière. Au même moment, les Alumbrados ou Illuminés d’Espagne qui avaient été chassés de leur pays étaient pris à partie…

Les cartels de 1623

C’est dans ce contexte très particulier que nous venons de décrire que furent placardés les célèbres cartels de 1623, information confirmée dans la correspondance entre Nicolas Fabri de Pereisc et le célèbre peintre d’Anvers, Paul Rubens. Correspondance se trouvant de nos jours à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. Dans une lettre datée du 3 août 1623, nous pouvons lire :

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Gil Alonso-Mier (extraits de L’Héritage de Christian Rosencreutz)Les Chroniques de Mars, numéro 22 – novembre – décembre 2016.

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1614-1615-1616 – 2014-2015-2016

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