L’apparition formelle des trois Manifestes de la Rose-Croix, en 1614, 1615 et 1616, marque trois dates mémorielles dans l’Histoire de l’Hermétisme occidental. Passé quatre siècles, elles marquent aussi un anniversaire en forme de pierre blanche posée sur la ligne du temps, en signe sacramentel. Un signe des temps mais aussi un sceau de cire rouge orné d’une rose pourpre, en relief, pour signifier à chacun, au passant, au questeur, à quel point les écrits de l’Ancien Ordre mystique sont fondamentaux pour toute quête initiatique authentique.
Les éditions Arqa se devaient de saluer à leur manière ce moment si important, en cette date anniversaire, pour commémorer les quatre-cents ans de la Fama, de la Confessio et des Noces, et pour ainsi faire œuvre utile en présentant de nombreux documents inédits sur ces « Frères invisibles ».
Le concept de «Tradition» est diversement défini et généralement pas très précisément. Pour le propos de cet article, je vous propose de le comprendre comme une succession de personnes ou de groupes qui étaient en contact avec ceux qui ont précédé immédiatement et qui leur ont succédé, en passant par un certain corpus d’enseignements. Ces enseignements restent les mêmes en ce qui concerne les questions cruciales bien qu’ils subissent de nombreux changements à la surface. Les changements sont les principales causes des schismes et des attitudes sectaires au sein de presque toutes les traditions. Il suffit de mentionner toutes les confessions chrétiennes dont chacune trouve ses racines dans la personne de Jésus-Christ, ou les nombreux rites de la Franc-maçonnerie découlant de la Grande Loge d’Angleterre. L’étude des traditions est à bien des égards similaire à la recherche généalogique où les descendants d’une personne possèdent tous le même nom, mais leurs traits de personnalité peuvent s’avérer radicalement différents en raison de l’héritage génétique des ancêtres féminins qui peuvent être comparés à l’influence extérieure sur des groupes occultes et des enseignants.
Dans cet article je voudrais retracer simplement une succession « généalogique » à l’intérieur du grand « arbre » de la Tradition Hermétique. Mon hypothèse déjà présentée aux lecteurs du Journal hermétique est qu’il exista un Ordre Rosicrucien qui apparut en même temps ou peu de temps après la publication des Manifestes d’Andreae et de son cercle, mais il ne fut pas connecté avec eux. Le travail le plus important produit par ce groupe fut le texte connu sous le nom de D.O.M.A qui fut d’abord publié avec quelques éléments supplémentaires dans le Geheime Figuren (Altona 1785-1788) et plus tard réédité à plusieurs reprises, également dans les traductions en anglais.
* * *
Dans la bibliothèque de l’Université de Wroclaw (Breslau), la capitale de la Silésie, j’ai découvert une copie manuscrite du texte D.O.M.A qu’accompagnait un manuscrit du The Magical Calender. Il a été mentionné par Peuckert qui pensait, sur la base de l’analyse paléographique, pouvoir le dater de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il dit même que la première date envisagée est 1620, ce qui est bien antérieur à toutes les autres versions de manuscrits connus du même texte. L’étude la plus complète de plusieurs versions du texte D.O.M.A à ce jour est l’introduction de M. P. Hall pour son édition de celui-ci. Les variantes connues de lui sont les suivantes :
1- Le manuscrit en sa possession, publié en fac-similé avec la traduction en anglais, daté de la seconde moitié du XVIIIe siècle (probablement de 1775 à 1780).
2 – Le manuscrit Sachse appartenant au Dr Julius Sachse de Philadelphie et vendu par sa fille, daté du début du XVIIIe siècle,
3 – Le manuscrit Hauser, plus tard vendu à un collectionneur britannique, daté du XVIIIe siècle.
4 – Le manuscrit Hitchcock, plus tard vendu à une bibliothèque américaine, copie imparfaite, date inconnue.
5 – Le manuscrit Russe, détails inconnus.
6 – Le manuscrit français, daté d’environ 1775.
Le manuscrit Sachse est le plus ancien des six et M. P. Hall déclare même qu’« il y a une possibilité pour qu’il puisse être l’archétype où les autres ont puisés » (p. 38). Cependant, sur la base des quatre reproductions de celui qu’il publia d’après le travail de Sachse, il est possible de démontrer que c’est aussi une copie. La planche représentée sur la droite de la p. 37 comporte le titre de « Figura divina Theosoph : Cabal : nec non Magia, Philosophia et Magia » qui est une erreur manifeste commise par le copiste. Le dernier mot doit être « Chimia » comme dans les autres versions, au lieu de répéter « Magia » pour la deuxième fois, ce qui n’a aucun sens.
En bas à gauche, on peut voir un signe composé de quatre flèches, qui appartient en propre à un motif central de petits cercles dans le diagramme. Le manuscrit Wroclaw du D.O.M.A est écrit à l’encre noire, rouge et verte et sur les deux faces du papier. L’écriture est moins ornée, ce qui suggère, avec d’autres caractéristiques, qu’elle appartient à la seconde moitié du XVIIe siècle, comme nous l’avons déjà mentionné. Je l’ai fusionné avec le manuscrit Hall et j’ai constaté un certain nombre de divergences mineures, mais en général, il est exactement identique. Toutes les planches sont les mêmes et dans le même ordre.
Il est évidemment impossible de décrire toutes ces différences ici, mais on devrait tout au moins en reproduire une version de sorte que les lecteurs puissent suivre mes explications. En général, le manuscrit Wroclaw semble être le plus logique et le plus conforme à la tradition hermétique. Par exemple, sur la planche mentionnée ci-dessus, dans la partie centrale, il y a les mots, « Sulphur philosophorum » à gauche et « Sal philosophorum » sur la droite. Dans les deux manuscrits Sachse et Hall, les mots sont écrits tout à fait en évidence au dessus de la section inférieure des symboles dans de petits cercles tandis que dans le manuscrit Wroclaw et dans la publication d’Altona, ils sont placés au dessus des deux cercles plus près du centre. Cette dernière position est évidemment correcte et en accord avec le contenu symbolique de la planche. Un autre exemple est dans la planche intitulée « Vierge Sophia », où, dans le coin inférieur droit il y a deux petits cercles, dont l’un contient un symbole similaire à la Monade de Dee et l’autre a un oiseau bicéphale (Phénix, comme le dit le texte ). Dans le manuscrit Hall ces symboles sont inversés, bien que les textes qui les décrivent restent dans le lieu d’origine et donc le symbole de la « Monade » est décrit comme un Phénix, tandis que l’oiseau est décrit comme une baguette de divination. La même erreur est répétée une fois de plus sur la même planche avec les cercles de « Tête de Corbeau » et « l’huile incombustible ».
Toutes les erreurs de ce genre peuvent être trouvées dans tous les manuscrits et dans l’édition d’Altona mais je n’ai pas trouvé quelque chose du même genre dans le manuscrit Wroclaw, ce qui semble suggérer que cela peut avoir été l’original ou une des premières copies dans laquelle les erreurs ne s’étaient pas encore glissées. Il y a cependant un point d’intérêt spécial qui confirme mon hypothèse que c’est bien l’original parmi tous les autres textes du D.O.M.A Sur la planche intitulée « De Dieu et la Nature » (pl. 10 dans le Hall) il y a une inscription ajoutée par une main différente (c’est à dire plus tard) dans la partie inférieure gauche. Dans les autres versions (c’est-à- dire le manuscrit Hall et l’Altona) cette note se trouve incorporée au texte et se déplace jusqu’à la partie médiane de la planche.
Une autre note émanant d’une main différente, beaucoup plus tard et à l’encre brune, est ajoutée dans la partie inférieure gauche de la planche « Figura Divina ». C’est une référence à l’œuvre « Licht (?) Der Natur » (je ne suis pas sûr du premier mot) d’Anonimus von Schwarz publié à Francfort et Leipzig en 1706. Comme cette note n’apparaît pas dans le Hall ou dans l’Altona, le manuscrit Wroclaw doit avoir été copié par d’autres entre ces deux ajouts effectués. Pour résumer, je suggère que le manuscrit Wroclaw du D.O.M.A est l’original parmi tous les autres textes et qu’il a été produit dans la seconde moitié du XVIIe siècle (très probablement autour de 1650).
Maintenant, la question se pose de savoir qui était son ou ses auteurs ?
(…)
Rafal T. PRINKE – Texte traduit par Gil Alonso-Mier (extraits de L’Héritage de Christian Rosencreutz) – Les Chroniques de Mars, numéro 22 – novembre – décembre 2016.
1614-1615-1616 – 2014-2015-2016
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // L’héritage de Christian Rosencreutz
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Préface de la « FAMA » de 1615 – Édition de Dantzig
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Table des Matières
400e ANNIVERSAIRE de la ROSE-CROIX // Index nominum
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