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L’apparition formelle des trois Manifestes de la Rose-Croix, en 1614, 1615 et 1616, marque trois dates mémorielles dans l’Histoire de l’Hermétisme occidental. Passé quatre siècles, elles marquent aussi un anniversaire en forme de pierre blanche posée sur la ligne du temps, en signe sacramentel. Un signe des temps mais aussi un sceau de cire rouge orné d’une rose pourpre, en relief, pour signifier à chacun, au passant, au questeur, à quel point les écrits de l’Ancien Ordre mystique sont fondamentaux pour toute quête initiatique authentique.

Les éditions Arqa se devaient de saluer à leur manière ce moment si important, en cette date anniversaire, pour commémorer les quatre-cents ans de la Fama, de la Confessio et des Noces, et pour ainsi faire œuvre utile en présentant de nombreux documents inédits sur ces « Frères invisibles ».

Gil Alonso-Mier – Rafal T. Prinke – François Trojani – Thierry Emmanuel Garnier – Cédric Mannu – Patrick Berlier – Frédéric Garnier – Benoît Fichefet

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L’ultime venue d’Élie Artiste


« Voici, je vous enverrai Élie, le prophète, avant que le jour de l’Éternel arrive, ce jour grand et redoutable »


Livre de Malachie – IV

Au XIIe siècle, le moine calabrais Joachim de Flore est à l’origine de la Prophétie dite des « Trois Règnes du Monde » qui aura un écho fabuleux dans tout le monde médiéval pour fulgurer jusqu’aux Rose-Croix du début du XVIIe siècle. Ceux-ci firent de cette prophétie une rhétorique récurrente de tout leur édifice, grâce notamment à l’avènement du « Troisième Élie », promis de façon sous-jacente dans les textes eschatologique du moine cistercien et parfaitement anticipé par le divin Paracelse qui nomme Élie a de nombreuses reprises comme étant la figure tutélaire des Alchimistes œuvrant au laboratoire.

« Dieu fera savoir aux hommes les enseignements de peu de valeur, mais la plus importante des connaissances sera gardée cachée jusqu’aux temps de la Connaissance suprême et la venue d’Élie Artiste. Ces Arts ne sont rien sans leur Élie ».

Paracelse – Traité des Minéraux

Cette pré-connaissance tripartite des « Trois Règnes du Monde », en trois âges distincts, s’exprime ainsi selon Joachim de Flore : à l’âge du Père – âge de l’Ancien Testament – initialisé par Adam, correspond les racines et le tronc d’un arbre, sans doute l’arbre biblique de la Connaissance, un figuier. Autour de celui-ci s’enroule la vigne salvatrice du Nouveau Testament qui proclame l’avènement de l’âge du Fils, du Dieu Amour, symbolisé par le sacrifice du Christ Rédempteur sur le Golgotha. En dernier lieu, l’âge du Saint-Esprit ou âge d’or – qui se trouve être l’écorce de l’Arbre – prend son impulsion à partir de l’année 1200. Cette nouvelle ère ignée doit marquer le remplacement, à Rome, de l’Église de Pierre, par un nouvel ordre monastique : « l’Ordre des Boni Eremitae », autrement dit – symboliquement – un âge d’or empli de savants-théologiens, mystiques et ermites disséminés de façon isolée partout dans le Monde et, rajouterons-nous, s’interconnectant ensemble grâce aux bienfaits de l’Ère du Verseau… Une ère conçue pour s’achever inéluctablement, passés les siècles d’illuminations et d’embrasements intellectuels, dans les flammes de la Géhenne, avec l’anéantissement apocalyptique de la Fin des Temps.

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Joachim de Flore précise sa pensée de la façon suivante :

« De même que la lettre de l’Ancien Testament semble appartenir au Père, par une certaine propriété de ressemblance, et au Fils la lettre du Nouveau Testament ; de même l’intelligence spirituelle, qui procède de tous les deux, appartient au Saint-Esprit. D’après cela, l’âge où l’on s’unissait par le mariage fut le règne du Père ; celui des prédicateurs est le règne du Fils ; et l’âge des religieux, ordo monachorum, le dernier, doit être celui du Saint-Esprit. Le premier avant la Loi, le second sous la Loi, le troisième avec la Grâce. »

Joachim de Flore – Expositio – Apocalypse, XVII

Dans un tel contexte de Révélation ultime il est donc difficile ici de ne pas évoquer la figure chiliastique d’Élie Artiste, le « troisième Élie », considéré comme tel par les Rose-Croix qui le nomment fréquemment dans leurs écrits mystiques quand ils ne le rencontrent pas – en chair et en os – en tant qu’instructeur de la faisabilité de la Pierre Philosophale. Les commentateurs d’alors décalqueront d’ailleurs parfois, avec une certaine pertinence, les Rose-Croix eux-mêmes dans leur ensemble à la simple figure d’Elie Artiste.

Ce « troisième Élie » intervient manifestement en tant qu’interlocuteur privilégié pour les Rose-Croix, après le Prophète solaire du Mont Carmel et Jean le Baptiste, encore dénommé « le Précurseur ». La lignée des Élie ne peut s’estimer dignement sans la compréhension ultime de cette trilogie de Feu qui prend sa source sur les proches rivages de Méditerranée et sur les grèves enchantées du lac de Tibériade et du Jourdain, en Palestine, sur les herbages secs et jaunis au sommet du mont Thabor aussi, comme le souligne fort à propos François Trojani dans son article consacré à l’Ergon des Rose-Croix. On sait qu’Élie se battit contre les infâmes prêtres de Baal et vainquit les suppôts du Démon en appelant, grâce à Dieu, le Feu céleste à descendre des nuées… C’est ce miracle que firent également les « fils du tonnerre » ou Boanergès, surnom prédestiné donné à Jacques et Jean, les fils de Zébédée, par le Galiléen. (Un tel prodige de Magie céleste ne peut s’effectuer sans une transmission divine très particulière de la plus haute autorité, ce phénomène mystérieux fut pourtant encore perpétré – par résurgence – à la lisière du XXe siècle, par un certain thaumaturge lyonnais).

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Si les Écritures nous enseignent sur la venue du second Élie : « Il est vrai qu’Élie doit venir et qu’alors il rétablira toutes choses. Mais Je vous déclare qu’Élie est déjà venu et qu’ils ne l’ont pas reconnu » – Matthieu – XVII – 11, il est possible que certains témoins de la Lumière, le petit nombre, le reconnurent cependant à sa juste valeur. Jean Baptiste, ou « second Élie », qui donna à Jésus de Nazareth le Baptême, est considéré par les Mandéens comme le véritable Messie et le seul vrai prophète. Cette peuplade ancestrale bénie de Dieu, encore appelée « chrétiens de Saint Jean », détentrice indéniablement d’une très ancienne Connaissance révélée par les eaux baptismales – d’où leur nom de mandéens en araméen – et gnostiques en grec, possédait à travers leur religion foncièrement dualiste des pouvoirs thaumaturgiques surnaturels indéniables, facultés suprasensibles capables de contrer toutes les attaques du Malin.

L’avènement du « troisième Élie » autrement dénommé « Élie Artiste » ou « Elias Artista », fut parfaitement prophétisé par Paracelse et rapporté ainsi, en son temps, par Stanislas de Guaita : « Elias Artista ! Génie recteur des Rose-Croix, personnification symbolique de l’Ordre, ambassadeur du saint Paraclet ! Paracelse le Grand prédit ta venue, ô Souffle collectif des généreuses revendications, Esprit de liberté, de science et d’amour qui doit régénérer le monde ! »

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Le terme « Artista » est ici à prendre au sens médiéval du terme, il induit une idée de création pratique, de métier manuel consacré aux choses artisanales, autrement dit en rapport avec les choses de la main, mais liées aussi aux ravissements, à la beauté vivante, à la peinture, à la sculpture et à la poésie des Fidèles d’Amour mise en musique par les troubadours et les ménestrels. Au sens ontologique, « l’Artiste » devient Thaumaturge miséricordieux en imposant ses mains chenues sur les corps malades de l’Humanité souffrante ; il demeure Prophète et Lumière incandescente, il est « Hélios » observant avec attention la course des planètes mais il est aussi le forgeron contemplatif rivalisant d’adresse et aidant à réaliser devant l’athanor fumant les régules étoilés ; il observe le porte-voix, dans sa robe de lin, le Mage kabbaliste fluorescent et lunaire, tenant en main l’épée flamboyante tout en déclamant ses invocations au centre du triple cercle retraçant le Sigillum Dei Aemeth ; il accompagne encore l’enfant rieur et insouciant allant faire paître aux prés tendres nimbés de rosée son troupeau de brebis. Il est toujours le Messie des Rose-Croix capable d’aider à vaincre la seconde mort, il est le Gardien d’Éternité qui apporte en silence, aux peuplades déshéritées ainsi qu’à l’initié anachorète, la Connaissance des religions révélées. Il enseigne enfin en secret, grâce à des pactes de feu, aux rares élus dont le sang des Rose-Croix coule toujours dans les veines, les mystères atlantes jamais nommés.

Au lointain, dans l’azur, une tradition immémoriale consacre la grotte du Prophète Élie, le premier de la lignée, comme une maison secrète de la Rose-Croix où, de tous temps, des pèlerinages initiatiques furent opérés à la suite de l’occupation ancienne des moines du Mont Carmel, à l’époque des croisades. Aujourd’hui encore, à flanc de montagne, rougie à sang par le coucher du soleil d’Israël, surplombant dangereusement les flots indigo de la méditerranée, la grotte d’Élie conserve encore tous ses secrets inviolés. Agencée à présent à la manière d’une minuscule synagogue, des hommes venus d’ici et d’outre-mer, des hommes des trois religions du Livre s’y côtoient quotidiennement en très petit nombre, en toute discrétion.

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Pour y pénétrer avec humilité, depuis la mer, nous nous devons d’arpenter une imposante série d’escaliers abrupts qui s’enchevêtrent longuement à travers un étroit chemin pentu. C’est en progressant, tout en priant, au versant du mont Carmel, large massif rocailleux bordé de chênes verts et de maisons séculaires, que l’on débouchera finalement sur ce lieu intime plus que sacré. Au fond de la grotte, éclairée de pâles bougies blanches tremblotantes dans la noirceur de la caverne, derrière une lourde tenture de velours noir brodée de parements d’ors et d’argent dessinant deux longs candélabres allumés surmontés d’une couronne royale et des Tables de la Loi, on distinguera une curieuse anfractuosité hémisphérique, sombre et bouleversante, de pierre taillée en forme humaine, directement dans la montagne côtière (voir cahier iconographique). Elle servait quotidiennement à Élie de reposoir et de lieu de méditation. On peut encore aujourd’hui, lorsque l’on s’emboîte pour prier dans cette structure minérale, sentir à fleur de peau dans cette cavité noire et tragique, sous l’usure du temps, la patine des hommes pieux et la pierre polie par les âges ; sentir encore frémir à la surface des rochers millénaires les prières sonores d’Élie, des grands prophètes bibliques et des anciens ermites de l’Ordre du Carmel, installés en ce minuscule sanctuaire perché au-dessus de la mer, depuis le XIIe siècle…

Revenons pour achever à l’Elie des Rose-Croix.

Le troisième Elie, par rapport à ses prédécesseurs, semble donc être à la fois un prophète incarné vivant possiblement entre deux mondes, réincrudant quand il l’estime nécessaire une goutte d’élixir de jouvence au sein d’une matrice dilatée – en perte de vitesse – distillant son savoir, passant invisiblement parmi les hommes en faisant le bien. Il est également le symbole providentiel d’un Cercle Rose-Croix dissimulé dans les coulisses de l’Histoire mais aussi un personnage de légende, à la manière d’un Christian Rosenkreutz, anobli par les textes Rose-Croix mais néanmoins rendu évanescent, presque insaisissable, par sa non présence. En réalité, pour peu que l’on s’y attarde un peu, on constatera que la doctrine métaphysique enseignée par les trois Élie est bien trine, car il ne peut en être autrement ! Elle concerne les Gimel kavim de la Grande Tradition. Les trois Élie, les trois figures sublimes des Rose-Croix, de l’Ancien et du Nouveau Testament, ramassées en un seul accord – entre un inspir et deux expirs – les trois n’en faisant qu’un, à l’évidence, prônant à la fois la Justice divine, la Charité divine et la Connaissance divine.

En dernier lieu, on signalera que la mission intrinsèque du « troisième Élie »

(…)

Thierry E. GARNIERLes Chroniques de Mars, numéro 22 – novembre – décembre 2016.

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1614-1615-1616 – 2014-2015-2016

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