L’apparition formelle des trois Manifestes de la Rose-Croix, en 1614, 1615 et 1616, marque trois dates mémorielles dans l’Histoire de l’Hermétisme occidental. Passé quatre siècles, elles marquent aussi un anniversaire en forme de pierre blanche posée sur la ligne du temps, en signe sacramentel. Un signe des temps mais aussi un sceau de cire rouge orné d’une rose pourpre, en relief, pour signifier à chacun, au passant, au questeur, à quel point les écrits de l’Ancien Ordre mystique sont fondamentaux pour toute quête initiatique authentique.
Les éditions Arqa se devaient de saluer à leur manière ce moment si important, en cette date anniversaire, pour commémorer les quatre-cents ans de la Fama, de la Confessio et des Noces, et pour ainsi faire œuvre utile en présentant de nombreux documents inédits sur ces « Frères invisibles ».
La Rose est un nombre et le Lys est sa croix
« Qui donc a marié la Rose à la Croix ? » s’interrogeait Goethe à bon droit. De même que pour la symbolique de la Croix, la révélation ultime et indubitable des authentiques Rose-Croix fut la connaissance avérée, nombrée et articulée, de ce que Jacques Breyer appela, il y a trente ans déjà, la « Rose Numérique ». Pour Breyer, la Rose numérique est « une étoile miraculeuse que des Initiés de toutes races, au travers des temps, ont diversement tenue, chantée, et imposée. » Jacques Breyer (1922-1996) fut l’un des très rares initiés à avoir conservé par devers lui des données métaphysiques de première importance sur ce sujet épineux et en avoir fait publiquement état dans ses ouvrages érudits ou dans ses multiples conférences. En déposant ainsi ces balises à retardement durant plusieurs décennies Breyer fit une œuvre charitable, honorant ses concitoyens en quête de vérité et gratifiant de la sorte la Tradition hermétique en cette fin de XXe siècle d’un sursaut d’orgueil. Bien que considérée de toute éternité comme la Pierre philosophale de la Métaphysique, la Rose numérique demeure encore en ce XXIe siècle un sujet interdit pour bien des cherchants.
Jacques Breyer ne possédait certes que la moitié du Grand+Arcane, ce qui est déjà considérable, mais il avait eu le courage indéniable de présenter ses recherches issues de révélations et de rêves médiumniques (Cf. Terre-Omega). Il dira à propos de la Rose numérique : « Au début de l’année 1976, après un dur labeur, je découvris soudainement la Fleur des Fleurs. Un songe, suivi d’une Manifestation me donnèrent enfin son Maître-Mot… il signifie – Je suis le sel de la matière. » Ces explorations émérites, menées tambour battant à partir du mois de mars 1952, furent ensuite patiemment restituées à travers un enseignement magistral donné durant sept années pleines et entières de 1968 à 1975. De grandes parties de ses livres dénotent une extrême acuité envers la Métaphysique de ses pairs, notamment de Dante, et présentent une originalité peu commune où la « Voie des Nombres », en priorité, et « l’Art du Trait » parlent excellemment et instruisent beaucoup mieux qu’un long monologue. Sans aucun doute les temps étaient-ils venus d’en dire autant et Breyer avait sans conteste obtenu toutes les garanties nécessaires à une telle divulgation. De ce que nous pouvons rédiger ici, notons qu’il est tout d’abord particulièrement difficile d’évoquer cet aspect principiel de la Rose-Croix du seul point de vue de l’historien, tant les éléments hermétiques indissociables contenus dans ce registre ne peuvent être appréciés dignement sans faire appel à des données ontologiques quasi-absentes – pour ne pas dire réfractaires – chez le dogmatique universitaire comme chez le scientifique retors, tous deux parfaitement immunisés aux choses de l’Esprit. Nous allons pour autant et pour l’heure nous en tenir uniquement à des éléments factuels.
Tout d’abord, nous n’aurions certainement pas écrit cette étude si nous n’avions découvert récemment grâce à un vieil ami archiviste – féru d’études crypto-hermétiques depuis plusieurs décennies – une magnifique illustration d’une Rose numérique réalisée par un authentique précurseur allemand de la Rose-Croix de la fin du XVIe siècle… Ce symbole révélé à nouveau à nos yeux indique bien que la connaissance parfaite de cet illustre Arcane avait été préservé du commun par l’Ordre invisible fondé mythologiquement par Christian Rosenkretuz. Ce dessin stupéfiant d’une Rose numérique associé à un Lys – qui est aussi une Croix – confortera nos propos sur la dualité arithmosophique de cette fameuse rose parfaitement « nombrée », et telle que nous le propose en lecture l’Apocalypse de Jean – (nous reprenons bien sûr ici les travaux de Jacques Breyer dans ces différents textes et notamment Vaincre la seconde mort). Cette démonstration réconfortera par ailleurs nos possibles contradicteurs quant à nos prédispositions sincères face à la Rose numérique. L’intérêt primordial de cette incroyable découverte étant d’ailleurs quelle démontre incontestablement le bien-fondé de nos écrits et prouve donc, par incidence, la validité inattaquable des travaux antérieurement publiés par Jacques Breyer puisque ce document inédit, daté de 1604, évidemment inconnu de Breyer, est antérieur de plus de quatre siècles aux études de ce dernier.
Si aujourd’hui les différents temps de la Rose numérique ont été donnés à travers l’enseignement magistral de Jacques Breyer, les différents temps de la Croix s’observent, eux, en parfaite complémentarité et restent pour un moment encore le seul apanage possible du Livre T. Pour le cherchant sur cette voie, maîtrisant la métaphysique de Jacques Breyer, nous donnons ici la seconde partie de la Clef de la Rose Numérique en résonance avec l’expir de la Rose, selon ses différents temps, confrontée comme il se doit, et en miroir, à la lecture de l’Apocalypse de Jean. Il s’agit d’une série de 20 couples correspondants aux points de jonction de l’expir de la Rose (sur le schéma préétabli en plan) et donnant tous, par réduction théosophique, exactement comme pour la Rose numérique dans son inspir, un total de X, soit : 29/35 – 20/26 – 11/8 – 8/2- 3/7 – 12/16 – 21/25 – 30/34 – 4/6 – 31/33 – 10/36 – 18/28 – 13/15 – 22/24 – 1/27 – 9/19 – 11/17 – 26/29 – 20/ 17 – 35/2.
Les illustrations d’une Rose numérique et d’un Lys numérique accolés, tous deux surmontés d’un phylactère avec les mentions latines : Rosa et Lilium (pour Rose et Lys – Lilium longiflorum), que nous présentons dans cet ouvrage, magnifiques fleurs superbement dessinées par Joachim Lederlin (c.1550-c.1604), sont issues d’un très rare manuscrit ancien bien peu étudié, conservé à la Bibliothèque de Stuttgart et rédigé par l’érudit historien, archéologue, mathématicien, philologue, poète et prophète allemand, Simon Studion (1543-c.1605). (Nous avons eu pour notre part la possibilité d’observer ces rares documents, dans les moindres détails, grâce à des prises de vue macrophotographiques réalisées sur place par notre ami Gil Alonso-Mier, en 2014).
Correspondances entre la Rose numérique de Simon Studion de 1604
et la Rose numérique de Jacques Breyer de 1976
(études et recherches T. E. Garnier)
* * *
C’est en hommage à Frédéric Ier de Wurtemberg, le livre lui est consacré, que Studion rédige une seconde fois, un long manuscrit de près de deux mille pages intitulé la Naométrie soit la « Mesure du Temple Sacré », ouvrage qui ne traite, présenté de façon allégorique, que de la « Jérusalem Céleste », de ses mesures, de son fonctionnement pratique, et d’une certaine manière de sa durée, puisque Studion traitera aussi très longuement, à la manière d’un Joachim de Flore, d’une certaine « Alchimie de l’Histoire » à laquelle nous nous sommes déjà familiarisés.
On retrouvera dans le manuscrit de Simon Studion, daté de 1604, rappelons-le, soit dix ans avant la Fama Fraternitatis, un frontispice entièrement calligraphié et peu commun, puisqu’il y est question de la Confrérie de la « Milice Céleste », la fameuse « Militia Crucifera Evangelica » dont Studion aurait été le Grand-Maître occulte et donc un précurseur invisible de la Rose-Croix. A propos de la Militia Crucifera Evangelica, Studion rapporte dans la Naométrie qu’il s’agissait d’une « Milice évangélique » placée sous le signe de la Croix dont le but avoué était de contrer par tous les moyens envisageables l’hégémonie papale. Cette Milice fut fondée officiellement à Lunebourg, en Basse-Saxe, en 1586, au cours d’une réunion diplomatique entre nobles émissaires. Il aurait été envisagé alors par les grands des royaumes un rapprochement géostratégique, militaire, politique et théologique entre Frédéric de Wurtemberg, Jacques Ier d’Angleterre et Henri de Navarre, le futur roi de France.
À l’appui de cette thèse, selon laquelle Studion fut un authentique Supérieur Inconnu, au sens noble du terme, précurseur invisible de la Rose-Croix, un ouvrage biographique en trois tomes de Ludwig Melchior Fischlin (1672-1729), intitulé Memoria theologorum Wirtembergensium, publié en 1710, cite nommément Jakob Andreae, le grand-père de Johann Valentin Andreae le supposé « auteur » de la Fama Fraternitatis et traite en quelques lignes de la Naométrie de Studion. Dans l’article XXI du livre, l’auteur entend démontrer que la Rose-Croix est une société secrète bien réelle et donc déjà existante et non pas un « ludibrium », comme voudra le faire accroire plus tardivement Johann Valentin Andreae après les publications explosives de 1614, 1615 et 1616. Dans ce livre daté de 1710, Simon Studion y est cité nommément en tant que Rose-Croix.
Dans la Naométrie, en retrouvera de nombreuses allusions subtiles à la Rose et à la Croix ainsi qu’un dessin de Joachim Lederlin, à la page 271 du livre, en forme de « Rose ». Une figure géométrique simplifiée comprenant sept cercles concentriques imbriqués dans un carré en filigrane, agrémenté de nombreuses dates prophétiques, avec au centre du dessin un cœur circulaire crucifère. Sur un phylactère calligraphié surmontant la partie supérieure du dessin, on peut voir inscrits les mots latins : « Portæ quatuor Hierichwrtis, iuxta quatuor cœli, et libri, intus, et foris scripti plagas », le w de « Hierichwrtis » étant en réalité à lire comme un omega grec, donc un o. Cette particularité est signalée par un petit signe au-dessus du w. Une traduction littérale nous donnerait : « Les quatre portes de Jéricho, à côté des quatre cieux, et du livre, au-dedans, et au-dehors de l’écrit, les étendues. » Il s’agit d’un titre évidemment poétique, à prendre comme tel, écrit en latin ancien, comme on peut le constater avec le mot « quatuor » qui s’écrirait « quattuor » en latin puriste – sentence peut-être aussi retranscrite du grec, ce qui expliquerait l’oméga.
Une traduction plus conforme à l’hermétisme traditionnel de Simon Studion nous donnerait : « Les quatre portes du Monde (de Jéricho), proche des quatre horizons (directions), et du Livre (scellé) écrit sans ratures, à l’intérieur comme à l’extérieur. » Dans la traduction, le mot « foris » pouvant en outre signifier sans et « plagas » ratures ce qui donne « un livre (divin) écrit sans ratures ». Nous sommes bien ici dans une allégorie apocalyptique si chère à Studion. Jéricho est le symbole du Monde (Cf. Livre de Josué – VI) ; les trompettes de Jéricho renvoyant aux trompettes de l’Apocalypse et les différentes dates contenues dans le « labyrinthe » de Studion ne sont autres que le décompte minutieux d’une grande horloge cosmique dévolue au plan terrestre. Bien entendu le livre dont nous parle Studion dans sa vision prophétique : « libri, intus, et foris scripti plagas » n’est autre que le livre « roulé » de l’Apocalypse de Jean (Cf. Apocalypse – V) écrit par devant et par derrière, c’est-à-dira recto-verso et scellé de sept sceaux. Notons au passage la racine « Rouah » commune aux villes de Jérusalem et de Jéricho, rouah signifiant à la fois le souffle et l’esprit, on retrouvera cette similitude allégorique également en latin ou le terme de « spiritus » se traduit de la même manière. On comprend mieux avec un tel phylactère ainsi traduit la puissance divinatoire et la capacité d’évocation que pouvait avoir Studion. Indéniablement, le dessin peut être conforme à la symbolique que nous avons déjà sous-entendue précédemment concernant les propriétés naturelles et ontologiques de la « Rose de Jéricho ».
La Rose numérique est un véritable mandala, elle est l’étoile polaire qui brille sans cesse au firmament des consciences révoltées. Elle est le point névralgique de la construction métaphysique du monde manifesté au cœur de la Terre Mère et l’ultime secret enfoui sous la tourbe des matras des chevaliers du Temple et des illustres Rose-Croix. Au centre de la « Rose Numérique » de Jacques Breyer se trouve le nombre 5, au centre de la « Rose+Lys » de Simon Studion se trouve le nombre 5, au centre du « Lo Shu », encore appelé carré magique de Saturne ou carré de la « Jérusalem Céleste », se trouve le nombre 5. Cette Rose est la « Rose églantine » et le nombre suprême de l’Homme et du Divin qui ouvre par magie le pentacle flamboyant des Arcanes et donne sans crier gare au pèlerin de Compostelle la clef des Grands Mystères. Elle est la Rose à cinq pétales des Tudor, la rose rouge de Lancastre et la rose blanche d’York. Elle est au centre du Sigillum Dei Aemaeth de John Dee ; au centre de la « Rose Cosmique » d’Heinrich Khunrath et de son Amphitheatrum sapientiae aeternae… (…) ;
Thierry E. GARNIER – Les Chroniques de Mars, numéro 22 – novembre – décembre 2016.
1614-1615-1616 – 2014-2015-2016
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