À bien des égards, le Mémorial de Blaise Pascal est un écrit – à part – hors norme ; miraculeux par sa découverte, singulier dans sa conception, extraordinaire par son écriture, transcendantal par l’émoi qu’il provoque. Pour notre part, nous le mettons dans notre panthéon des écrits mystiques avec La Nuée sur le Sanctuaire de Karl von Eckartshausen, L’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis et Quelques traits de l’Église intérieure d’Ivan V. Lopoukhine, quant à la flamme salvatrice qui s’en dégage et aux fumées d’encens qui embaument sa présence. Ce manuscrit de Pascal, véritable credo de quelques lignes seulement, nous amène à regarder « autrement » la parole du mathématicien, à le lire autrement, à le dire autrement, à le ressentir autrement, en douceur, en silence, avec la pesanteur et la « grâce » particulière des jansénistes que nous esquisserait volontiers une Simone Weil bienveillante penchée sur notre épaule.
C’est ce à quoi nous invitons maintenant notre lecteur qui inclinera à goûter ce mets précieux – cet « agneau pascal » – à la lueur de sa foi pour une mystique du désir que nous prônons une fois de plus et qui nous amènera sans cesse à la relecture de ce texte si évocateur.
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Afin de mieux concevoir notre travail original de réflexion typographique qui ouvre notre essai sur la « nuit de FEU » de Blaise Pascal, étude principalement liée à une lecture particulière nommée depuis le IIIe siècle par la tradition monastique occidentale « lectio divina » et, à titre de comparaison, afin de mémoriser différemment ce texte dans sa version académique, nous redonnons ici dans notre édition, à la fois le fac-similé du manuscrit original ainsi que sa disposition typographique dans sa composition la plus récente avec l’orthographe présentée dans l’édition parue chez Flammarion, à Paris, en 2015. Ce document rapidement intitulé par les proches de Blaise Pascal de « mémorial » fut découvert au décès du grand écrivain par un domestique de la maisonnée dans la doublure du pourpoint de Pascal, quelques jours seulement après la mort du philosophe survenue à son domicile le 19 août 1662 à Paris, à une heure du matin. Les derniers mots du mystique au moment de son départ de la vie terrestre furent : « Puisse Dieu ne jamais m’abandonner… ».
À l’époque, le « pourpoint » était une sorte de veste plus ou moins bouffante, un vêtement d’homme couvrant le torse jusqu’au-dessous de la ceinture. Nous ne savons pas à quel endroit précis de l’habit fut caché à la vue de tous – y compris de la sienne – ce document écrit par Pascal et venu d’un « autre monde ». Nul parmi ses proches n’en connaissait l’existence, malgré la proximité avérée que Pascal entretenait avec certains membres de sa famille – le fait est notable. Ce document fut écrit quelques instants plus tard suivant cette « nuit de FEU » sur un petit papier aux dimensions de 21,5 centimètres par 33,6 centimètres par le mathématicien proche du mouvement janséniste, le 23 novembre 1654, au moment de sa rencontre avec le Divin, à l’achèvement de cette nuit mystique, et pour conserver une trace immédiate de cette grâce inextinguible qu’il vécut ce jour-là, seul, dans l’intimité de son être. Le document singulier est décrit à la BnF, au département des manuscrits occidentaux : « Mémorial original, coté D. »
Ce papier fut ensuite mis au propre et recopié avec une calligraphie soignée par Blaise Pascal sur un parchemin, sans doute dans les quelques jours qui suivirent sa première transcription – ce document sur parchemin, aujourd’hui perdu, offre de très légères modifications par rapport à l’original. Nous connaissons celles-ci du fait que son neveu, le chanoine Louis Périer, en opéra une copie prétendue exacte avant la perte dudit document. La découverte du domestique de Pascal concernait donc en réalité bien deux manuscrits distincts – le papier et le parchemin – parfois confondus en un seul document selon les exégètes. Ce fait est parfaitement avéré et nous est rapporté par le père Pierre Guerrier dans une note en date du 1er février 1732. Cet ami proche de la famille de Pascal nous fait une description fidèle de cette découverte et nous signale en outre que : « Tous convinrent qu’on ne pouvait pas douter que ce parchemin écrit avec tant de soin et avec des caractères si remarquables, ne fut une espèce de mémorial qu’il gardait très soigneusement pour conserver le souvenir d’une chose qu’il voulait avoir toujours présente à ses yeux et à son esprit, puisque depuis huit ans il prenait soin de le coudre et de le découdre à mesure qu’il changeait d’habits ».
Il est intéressant de noter ici que Pascal conserva par devers lui les deux documents cités pliés ensemble, le premier sur papier, parfois qualifié sottement par certains exégètes de « brouillon » et le second sur parchemin, tous les deux dans la doublure de son pourpoint. Mais pourquoi conserver ainsi secrètement deux manuscrits quasi identiques dans le texte ?
Tout simplement parce que (…)
Thierry E. GARNIER – Extrait de : « NUIT DE FEU – Essai sur le Mémorial de Blaise Pascal »
– K2Mars 26 – 2017.
Voir avec les yeux du cœur
Puisse Dieu ne jamais m’abandonner
Pour une eucharistie sans sommeil
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