SUITE de la PARTIE #1

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Seul un exorcisme paraissait pouvoir ramener l’abbaye et ses occupantes à la sérénité. Il fut pratiqué en 1527, à la demande de l’abbesse, par l’archevêque de Lyon, qui aspergea la maison d’eau bénite, et se livra à des pratiques visant à purifier le corps d’Alice de Theizé, exhumé pour l’occasion. Son fantôme, pourtant, continua à hanter les lieux durant plusieurs années… Jusqu’à ce que les Protestants, pendant les guerres de religions, ne viennent entièrement saccager les bâtiments. Un siècle plus tard, la vieille abbaye fut totalement rasée, pour faire place à une nouvelle, construite à partir de 1667. On ne garda que le porche roman de l’église. Au XVIIIe siècle, les fantômes oubliés, les péchés rachetés par des décennies de prières, l’abbaye Saint-Pierre les Nonnains était réputée pour la sainteté de ses religieuses.

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Mais aux alentours de 1618, le cloître Saint-Pierre avait reçu la visite d’un personnage qui nous est particulièrement familier, le fameux prieur chartreux Dom Polycarpe de la Rivière. Celui-ci, alors procureur de la chartreuse de Lyon, était venu relever les épitaphes des vieux tombeaux du cloître. Alors qu’il n’avait publié que des ouvrages de dévotion, il s’intéressait déjà à l’histoire et commençait à prendre des notes pour préparer l’œuvre de sa vie, une histoire des diocèses et des communautés religieuses de France. Dom Polycarpe le révèlera lui-même vingt ans plus tard, lorsqu’il correspondra assidûment avec Peiresc, célèbre érudit provençal. Dans plusieurs lettres il évoquera ses recherches dans l’abbaye Saint-Pierre de Lyon.

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Ces courriers qui étaient restés inédits sont conservés, entre autres, par la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, ils ont été numérisés et sont désormais disponibles sur le site Internet de la bibliothèque.

Pour plus de détails au sujet de la correspondance entre Polycarpe et Peiresc, consultez mon analyse détaillée de ces lettres publiée sur le site de L’ABC de RLC, en cliquant sur la page « Patrick Berlier ».

Pendant la Révolution, la communauté religieuse de Saint-Pierre dissoute, le bâtiment confisqué au titre de bien national fut utilisé comme prison. Puis en 1802 il fut cédé à la ville de Lyon qui y installa la Bourse, la Chambre de Commerce et le Musée. Ce dernier finit par occuper la totalité du bâtiment. Le cloître et ses jardins furent remaniés en 1884, pour leur donner leur aspect actuel, par les architectes René Dardel et Abraham Hirsch. L’abbaye Saint-Pierre les Nonnains est devenue le Palais Saint-Pierre, et les seules beautés nues que l’on y rencontre aujourd’hui sont celles des statues qui ornent le Musée des Beaux-Arts et ses jardins, véritable salle d’exposition à ciel ouvert.

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LA PORTE ROMANE ET LA LANGUE DES OISEAUX

Le seul vestige visible de l’ancienne abbaye est donc le porche roman de l’église, situé sur le côté du bâtiment, Place Meissonnier. Sa construction fut décidée par l’abbesse Rolinde et commencée en 1173. C’est l’un des plus beaux porches de Lyon, et l’un des exemples d’architecture médiévale les mieux conservés. Sa voûte en plein cintre est entourée de deux archivoltes, l’intérieure reposant sur deux colonnes avec chapiteaux, l’extérieure sur deux pilastres carrés semblablement ornés. Voûte et archivoltes sont formées de pierres claires et sombres alternées, principe fréquent dans l’art roman, figurant une sorte de rayonnement flamboyant autour du cintre.

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La porte proprement dite date de la reconstruction de l’abbaye. Elle est en bois sculpté, à deux battants surmontés d’une imposte en demi-cercle. Cette imposte est ornée des armes du souverain pontife, le seul ayant autorité sur l’abbaye, formées d’une tiare surmontant deux clés croisées posées en sautoir. Les clés étaient les attributs de saint Pierre, le premier pape, gardien des clés du ciel. Les entailles des pênes sont figurées par les lettres IHS, Iesus Hominum Salvator – Jésus sauveur des hommes, dont le H exagérément large supporte une croix, aspect typique des IHS du XVIIe siècle. La formule peut se lire aussi In Hoc Signo – par ce signe, signalant en l’occurrence un signe caché à découvrir. En effet, ce blason pontifical, qui se lit généralement « d’argent à deux clés d’or en sautoir chargées d’une tiare de même », est « à l’enquerre » car il contrevient aux règles de l’héraldique stipulant que l’on ne peut pas mettre métal sur métal. Il est de notoriété que Rome reconnaissait ainsi par ces deux couleurs inopportunes l’existence de deux courants occultes opposés dans la religion, et d’une manière générale dans la vie politique européenne : le parti solaire (l’or) et le parti lunaire (l’argent), la quarte et la quinte, la rose rouge et la rose blanche, des appellations révélées entre autres par François Rabelais. L’existence de ces deux forces de l’ombre a particulièrement été mise en lumière par l’érudit Grasset d’Orcet, qui en avait fait le principal cheval de bataille de son œuvre féconde, consacrée aux puissances secrètes de l’Ancien Régime.

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Partant, les armes papales se trouvent de fait obéir aux règles de la Langue des Oiseaux ou grimoire, établissant comme principe de décodage de garder les consonnes d’une phrase et de remplacer les voyelles par d’autres afin d’obtenir une nouvelle traduction. Leur message secret est basé sur la phrase « en haut une tiare, posée sur argent et or et sautoir de clés », ce qui en français d’époque et selon les règles du grimoire se résumait à une formule de 8 pieds terminée par une sonorité en L : TiaRe Chef LuNe oR SauToiR Clés. Laquelle formule peut se décliner en TRiChé L’hoNneuR eSTRe CeLé. Ce décryptage enseignerait qu’en réalité derrière cette tricherie apparente l’honneur (de l’Église) est resté celé (caché). Le découvrira celui qui saura lire les symboles. On remarque, surmontant les armes papales, une poire renversée. Poire se dit en latin pirum ce qui peut se traduire phonétiquement par « pire homme », l’inverser peut signifier que le pape est au contraire le meilleur des hommes.


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Les chapiteaux sont semblablement parlants et l’imposte n’a fait que compléter leur message. Si les chapiteaux externes qui surmontent les pilastres ne s’ornent chacun, essentiellement, que d’une fleur à cinq pétales, rappel discret de la quinte ou religion lunaire, les chapiteaux des colonnes internes s’ornent de têtes énigmatiques. À gauche la tête d’une créature qui pourrait être un homme-lion, la gueule entrouverte sur une rangée de dents, entre deux têtes d’hommes au visage rond, dont il manque un quart, des hommes-lunes. Toujours la figuration de la quarte et de la quinte (la lune), le lion central étant l’animal solaire par excellence. L’homme-lion et l’homme-lune étant parfaitement permutables par l’identité de leurs structures consonantiques (MLN), le rébus signifie que l’Église s’est établie sur ses deux courants religieux, le lunaire et le solaire. À droite deux têtes d’animaux que l’on peut qualifier de rongeurs émergent d’une sorte de bassin circulaire, agrippant leurs pattes antérieures sur sa bordure, et paraissant vouloir la ronger. Rongeur se dit en latin rosor, ce qui peut se prononcer phonétiquement « rose or » : le rose né de l’union du rouge et du blanc gagne en pureté par cette fusion et devient d’or.

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TRÉSORS DU MUSÉE

On ne peut sans doute pas visiter le Musée des Beaux-Arts de Lyon en une seule journée ! Il compte 70 salles, avec des collections permanentes de sculptures, d’antiquités, de peintures, de monnaies et médailles, auxquelles s’ajoutent des expositions saisonnières. Quelques pièces remarquables choisies au hasard d’une déambulation… Pour la collection de sculptures : le célébrissime « Héraclès » de Bourdelle, ou un groupe d’anges portant une âme dans un drap, marbre du XIIIe siècle originaire de Lombardie, rappelant le fameux « envol de l’âme » des peintures murales de Sainte-Croix-en-Jarez. Pour la collection de peintures : la non moins célèbre « Cène » de Philippe de Champaigne, ou « La fuite en Égypte » de Nicolas Poussin, une acquisition récente du musée.

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Pour en savoir plus sur le musée, visitez son site Internet

Mes remerciements à la revue « Lyon découverte » de l’été 2005, consacrée aux mystères de Lyon, qui m’a permis de découvrir les charmes du Palais Saint-Pierre, à Grasset d’Orcet et à Limousin Espalier pour leurs interprétations savantes et oiselées des armes pontificales, en particulier le second auteur dans son livre « L’art royal, trahison et clercs ? ».


Patrick BERLIERLes Chroniques de Mars No 26 – Décembre 2017.

PHOTOS Patrick BERLIER ©

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